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Article publié dans Lacan Quotidien 674
Note sur un mésusage de la dialectique chez certains électeurs de gauche
Les électeurs de gauche – même si l’on sait, pour reprendre le titre d’un article de Jacques-Alain Miller (1) qui sut en son temps faire mouche, qu’il n’y a plus de figure de l’Homme-de-gauche et que son tombeau écrit sa disparition – ont toujours aimé la dialectique. Même s’ils ne sont pas aguerris à la lecture de Hegel et à sa grande reprise par Marx, ils savent que la dialectique est une arme et qu’elle peut casser des briques, suivant l’expression du président Mao. Et chacun de savoir que la dialectique n’est pas simple, qu’elle est l’outil et l’arme idéaux pour saisir ce qui est complexe et comprendre ce que les apparences, les faits visibles et autres évidences recouvrent. L’électeur de gauche est celui à qui on ne la fait pas, qui sait que sous les pavés il y a la plage et que la ruse de l’idéalisme de la droite est d’effacer la logique, la causalité et la lutte des classes. Certes l’électeur de gauche, alors que l’Homme-de-gauche est désormais au tombeau, est plus hésitant sur son orientation mais, même à vue, il ne veut pas qu’on lui impose ce que la sophistication de la dialectique récuse. Soyons complexes, soyons subtils, bref soyons dialecticiens.
Jean-Luc Mélenchon et sa France Insoumise connaissent leurs classiques. Leur culture politique et intellectuelle tranche même face aux doctrines molles, aux approximations rudimentaires, au creux des propos cultivés style Wikipédia. Dès dimanche soir, Jean-Luc et ses proches ont tenté la dialectique ici réduite au refus que les faits dits soient des faits vrais. Le candidat Mélenchon est quatrième, disent les journalistes et les instituts de sondages. Mais non, clament les insoumis, il faut le prouver. Vous n’allez pas croire tout ce que l’on vous dit. Les faits sont complexes, n’est-ce pas. Sans l’arme de la dialectique, vous croyez ce que l’on vous assène, vous optez pour la pensée linéaire, la causalité mécanique. Or la dialectique, dans son cheminement, son déroulé, ses reprises, ses articulations, elle, s’oppose à la voix une, au linéaire, au mécanique où A produit nécessairement B. Jean-Luc et ses proches ont refusé les résultats : attendons bien de savoir et, qui sait, peut-être que la France Insoumise sera en deuxième place.
Allez, nous pouvions, malgré l’agacement, accepter que la France Insoumise prenne mal le résultat, attende pour reprendre son souffle et sécher les larmes. Mais le lendemain, rebelote : refus de désigner Macron comme l’homme qui fait barrage à Marine Le Pen, donc au néofascisme. Mais non, rien. Et cela se répand : MLP et EM, c’est la peste et le choléra.
1 Miller Jacques-Alain, « Tombeau de l’Homme-de-gauche », Le Monde du 4 décembre 2002, p. 1 et 17 : L’Homme-de-gauche est un « pot-pourri d’images et de symboles hérité de la grande geste de la gauche ».
Donc, on s’abstient ou bien l’on choisit de voter nul ou blanc. J’ai dû me forcer pour saisir que ce que j’entendais était bien ce qui se disait. Entendu à la radio : Tu comprends, nous on est jeune, et on veut nous faire croire qu’il n’y a qu’une solution à deux termes, que c’est elle ou lui. Eh bien, nous on s’y refuse. Les arguments suivent, et l’histoire et la dialectique, même si elle n’est pas nommée, sont la référence. La dialectique suspend l’acte, ouvre à la procrastination, à l’éternisation du temps pour comprendre. Mais, bon sang, comment peut-on en arriver là? Comment certains à gauche peuvent-ils débiter ces sornettes? Car la dialectique, celle qui servit d’armes aux révolutions ou tout simplement aux combats, n’est pas cela : un discours de passion sans scansion. La dialectique aboutit toujours à une réduction où s’isole blanc ou noir, oui ou non. Le ou est exclusif, radical. Car la dialectique mène au point où la dialectique cesse puisque l’ultime reste de l’opération n’est plus dialectique. Impossible de revenir en arrière. Lacan ne dit pas autre chose : laisser passer (soit : rater) le moment de conclure éternise aussitôt le temps pour comprendre.
Choisir la dialectique, c’est refuser à l’instant de discuter, d’ajouter son grain de sel, de revenir sur ce qui fonde l’acte. L’acte que la dialectique a permis est la mort de la dialectique. L’électeur de gauche fera-t-il insulte à la dialectique pour la réduire à du pipi de chat ? La dialectique est passée. Ou c’est Macron ou c’est le fascisme !
Marine Le Pen est plus rusée et bien meilleure dialecticienne que certains insoumis. C’est incroyable mais se vérifie. Elle sait qu’à la fin, la dialectique s’arrête pour permettre l’acte. Chaque fois qu’on essaye de lui demander des comptes, de s’expliquer sur son passé, les origines du FN, les phrases de son père, ses amitiés avec des nazillons antisémites, elle ajoute, avec un sourire inimitable, que cela c’était avant. Elle prétend désormais n’être plus la candidate du FN. Au fond, elle livre à un public médusé – celui qui fait les scores des partis de gauche et de l’extrême gauche – que la dialectique des combats et des victoires, soit la ruse de la raison (Logos), arrive à son terme et que seul le vote conclura ce qui précède. Elle sait que le ou bien elle ou bien l’ex-banquier de la banque juive (retour de l’antisémitisme) ne souffre d’aucune dialectique, d’aucune hésitation, d’aucun ni-ni. Elle sait que ce choix n’est plus dialectique et c’est pourquoi elle a toujours un temps d’avance. À l’heure où j’écris ces mots, MLP est à l’usine Whirpoll (Amiens) dans un hangar avec les grévistes alors que Macron discute dans une salle prêtée par la Chambre de commerce locale. Elle sait que si le ou n’est plus dialectique, alors la victoire nécessite non pas justement de dialectiser l’autre, mais de l’écraser, de le détruire, de « l’éparpiller façon puzzle », comme l’on dit chez les Tontons flingueurs.
Toi qui vote à gauche et hésite, parce que tu aimes la subtilité voire la sophistication de la dialectique de tes pères de combat (oui Marx, oui Blanqui, oui Rosa, oui…), accepteras-tu que les armes qui furent les tiennes, passent désormais avec brio aux mains des néofascistes ? Accepteras-tu cela ? La dialectique que tu aimes, te livre ceci : le moment historique n’est pas dialectique. Voter Macron c’est voter pour la République. Le moment du vote (= le bulletin déposé dans l’urne) n’est pas dialectique et c’est la grandeur de la dialectique de te le faire savoir. Alors tu vérifieras ceci (Ah, ce mot de notre jeunesse) : Cours, Camarade, le vieux monde est derrière toi. Autrement, la Walkyrie te bouffera tout cru, toi et ta dialectique procrastinante et impuissante.
Hervé Castanet
28 avril 2017
Une certaine droite se veut décomplexée. Posons l’orientation suivante : la gauche, ou tout au moins une certaine gauche, en France est, par contre, complexée. Il ne s’agit pas de sauver la gauche telle qu’elle est. Il s’agit de la décomplexer – de le proposer sans hésitation, gêne ou regret. La décomplexer n’est pas la droitiser ou l’amoindrir. C’est l’inventer. Profitons de l’occasion historique que ces élections révèlent.
Dans une tribune, parue le 4 décembre 2002 dans Le Monde, il y a donc près de quinze ans !, Jacques-Alain Miller écrivait que l’Homme-de-gauche, homme avec un H majuscule, est désormais au tombeau. L’Homme-de-gauche, soit le « pot-pourri d’images et de symboles hérité de la grande geste de la gauche », était donc mort. Nous n’avions pas vraiment voulu le croire préférant croire justement qu’il était peut-être au tombeau mais toujours vivant. Enterré mais vivant. Nous avions confondu le tombeau avec un réfrigérateur, sa mort avec une cryogénisation subtile. Cet Homme-de-gauche finirait bien par se réveiller. Bref, nous attendions sa résurrection. Nous attendions plus précisément que se réveillant, on puisse le retrouver tel quel à l’identique de ce qu’il fut : décidé et ferme, critique et vif, ses armes toujours affutées. Le combattant fatigué retrouve sa puissance.
Puis nous avons oublié la gauche. Nous avons politiquement – enfin, je parle pour moi – accepté d’être endormis par une droite plan-plan (Chirac), une droite histrionne (Sarkozy) – et un centre gauche (Hollande) qui acceptait trop facilement la loi du marché, la politique de l’Europe, les inégalités. D’autres combats nous occupaient : ainsi ces attaques répétées contre la psychanalyse et qui ne se répartissaient plus, comme habituellement, entre la gauche et la droite, les pour la psychanalyse, à gauche – et les contre, à droite.
Cela c’était avant. L’instant de voir est proche. Réveil assuré. Quand ? 15 ans après. Dimanche soir dernier. Macron est premier. Ouf ! Le Pen est deuxième. Elle a perdu, se dit-on aussitôt, car Macron + la gauche, c’est imparable. Avec Mélenchon à près de 20%, Hamon à plus de 6, c’est plié. C’est l’espoir d’une victoire certes peu glorieuse mais d’une victoire néanmoins car Marine Le Pen, la néofasciste, n’est plus aux portes du pouvoir. Vous savez la suite, la triste suite. Elle commence par un refus des résultats par les représentants de la France Insoumise sur les plateaux télé – non pas une prudence, une attente justifiée face à des données partielles. Oui, un refus. Pas n’importe quel refus. Pas un refus franc, provoquant, dévastateur – celui qui faisait hurler, il y a bien longtemps : le peuple aura ta peau. Non, un refus qui faisait prémices à ce qui suivit : une négation de l’acte, du c’est écrit, du c’est ça. Il fallait prendre du temps, continuer à ergoter, à rejouer le match. Non ce n’était pas possible : le peuple ne pouvait se tromper, la vérité de la lutte des classes ne pouvait se retrouver quatrième derrière des candidats si peu cultivés, si transparents. Par contre les médias, les journalistes, les instituts de sondages, oui, étaient dans l’erreur presque dans la manipulation. Mais comment cela fut-il exprimé ? Les faits dits ne sont pas forcément des faits vrais, et réciproquement. Le candidat Mélenchon est quatrième. Mais non, clament les insoumis, il faut le prouver. Vous n’allez pas croire tout ce que l’on vous dit. Les faits sont complexes, n’est-ce pas. En croyant ce que l’on vous assène, vous optez pour la pensée linéaire, la causalité mécanique.
Mais pourquoi ai-je compris dimanche soir non pas que l’Homme-de-gauche était au tombeau – je le savais – mais qu’il était mort sous sa terre ? Mort pour de vrai, comme disent les enfants qui savent que les fictions n’excluent pas un réel, au-dehors ? Il m’a fallu un second temps : l’intervention de Jean-Luc qui n’appela pas à voter pour Macron contre la vieille tradition de la gauche et son choix du désistement pour faire barrage à l’extrême droite et au fascisme. Au contraire, Jean-Luc établissait l’équation EM = MLP du point de vue des marchés et des oligarques.
C’était fait. L’instant de voir produisait sa scansion : l’Homme-de-gauche était mort et bien mort. Par contre, l’électeur de gauche, lui, est bien présent, actif, pas avare de paroles et de prises de positions. Et que disent certains d’entre eux – ceux qui se disent vraiment de gauche ? MLP et EM, c’est la peste et le choléra. Donc, on s’abstient ou bien l’on choisit de voter nul ou blanc. J’ai dû me forcer pour saisir que ce que j’entendais était bien ce qui se disait. Entendu à la radio : Tu comprends, nous on est jeune, et on veut nous faire croire qu’il n’y a qu’une solution à deux termes, que c’est elle ou lui. Eh bien, nous on s’y refuse. Et aujourd’hui même des lycéens portent des pancartes : Ni banquier. Ni raciste.
J’appelle gauche complexée, cette gauche qui promeut l’éternisation du raisonnement, qui refuse de conclure, de poser un acte et d’accepter ce que les révolutionnaires et les combattants du temps de l’Homme-de-gauche savaient : que si l’arme de la dialectique pouvait casser des briques, comme disait le président Mao, c’est parce qu’elle savait que la dialectique implique sa sortie, sa fin, sa mort. La dialectique aboutit toujours à une réduction où s’isole blanc ou noir, oui ou non. Le ou est exclusif, radical. Car la dialectique mène au point où la dialectique cesse puisque l’ultime reste de l’opération n’est plus dialectique. Impossible de revenir en arrière. Lacan ne dit pas autre chose : laisser passer (soit : rater) le moment de conclure éternise aussitôt le temps pour comprendre. L’acte que la dialectique a permis est la mort de la dialectique. La gauche complexée a perdu sa mémoire, elle a oublié ses classiques. Politiquement, dans le moment actuel, elle ne vaut pas mieux, objectivement, que la droite qui n’appelle pas à voter Macron et qui n’est pas celle de Jean-François Copé. Cette gauche-là est peut-être, au un par un de ceux qui s’y réfèrent, plus sympathique que cette droite-là, mais objectivement elle est son double, son miroir fidèle.
Cette gauche est complexée parce qu’elle ne joue qu’avec deux registres : l’imaginaire et le symbolique, pour reprendre les catégories de Lacan. Le premier lui permet de lever l’espoir, de promouvoir un principe espérance, comme disait Ernst Bloch, de faire résonner l’utopie d’un monde autre. Le second relève de l’analyse, des propositions et des programmes : il est anticapitaliste et mondialiste. Le registre ignoré – mais subitement révélé par Mélenchon et les dirigeants de la France Insoumise – est celui-ci : le réel. Le seul qui assure le nouage des deux autres. Mais quel est-il ? Il est l’os du choix qu’objectivement le vote implique : un ou radical, sans troisième terme – car le troisième terme c’est avant, du temps de la dialectique. Le réel est ceci : j’accepte de ne plus penser, de ne plus rêver d’un autre temps, d’un autre choix. L’acte rompt la pensée, c’est le reste de la réflexion – son irréductible.
Marine Le Pen, bien meilleure dialecticienne et stratège que la France Insoumise, sait cela. Que maintenant, il faut cogner ! Tel est le mano a mano final. Il faut détruire la candidate néofasciste dans les urnes comme MLP veut détruire la démocratie.
Décomplexer la gauche en passe aujourd’hui par cette affirmation d’urgence: l’équivalence EM = MLP est une position irresponsable qui aime aveuglément le symbolique jusqu’à croire que nous vivons dans un monde sans réel. Que dire suffit et que l’acte est au choix, en supplément, si l’on veut.
En réaction, une gauche décomplexée est une gauche qui tire des conséquences du réel que la dialectique isole. Et qu’à ce réel, chacun est tenu – qu’il le veuille ou non. Le dire, est- ce une leçon d’antifascisme ? Mais oui, c’en est une ! Et même si cela ne te plait pas, à toi électeur de Mélenchon qui hésite, à toi électeur de Mélenchon qui n’hésite pas mais qui comprend ceux qui hésitent, à toi qui ne détrompe pas la jeunesse du choix radical, je te dis que la gauche décomplexée désormais te le crie ainsi sans hésitation : halte au fascisme ! Coup pour coup, bulletin Macron contre bulletin MLP.
Suite aux résultats du premier tour de ces élections présidentielles, mon amie journaliste Dimitra Athanasopoulou m’a demandé de contribuer à son reportage pour le quotidien grec « La liberté de la presse ».
J’ai parlé de la question éthique qui se pose, de la prise de position des psychanalystes contre MLP, du réseau crée par Jacques-Alain Miller et des voix plurielles lors du Forum 18. Enfin, ce sont les points retenus sous le titre « Psychanalystes, Front contre Le Pen ».
Le fait que les psychanalystes en France se mobilisent aussi fortement a été perçu comme un élément qui va à l’encontre de la banalisation du FN et de sa montée. Le scénario cauchemardesque de MLP au pouvoir et les conséquences au niveau européen atteindraient aussi la Grèce et c’est un point d’intérêt principal pour les medias. Malgré la distance du FN avec le parti néonazi grec « Aube Dorée » clamée par MLP, seules changent la forme et la communication. L’histoire de ces deux partis montre que le fond reste commun : la haine, le racisme, le négationnisme et l’antisémitisme.
Le jour où ce parti a fait son entrée au parlement grec, le 17 juin 2012, j’étais à Tel Aviv pour « Lire un symptôme » de la NLS. J’ai appris ce résultat de vote après ma sortie du Yad Vashem. L’effet subjectif de cette contingence ne m’a pas quitté. Une élection démocratique peut, hélas, amener à l’horreur. La nécessité et l’urgence de parler, d’agir, contre le FN font que chacun doit s’impliquer de suite là où il se trouve. Ce « lieu » est pour moi, la psychanalyse.
Quelques mots sur une lecture que j’ai effectué concernant les réfugiés espagnols en 1939. Cela concerne la partie espagnole de la famille de mon père. Sa mère, ma grand-mère, s’appelait Balaguer, famille exilée et pour partie réfugiée en France. ( Balaguer est le nom du fondateur de l’opus Dei, mais cela n’a rien à voir, quoique ce fut l’objet de quelques plaisanteries familiales)
C’est saisissant de constater sur le site d’un camp français, le glissement sémantique entre réfugiés et indésirables. Politique dont on connaît les délires et les ravages.
Je ne fais bien sûr aucun lien avec les discours d’aujourd’hui qui circulent. Je reprends le fait que le traitement par déportation en France a déjà eu lieu.
Alors, simplement une question.
Quelles propositions se font pour l’accueil des migrants et des réfugiés aujourd’hui?
Les notes:
VEL D’HIV.
Petit rappel historique : le 15 mai 1940 ordre impératif est donné aux femmes dites:
« Allemandes, Parisiennes, Mosellanes, ou Lorraines françaises,
Bulgares,
Roumaines,
Tchécoslovaques,
Polonaises,
Yougoslaves,
Pour la plupart,
réfugiées en France, de nationalité indéterminée, soient femmes et enfants juifs déchus de leur nationalité par les nazis, de se rendre au Vel d’Hiv. Pour les hommes ce sera le parc Buffalo.
9771 femmes et enfants seront « internées », du 21 mai au 30 juin1940, dans un Camp… Français.
Ou, comment une sémantique abjecte va se glisser de « réfugiés » à « indésirables » du 12 octobre1938 à mai 1940.
La loi-décret scélérate sera promulguée en octobre 1940. Glissement qui vient de loin mais tout à fait identifié, dans la remarquable présentation du site: http://www.campsgurs.com
Mon souhait c’est de transmettre au blog de campagne, cette note et ce site actuel du passé d’un camp français, où se trouvent bien articulé, le glissement sémantique de la ségrégation, de l’exclusion et les faits historiques dramatiques qui en découlent.
REVEILLE-TOI MELUCHE !
CONTRE L’ABJECT, ET LE VISAGE BLOND DE LA BARBARIE
FAIRE N’IMPORTE QUOI, PLUTOT QUE RIEN !
CONTRE MLP ET LE FN
UN PSY QU’ECRIT UN RAP A 60 PIGES, EST-CE BIEN RAISONNABLE ?
UN PSY QUI FAIT FEU DE TOUT BOIS , C’EST PLUS QUE RAISONNABLE !
UN RAP LACANIEN ? WHY NOT ?!
MERCI A L’ECOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE
ET A SON ENGAGEMENT VIF, DECIDE, ECLAIRE ET TRANCHANT !
ET DONC MERCI A SCALP ET AU FORUM DES PSYS
Sur un beat de rap, mixer : – Buffalo Springfield : For what it’s worth, 1967.
– Jimi Hendrix : Purple Haze ( live at the Atlanta Pop festival, 1970), Foxey Lady (Miami Pop live 1968), Voodoo Child ( Live at The Atlanta Pop Festival, 1970).
– IAM feat Khaled. Concert Plateau de Gizeh, 2008.
– La voix d’Artaud : Aliénation et magie noire, 1946.
Cherche zicos, mutins, racailles et cailleras, et des rappeurs, ceux dans les rangs desquels sont les Léo Ferré d’aujourd’hui.
Y’a pas d’or, y’a pas d’pétrole en France,
Mais y’a d’la voix, y’a du verbe, y a d’l’histoire
Et des tontons flingueurs
C’est même not’seul pactole,
Not’malagA,
L’andalouse des cœurs purs,
C’est en treillis qu’elle danse
L’flamenco, c’te gitane,
Sur les grattes, viriles et écorchées
De Copas en volutes d’Orient.
Ref : One vote to exit
One way to vote
No way for dreamin’
To dream ain’t no way
Avec un grand H l’histoire, comme dans panache
Not’ seule came,
Best quality
Not’ seul crack
Not’ seul kiff
Et même dans l’riff
Au Maroc, où la beuh s’fume,
De Fès à ‘Souira
J’oublie pas Vichy là-bas et à sa dizaine de camps,
J’oublie pas Bouarfa, et la concentration,
D’juifs de partout, d’républicains d’Espagne
Des cocos, des gaullistes, des qui résistent
Hommes, femmes et chiards.
Ref
Yallah, meuf de peu, et toujours la ceumme à son daron,
NTM MLP ! NTa haine !
Dégage avec ton FN !
Bombasse au nom du père,
Au nom d’son père, c’est pas l’Kaddish,
C’est pas Ginsberg
Y’a des cordons qui s’coupent pas !
A nier l’autre, y t’faut du déchet, et toujours plus
Du sous-autre, d’la sous-race,
Du coupable en boucle, émissaire !
T’es pas l’hôte de l’autre, c’est ça qu’tu dis,
Mais t’as pas vu slam dans Islam,
Et y t’faut toujours du Juif,
Beurres là, feujs demain comme hier,
Neg’ toujours
Alors magne
Et vas t’faire Maître,
Vas t’faire Maître ailleurs
Te faire Maître ailleurs
Là où c’est nulle part !
‘cause 4 you, it’s no way
Ref
Méluche, mon con de Toulouse
Chanté par Nougaro
Ca t’attacherait la gueule de dire au moins Macr’ ?
Tu crois qu’c’est symétrique avec MLP et son FN
Pas d’rapport, pas même sexy, pas d’relations
Pas d’harmonie, pas d’débats et pas d’ébats
Nada d’chez nada !
Rien à battre, rien à cirer, rien à s’couer,
Pas d’vote ou blanc, une voix pour l’enfer,
Sur celle qu’aura la main sur les keufs et l’armée,
C’est ça qu’tu veux Méluche ?
Mets d’l’ordre dans tes troupes camarade
Dis leur que pas d’deal avec le pire !
Fais c’deal avec tes potes,
Stop ta langue de bois,
Stop ta langue de ouf !
Paris, 29/ 04/ 2017
La propagande du FN a-t-elle déjà gagnée ? La bête a- t-elle re-triomphée ?
Le refoulement, l’oubli, la forclusion se sont-ils imposés ?
Les références au nazisme ainsi qu’à la période de la Collaboration pour évoquer la filiation politique du parti de l’extrême droite française ne serviraient plus de repoussoir à la jeunesse ni n’effrayeraient ceux qui souffrent le plus des ravages du discours capitaliste ?
Est-ce si sûr ?
En premier lieu, ces références historiques ne sont pas des arguments pour faire barrage au FN. Ce sont des vérités. Ce parti d’extrême droite plonge ses racines dans le nazisme et la Collaboration.
Par ailleurs, MLP a démis dans l’urgence un président du FN à peine nommé pour ses propos négationnistes, ce qui n’accrédite pas la thèse selon laquelle ce qui s’est passé sur le continent européen entre 1933 et 1945 serait devenu indifférent aux générations n’ayant pas vécu cette période de l’Histoire ni même dans les deux ou trois décennies suivantes.
A ce propos, il convient sans doute de se reporter à l’intéressante analyse de H. Welzer, S.Moller et K. Tschuggnall intitulée Grand-père n’était pas un nazi. National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale, parue aux éditions Gallimard en 2013, pour saisir que la mémoire culturelle enseignée dans les écoles et les discours officiels ne correspond pas à la mémoire héritée et véhiculée au sein des familles.
Cette étude montre que, dans le passé intergénérationnel, il ne s’agit pas de savoir, mais de certitude, c’est-à-dire de fictions qui enserrent le réel, de constructions et de mythes qui se transmettent de génération en génération et qui transforment les coupables d’hier en héros du présent. Chaque famille allemande aurait courageusement résisté à l’emprise de l’idéologie de cauchemar, aurait agi bravement, aurait sauvé ou caché des gens, aurait bravé les lois injustes, ce qui n’est évidemment pas le cas. Ainsi, il existe deux discours parallèles, le premier est fondé sur le devoir de mémoire, les travaux des historiens, l’enseignement à l’école. L’autre discours se construit à travers les générations, il est le véhicule d’une fiction.
Cette mise en valeur de l’élément de certitude par rapport au savoir est pertinente à retenir dans la mesure où la certitude ne se combat pas à l’aide d’arguments logiques ou de démonstrations raisonnables. Comme il se voit actuellement, la fiction d’une France qui n’est pas responsable d’avoir collaboré et aurait résisté habilement tend à s’imposer avec violence.
Lacan nous a appris dans son article sur le mythe individuel du névrosé, » le mythe est une représentation objectivée d’un épos ou d’une geste exprimant de façon imaginaire les relations fondamentales caractéristiques d’un certain mode d’être humain à une époque déterminée ». S’il est justifié de parler de refoulement ou de forclusion d’un moment de l’Histoire, ce n’est donc pas au sens d’une perte de mémoire, d’un oubli, d’une usure du temps causés par les années qui nous séparent de la Shoah. Il s’agit de mécanismes au service d’un certain mode d’être qu’il convient de déchiffrer et qui n’est pas sans lien avec l’absurde et sinistre projet de purification, die Säuberung.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur les monstres surgissent. »[1]
« Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et obéir sans discuter. »[2]
Au commencement[3] : « une place dans une petite ville de province », avec son épicerie, son église, sa terrasse de café, le ciel bleu, un dimanche midi en été. Jean est tiré à quatre épingles tandis que tout dans la mise et la mine de Bérenger dénote la négligence ; ce qui lui est reproché par Jean, tout comme son retard, sa propension à boire, son manque de volonté… Il lui conseille plutôt de « se cultiver », ça le « sortira de ses angoisses ». Mais lorsque Bérenger se décide et lui propose de l’accompagner au théâtre et au musée, Jean décline l’invitation ; il va à la brasserie. Néanmoins, nulle division ici pour Jean, c’est « dans son programme ». Dans l’entrefait, avec un vacarme énorme, traverse dans un nuage de poussière, au beau milieu de la place… un rhinocéros!
Cette irruption inaugurera un enchainement de destructions (« un escalier », « les bancs de l’avenue », « les magasins », « la morale », « la civilisation humaine »), à commencer par un chat qui se fera écraser, et par le langage lui-même, touché en son fond, avec l’effet comique dans un premier temps qui en résulte, propre au théâtre de l’absurde. Ce premier incident par exemple « alimentera la rubrique des chats écrasés! ». Les mots sont pris à la lettre : « qu’est ce qui vous dit qu’il est malheureux », « qu’avez vous à m’examiner comme une bête curieuse? » Les premiers signes de désorientation se diffusent à travers le langage. « J’étais à côté de mon ami Jean!… Il y avait d’autres gens. Botard à Bérenger : « Vous bafouillez, ma parole. »
Tourné en ridicule par un logicien loufoque, le syllogisme nous conduit à cette conclusion que Socrate est un chat. Botard, incrédule, stéréotype du gauchiste, compare ces premières mutations en rhinocéros à « un mythe », comme les « soucoupes volantes », comme la religion en tant qu’« opium du peuple », une « psychose collective », c’est à dire « une illusion ». Le scepticisme est au premier plan. Jean, en même temps qu’il est en train de devenir lui-même rhinocéros répond à Bérenger qu’on a dû se « moquer de lui », on « s’est déguisé ». Des concepts psychanalytiques sont manipulés pour valider l’intolérable : « si c’est un transfert, cela peut être révélateur. Chacun trouve la sublimation qu’il peut ». Le supposé savoir est discrédité, avec une certaine discordance, « les médecins inventent des maladies pour les guérir : je n’ai confiance qu’en les vétérinaires. » Des dénégations par-ci par-là, « Je ne suis pas raciste », « je ne dis pas ça pour l’excuser ». Des systèmes de pensées caricaturales de tous bords sont à l’oeuvre : « j’ai la clé des événements, un système d’interprétation infaillible », se rassure Botard, ce qui hélas n’empêche pas la contamination de rhinocérite de plus en plus aiguë qui frappe alors ce bas monde.
On se trompe d’urgence, on se préoccupe d’autres choses (la poussière, le manque d’hygiène, avoir des bouteilles incassables, du nombre de cornes : « est-il bicornu ou unicorne? ») Car « tout est logique, comprendre c’est justifier ». On s’endort, on mange, « dépêchons-nous de manger, ne pensons plus à tout cela. » On banalise : « il faut prendre les choses à la légère avec détachement. » « Ne juger pas les autres si vous ne voulez pas être jugé. » « Moi aussi, j’ai été surpris comme vous. Ou plutôt je l’étais. je commence déjà à m’habituer. Alors assimilez la chose et dépassez-là. Puisqu’il en est ainsi, c’est qu’il ne peut en être autrement. »
L’absurdité est totale jusqu’à la conformité généralisée, au nom de signifiants tels que la liberté, la nature, devenus labiles et creux, sans consistance. Le mal n’existe plus, « le mal, le mal ». Les arguments contradictoires se valent et convergent de toute façon inévitablement vers la rhinocérite. Nul besoin de maître, la servitude est volontaire et portée par le mimétisme et la soumission à un obscur désir, qui n’ouvre à rien d’autre qu’à la norme périssodactyle.
In fine, à la question, aimeriez-vous être un rhinocéros, on répond : « Pourquoi pas, je n’ai pas de préjugés. J’aime les changements. (…) Voilà il a changé d’idée! Tout le monde a le droit d’évoluer. (…) A-t-il donné une raison? Il a dit textuellement : il faut suivre son temps! Ce fut ces dernières paroles humaines! » « Je me demande si ce n’est pas une expérience à tenter. » « Chacun est libre. »
Bérenger, lui, constate la transformation de « peut-être un quart des habitants de la ville. Nous sommes encore les plus nombreux. Il faut en profiter. Il faut faire quelque chose avant d’être submergé, ils sont très efficaces… »
A propos du choix par le dramaturge de cet animal en particulier, il n’est sûrement pas anodin. Ionesco dans une interview évoque son cheminement : « Le taureau? Non : trop noble. L’hippopotame? Non : trop mou. Le buffle? Non : les buffles sont américains, pas d’allusions politiques… Le rhinocéros! Enfin, je voyais mon rêve se matérialiser, se concrétiser, devenir réalité. Le rhinocéros ! Mon rêve[4] ! »
Qu’est ce qu’un rhinocéros?
Tout d’abord c’est le plus gros mammifère actuel, après l’éléphant[5]. C’est ensuite une peau épaisse qui peut donner l’impression d’un blindage, une cuirasse qui sert de carapace lors des combats qui s’établissent pour la dominance, jusqu’à cette particularité pour le mâle d’avoir ses testicules à l’intérieur du corps. Enfin vient la fonction de la boue, une protection dans laquelle il passe beaucoup de temps à se prélasser. Sans oublier l’étymologie, rhinocéros vient du grec rhinos, nez, et keras, corne. Et en point d’orgue, dressée vers le ciel, sa corne, défense majeure et symbole de puissance. Bref, qu’il serait beau d’être un rhinocéros!
Pour toutes ces raisons sans doute, le rhinocéros adulte n’a aucun ennemi chez les animaux. Pour ces raisons également, c’est bien connu, son seul ennemi est l’homme. Toutes les espèces de rhinocéros sont actuellement menacées de disparition. L’homme cherche à acquérir sa puissance à travers l’absorption de cette fameuse corne soi-disant thérapeutique et aphrodisiaque, ou a gagner en standing et en virilité en fabriquant des poignards avec. La corne servait aussi a fabriquer des coupes libatoires pour y accueillir les offrandes faîtes aux divinités ; en s’assurant ainsi de ne pas avoir à sacrifier davantage. En 1800, il y avait 1 000 000 rhinocéros dans la nature. En 2016 : 29500. Aujourd’hui, in-extremis, on les protège. Cet animal fut en somme massacré et sauvé de justesse avant sa disparition, tant sa puissance servit à pallier la faiblesse de l’homme, dont la corne constituerait la panacée à son manque fondamental, à son insuffisance.
Mais revenons au seul personnage de Ionesco qui ne soit pas métamorphosé en rhinocéros. Après avoir été « un peu endormi », « je n’avais pas réfléchi à ce danger. Je ne me suis pas posé la question », il se réveille et tente de résister. Pourquoi n’est-il pas devenu rhinocéros?
Mon idée est que sa division, qu’il éprouve en tant que sujet, son intuition et non pas l’instinct, tels qu’il les distingue, lui apprend qu’il n’est pas complètement maître en sa demeure[6]. Il s’inquiète que son souffle ne devienne barrissement, qu’une bosse apparaisse sur son front. « Je n’ai pas de bosse, je ne me suis pas cogné n’est ce pas? Je n’en aurai jamais j’espère, jamais. » Son identité, en effet, n’est pas rhinocérique.
« J’ai peur de devenir un autre »[7] dira-t-il, à l’inverse de Jean qui recouvre sa division d’un n’en rien vouloir savoir : « Moi inconsciemment? Je suis maître de mes pensées, je vais toujours tout droit. »[8] Quant aux préoccupations de ses insomnies, un collègue rétorque à Bérenger : « Prenez des somnifères! » « Je fais des cauchemars. (…) Vous prenez les choses trop à coeur. »[9]
La condescendance, voire le mépris de Botard lorsqu’il était encore humain, à l’égard de Bérenger se mue à mesure qu’il devient rhinocéros, et se dévoile totalement en une haine de sa différence et de sa vulnérabilité d’être humain : « Vous respirez trop faiblement, on ne vous entend même pas », en tant qu’elle ne s’intègre pas tout a fait dans la norme-mâle du rhinocéros.
[1] Antonio Gramsci (1891-1937) cité par Francesca Biagi-Chai au Forum SCALP à Choisy-le-roi du 29/03/17 dans son texte Montée du fascisme en Italie et en France. https://scalpsite.wordpress.com/2017/04/15montee-du-fascisme-en-italie-et-en-france-par-francesca-biagi-chai/
[2] Levi Primo, Si c’est un homme (1947), Julliard, Paris, 2014, p.311
[3] Ionesco E., Rhinocéros (1959), Gallimard, Paris, 1995. La pièce se joue actuellement à Paris à partir de la nouvelle de Ionesco (1957) au Théâtre Essaïon dans un seul-en-scène du comédien Stéphane Daurat. Par ailleurs on peut revoir aussi la pièce mise en scène par Emmanuel Demarcy-Mota sur YouTube https://www.youtube.com/watch?v=shAshYDnq9s&sns=em
[4] Le Figaro littéraire, 23 janvier 1960, p.9. cité dans la Notice de La Pléiade, p.1668.
[5] Rhinocéros, Wikipedia, https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Rhinocéros
[6] 6 Freud S., « (…) le moi n’est pas maître dans sa propre maison. », « Une difficulté de la psychanalyse » (1917) in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Éditions Gallimard, 1985, p.186
[7] Ionesco E., Rhinocéros, p.174
[8] ibid., p.145
[9] ibid., p.185
Comment résonne ce mot d’étranger dans ma propre vie puisque je suis française d’origine vietnamienne et en France depuis 60 ans?
Le mot ETRANGER, pour moi résonne avec le mot colonisation. La colonisation du Vietnam par la France a fait se mêler, l’autochtone et l’étranger, celui qui n’est pas du pays, aussi bien dans la colonie qu’en métropole.
Ayant la nationalité française, je suis de droit citoyenne, française. Née au Vietnam de parents vietnamiens par mes origines je ne suis pas d’ici, pas de France.
La question Suis – je étrangère ? S’adresse aux autres et à moi-même.
L’autre par ma physionomie, peut penser, dire, elle est différente, étrangère, ou ne pas le penser du tout. Mes amis, mes collègues, les gens que je fréquente, disent : …tu n’es pas différente de nous, ton origine étrangère, on n’y pense pas, on dit tu es vietnamienne comme on dirait… elle est brune pas grande. Mon origine est alors juste une caractéristique
Pour moi, mon origine est plus que cela : je suis vietnamienne, de culture et de nationalité française, cet ensemble fait mon identité, à n’en pas douter. Et vivant en France depuis longtemps je ne m’y sens pas étrangère.
Mais un fait m’étonne je ne suis par reconnue vietnamienne par des vietnamiens. Au Vietnam bien que je parle le vietnamien certes avec un accent d’ailleurs, Au Vietnam, je suis perçue étrangère.
En Midi-Pyrénées, pour mes compatriotes vietnamiens venus sur les boat people il y a 20, 25 ans suis française et pas vietnamienne … Pourquoi ? Il n’y a pas grand-chose à comprendre, d’emblée, je suis perçue française à ma manière d’être à ma manière de parler français. Donc on est d’une ethnie ou étranger, plus par sa manière d’être que par ses origines.
Une manière d’être française, que j’aurais acquise depuis mon arrivée encore enfant en 1953.
Le Vietnam, l’Indochine, était une colonie, sous l’autorité, du gouvernement frs. La supériorité des armes, lors de la conquête s’est étendue à la civilisation à la race, la supériorité des blancs justifiait la domination du pays et l’exploitation de ses richesses. Là dans mes premières années, les étrangers c’étaient les Français, des étrangers dominants, supérieurs, les colons traitaient les autochtones, les vaincus les dominés avec mépris. Au début des années 50 la résistance vietnamienne pour l’indépendance gagnait du terrain. Ma mère souhaitait la victoire de Hô Chi Ming, le père de l’indépendance mais celui-ci ne pouvait gagner sans l’appui de la Chine communiste. Nous sommes aux tps de la Guerre froide, une fois indépendant le Vietnam basculera dans le bloc communiste. Or vivre et faire vivre ses 5 enfants sous le régime communiste ma mère le refusait. Un an avant la défaite française de Diên bien Phu et l’indépendance en 1954, laissant ses biens, elle a fait le choix forcé de l’Exil vers la métropole. Là bas à l’horizon… la devise liberté, égalité fraternité, serait effective.
Sur le paquebot j’ai plus ou moins appris le français. A paris, nous n’avions ni parent ni amis, l’accueil fut favorable. Nous étions sujets de l’empire frs et étrangers, des jaunes d’un autre continent, différents par le faciès, qui parle le français, plus ou moins mal, avec l’accent. Mais nous étions des bons colonisés, ceux qui ont choisi la France, ses valeurs, sa supériorité…
Je suis rentrée en CM1. Priorité aux études et à la culture ma mère savait choisir les bons lycées Y avait-il une communauté vietnamienne à Paris dans les années 50 et 60 ? Peut –être, mais nous n’y participions pas. Ma communauté à moi, c’était l’Education nationale, élève boursière, j’ai appris là, le mode vie, la NORME française et je m’y suis conformée. La normalisation, était attendue, elle s’est faite. Dans la foulée des études à la Sorbonne, je suis devenue fonctionnaire de l’Education nationale, professeur d’Histoire et géographie, en la région parisienne puis dans le Tarn et Garonne et mariée à un Français . Ce parcours a-t-il permis que le racisme, je ne l’ai subi qu’exceptionnellement. Récemment il y a 6 ans au milieu d’autres français présents j’ai été traitée comme différente et inférieure, sans aucune raison on me parle, brutalement, autoritairement, on veut m’intimider, me dominer, me rabaisser, je l’ai vécu comme attaque très violente.
Je témoigne qu’être étranger en France ne pose pas tant de problème lorsque cette condition ne se double pas de discrimination de ségrégation. Certains français, seulement certains, dont ceux du FN, les nostalgique de l’ancien Empire français, font cet amalgame vis à vis des étrangers moins ou plus bronzés, noirs, … venus des anciennes colonies d’Asie d’Afrique, encore dominées il y a 60 ans, 50ans… Au XXI e. siècle il n’y a plus d’empires coloniaux, il y a les états et les peuples développés, et les états et les peuples sous développés.
Le colonialisme est toujours présent, le colonialisme c’est l’attitude qui justifie l’inégale valeur des peuples, ainsi que l’exploitation des pays sous développés, et des peuples jadis colonisés toujours considérés inférieurs, exploitation exercée par les puissances développées à des fins économiques.
Dès 1970, pendant les 30 glorieuses, Le Dr.J.Lacan, alertait, prévoyait la montée du racisme avec le colonialisme persistant et la volonté de normaliser ceux qui immigrent.
Il faudra bien qu’un jour ça s’arrête.
L’appel aux forum lancé par L’ECF n’a pas été sans conséquences. Les invités Jacques et Nicole Borie prévus de longue date aux journées d’étude régulières organisées par l’ACF La-Réunion ont répondu avec conviction à ce temps extra-ordinaire de conversation SCALP intitulée: « Pour la démocratie, des psychanalystes se mobilisent ».
Une philosophe, Brigitte, un écrivain, Daniel, une éducatrice, Vanessa, une infirmière, Michèle, des psychanalystes, des psychologues, des étudiants de l’Ecole Supérieure d’Art mobilisés par le thème : « la Haine, l’Etrange, La Peur; Parlons-en , » et intéressés sur ce que peut en dire la psychanalyse ont pris la parole. Bonjour l’angoisse quand des arguments rationnels échouent, quand le vote en faveur de MLP est assumé par des personnes qui ont fait des études, quand les intentions de vote plébiscitent les partis politiques extrêmes dans une île célébrée pour un modus vivendi multiculturel apaisé !
« L’implication de l’Ecole étonne et soulage », dit Nicole Borie : »Nous avons la responsabilité de comprendre ce qui nous arrive (…), c’est une lutte contre la peur agitée par le discours de MLP ». Daniel, évoque la peur de réveiller des choses de l’histoire encore très présentes. Il évoque une tradition non critique liée à un interdit où « faire de la politique c’est s’attirer les pires ennuis ». (…) Jacques Borie précise qu’il s’agit d’une erreur de pensée que ce phénomène appartient à notre époque. Dès 1900 et après la guerre de 14, Freud mettait en évidence le concept de la pulsion de mort. De structure, après chaque catastrophe, se produit un refoulement, la question serait de considérer ce qui pousse les humains à aller contre cela ». (…) La haine est aujourd’hui activée. Un de ses ressorts consiste à penser « nous » et « eux » avec la tentation de rejeter toutes différences (…), il y a une légitimation de ce discours, la haine devient transmissible : exclure l’autre au nom de c’est l’autre le responsable ». Vanessa écarte la vision idéalisée de La Réunion pour dire qu’on peut s’aimer et se haïr un peu, c’est une continuité, les communautés se côtoient, se respectent sans être dans une grande proximité ce qui est un savoir-faire qui s’est construit entre les différentes communautés pour que cela ne bascule pas dans la pulsion de mort.
« Garder le vif de la langue, l’éprouver et continuer à la vivifier (…), jusqu’où peut-on aller avec la langue pour dénoncer le discours totalitaire qui mortifie ce qu’il y a de vivant dans la langue ? », Nicole Borie incite à poursuivre la conversation, à faire un usage « des frottements des langues privées, une création cosmopolite ».
Moment de surprise : un jeune étudiant dont le thème de recherche est la scénographie déboule dans l’assemblée. Du haut de son pupitre, son exhortation à rejoindre son parti Pour Demain fait voler en éclats tous les discours politiques convenus et interchangeables tenus en meeting pour faire valoir sa cause : celle du genre. Il réussit ainsi à subvertir un discours qui sonne creux pour une parole singulière qui vaut pour chacun. A la menace d’interdit de présenter sa performance dans un régime totalitaire, Brandon répond : » ça ne vas pas m’entraver, ça donne encore plus envie de le faire ! ».
Dans cinq jours, Marine Le Pen pourrait être la présidente de l’horreur et il en serait fini de notre si chère république.
Je l’ai entendu parler de façon mièvre de sa conception de la protection sociale alors ce qui s’est imposé à mon esprit chagrin, c’est la protection sociale du régime de Vichy, le secours national, véritable organe de propagande de Pétain.
Il y a si peu de temps encore, ce régime né le 16 Juin 1940, formé et gouverné par le Maréchal Pétain sous la devise «Travail, Famille, Patrie » laissant aux oubliettes la devise de la république « Liberté, Egalité, Fraternité », n’était pas reconnu comme un gouvernement d’extrême droite, fasciste, totalitaire et de collaboration. La politique extérieure de ce régime était celle de « la Collaboration » avec l’Allemagne nazie. Ce régime prendra fin le 6 Juin 1944, les conséquences en ont été catastrophiques. Aujourd’hui encore, elles sont loin d’être toutes élucidées. Je suis en colère de constater le peu d’études consacrées au dessous de ce régime. Y aurait-il encore des choses à laisser enfouies ?
Dessus, en devanture
Le Secours National créé en 1914, reconnu d´utilité publique en 1915 est un organisme d’entraide regroupant différentes associations chargé de collecter des fonds pour apporter de l’aide aux militaires, à leurs familles ainsi qu’aux populations civiles victimes de la guerre, en épaulant les services sociaux déjà existants. Les revenus proviennent de taxes sur les jeux, les gains de la Loterie Nationale et divers legs et les surtaxes sur les timbres-poste !
Le gouvernement Daladier va le réactiver dès octobre 1939, à la tête un commissaire général Robert Garric, un homme aux doctrines saines, fidèle aux œuvres très catholiques du Moulin vert.
Dessous, Matin brun[1] en référence au livre de Franck Pavloff
Le secours national sous couvert d’être la principale structure d’action « humanitaire » devient un des instruments diaboliques de propagande du gouvernement de Pétain dont les fonctions vont s’élargir considérablement pendant la Deuxième Guerre mondiale au point d’apparaître comme « un État dans l’État ».
Pétain va se charger d’instrumentaliser le secours national hérité de la première guerre mondiale en un système unique et efficace de protection sociale ; l’efficacité de la protection étant une aide inconditionnelle à l’Allemagne nazie. Sous couvert de l’aide et de l’assistance aux victimes de la guerre, il propage la haine et l’antisémitisme. Les associations familiales, d’entraide doivent collaborer avec la police. La méthode de travail promue est la dénonciation.
Pétain s’octroie la paternité morale du secours national en fondant et confondant les différentes associations qu’ils regroupent et en dissolvant les mutuelles et autres groupements juifs, communistes ou franc-maçons. Certes il y avait des contestations que Pétain se chargea de faire taire manu militari mais le terrain était prêt des œuvres sociales et familiales telle que celle du Moulin vert s’y étaient employées en prônant dans un document remis à Petain : le mari chef naturel de la femme, la famille nombreuse, la lutte contre l’avortement et pour cela les associations familiales devaient œuvrer avec la police.
Les juifs sont exclus des conseils d’administration des bureaux de bienfaisance et privés de travail dans des organismes comme le Secours national ou la Croix Rouge française, dirigés par ailleurs par « des Français, nés de père français » ; et ceci en faveur de la collaboration.
Les juifs ne sont pas seulement exclus de toute responsabilité, ils le sont de l’aide en tant que victimes de guerre pourtant leurs biens confisqués, spoliés ont servi de façon éhontée à alimenter la trésorerie du secours national.
Au secours national, des bénévoles, des professionnels sont entrés en résistance souvent au péril de leur vie pour accompagner des enfants, des familles dans les camps et aussi pour cacher des enfants juifs.
Je salue ici leur courage pour nous avoir permis de retrouver la république et ses libertés aujourd’hui si menacées par Marine Le Pen et son parti.
Une seule réponse pour plus jamais ça, le vote pour le républicain et démocrate Emmanuel Macron.
[1] Franck Pavloff, Matin brun, Cheyne.
« La psychanalyse concerne les sujets un par un, dans leur particularité. C’est une histoire privée. Mais ce privé, d’être noué au langage, est par là même pris dans la grande Histoire, l’histoire publique. Cela vaut pour l’intime de chacun. Quelle que soit sa biographie, de quelque pays qu’il vienne. Pour tous ceux des générations posts-nazies, la petite et la grande histoire se sont bien nouées dans la poubelle des camps. »[1] La femme qui parle ainsi appartenait à une génération précédente. Anne-Lise Stern avait 22 ans lorsqu’elle fut déportée à Auschwitz-Birkenau.
J’ai été en analyse avec cette grande psychanalyste, membre de l’École freudienne de Paris, analysante de Jacques Lacan, auteure du livre témoignage « Le Savoir-Déporté. Camps, Histoire, Psychanalyse.« . Depuis le 6 mai 2013, (nous commémorerons l’anniversaire de sa mort la veille des élections), Anne-Lise Stern n’est plus là pour faire entendre ce savoir-là, né de son expérience du camp, nouant ce qu’elle avait vécu là-bas à ce qu’elle avait repéré dans ce qui se dit et se répète ici, et encore plus maintenant.
C’est une question que je me suis souvent posée avec angoisse et qui m’a longtemps travaillée. Comment vivre en sachant que la Shoah a eu lieu ? Est-ce que ça peut se reproduire ? Quand le trou du réel des camps s’est dévoilé jusque dans ma clinique avec un cas d’enfant, je me suis mise en quête d’ouvrages. C’est par la lecture fulgurante de son livre que j’avais souhaité rencontrer Anne-lise Stern pour un contrôle, puis poursuivre ma cure avec elle. Ma première analyste ne pouvait pas entendre ce que je cherchais à comprendre de ce que la Shoah et la langue du troisième Reich avait produit et transmis comme traumatisme impactant directement le langage. D’une deuxième génération née après, et de surcroit « non juive », je ne devais pas être concernée à ce point, me disait-elle. Il ne fallait pas penser de ce côté là. Avec Anne-Lise Stern, j’avais trouvé un lieu d’accueil et d’adresse sans ambages, sans censure, sans jugement, où élaborer mes questions les plus intimes, les plus indicibles sur le sujet, depuis ma génération et sans être juive. Ma souffrance liée à cet héritage inouï de l’Histoire constitué par l’existence des camps de concentration, qui était insupportable et contre laquelle je m’étais fabriqué des défenses coûteuses, pouvait être enfin déchiffrée. En séance, nous parlions parfois de son expérience de la déportation, son corps en était marqué, « ça se charge d’y penser pour moi, ce numéro d’Auschwitz qui tatoue mon bras.(…). Même si je ne l’exhibe pas, les autres – que je parle, que je me taise – y pensent par force, eux aussi à ça. »[2]. Parce-que je voulais savoir, et que je pouvais savoir, ma cure avec Anne-lise Stern m’a permis de sortir d’une fascination du voir-ça et d’un point de jouissance insu, pris dans l’horreur de signifiants toxiques hérités de mon histoire privée noués à l’histoire publique de la seconde guerre mondiale, redoublés par la guerre d’Algérie. Ce point de jouissance, Anne-Lise Stern me l’avait interprété, et ce fut salutaire, libérateur, un instant de voir qui a ouvert sur le temps pour comprendre, sur une élaboration et une symbolisation rendue enfin possible me permettant de sortir du réel trop réel, ce réel des camps imaginarisé auquel je restais fixée. J’ai pu retrouver dans mon histoire familiale cet arrière grand-père mort du typhus, dans un camp de concentration en 1942, déporté parce-que dénoncé comme résistant communiste, dont personne ne m’avait parlé, mais dont mon père porte le prénom. Derrière le mot typhus avait été refoulée l’horreur du camp de Gross-Rosen, comme un effacement de la mémoire du camp de concentration. J’ai pu ressentir un apaisement de constater que cet aïeul s’était engagé dans la lutte au péril de sa vie, transformant le devoir de mémoire culpabilisant, en inscrivant un héritage et une mémoire incarnée du combat contre le fascisme, dont je me sentais désormais reconnaissante et redevable.
Lors d’une séance sur l’actualité de la montée du FN et de son discours négationniste, Anne-Lise Stern avait évoqué le terme de « dénazification », sorte de mot écran destiné à faire croire que tout était terminé de ce côté là, comme le « Plus jamais ça » sur lequel nous nous étions endormis. Mon analyste y réagissait tous azimut. Je me souviens de sa colère toujours prête à éclater, de sa solitude dans sa lutte à contre sens du travail de l’oubli de l’histoire, de son vif désir de transmettre encore et toujours et ce jusqu’à la fin de sa vie, d’alerter en enseignant, et en démontant les effets mortifères d’un discours de haine, issu de l’idéologie nazie qui n’a jamais cessé de diffuser son venin. Le FN en est tout empoisonné. Et nous en subissons tous les jours un peu plus la contamination.
Depuis les résultats du premier tour, j’ai une nausée persistante, événement de corps qui signale un réel. Je me connecte à internet, en ces temps complexes et tourmentés, plus que de coutume. Je lis de ci de là des posts politiques, de plus en plus violents, de plus en plus haineux. Parfois, je ne prends pas suffisamment garde et je suis tentée de relayer ce qui s’affiche comme « contre le FN » et qui, à y regarder de plus près, laisse surgir un je ne sais quoi qui m’alerte. Une ambiguïté s’y est glissée, provocant un malaise. L’empoisonnement par la Langue FN est là. C’est donc tout un travail de lecture, de repérage, de réflexion, d’analyse, et de désactivation de signifiants FN qu’il faut effectuer et remettre sans cesse sur le tapis. Le langage est mis à mal et envahi par ses mots slogans qui diffusent leur programme de haine. Après Victor Klemperer[3], c’est un nouveau philologue qui pourrait prendre le relais de l’étude de la Lingua Tertii Imperii, (qui n’est pas une langue morte) et étudier ses rejetons dans les effets du discours FN, connecté dés sa fondation à l’idéologie nazie. Tous les codes et les mots du langage commun sont désormais attaqués par cette novlangue toxique : mots dévoyés, suremployés, changés, détournés, retournés, si ce n’est, vidés de leurs significations, créant la plus grande confusion, propice à la propagation de l’idéologie de l’extrême droite et à la fascisation des esprits, en surfant sur l’émotion. Tout va très vite dans l’agitation des propos FN qui ont pignon sur rue désormais, renforcés par la propagande très virulente d’internet.
Aussi virulente parce-que sans complaisance, la farce ayant valeur d’interprétation de Jacques-Alain Miller donnée dans « Le bal des Lepéno-Trotskystes »[4] faisant tomber les masques, par un rappel de l’histoire des hitléro-trotskistes au moment du débarquement « ayant nui à la Résistance et collaboré avec l’occupant et les nazis français », est une flèche qui vise dans le mille. Hier soir, 1er mai, aux Bouffes du Nord, JAM a été interrompu pour la deuxième fois en tentant d’alerter à sa manière, et avec sa singularité, nos concitoyens sur le retour du nazisme, réincarné dans des versions disparates. Cette censure m’a fait prendre conscience que le pire est à attendre pour dimanche. Les prises de paroles courageuses de JAM, à rebours de ce qui ne peut pas se dire, y engageant son corps, et sa voix profonde, me rappellent celles d’Anne-Lise Stern au sujet de son expérience de la déportation : « En témoigner publiquement risque de tourner au psychodrame, ou de coûter trop cher à celui qui s’y offre. »[5].
L’emballement de la fin de campagne présidentielle dans un climat de grande hostilité jamais connu jusqu’alors, porte l’effet des signifiants du nazisme, réactivés par le discours du FN. Le 7 mai, c’est un rendez-vous avec l’Histoire que nous avons, la veille de la commémoration du 8 mai 1945, célébrant la défaite du nazisme et de la capitulation de l’Allemagne. Et c’est seul, au un par un, épars désassortis en marche pour la démocratie, dans la solitude de l’isoloir, que nous allons y répondre, avec l’arme du vote Macron en acte.
Anne-Lise Stern avait répondu en partie à ma question sur le retour du pire. En Lacanienne, elle ne m’avait laissé aucun espoir. Aucune garantie ne peut être apportée par un homme ou un parti politique à ce qui se rejoue aujourd’hui du malaise dans la civilisation. C’est bien à chacun, depuis son histoire privée prise dans l’Histoire, et de ce qu’il en fait, de se positionner clairement. Jamais la question de ne pas céder sur son désir de démocratie n’aura été aussi fortement posée par une élection. Che voi ?
[1] Anne-Lise Stern, « Passe, du camp chez Lacan. Berlin » in Le Savoir-Déporté, Paris, Seuil, 2004, p 241.
[2] Ibid. p 241.
[3] Victor Klemperer, auteur de l’essai Lingua Tertii Imperii (Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue).
[4] Lacan Quotidien 673, Jacques-Alain Miller, Le bal des lepénotrotskistes.
[5] Ibid. p 241.
ARTICLE PUBLIÉ SUR LEXPRESS.FR
En 1942, Franck Capra se voyait commander par le gouvernement des Etats-Unis sept films de propagande destinés à contrer les effets à long terme du chef d’œuvre hitlérien de Léni Riefensthal, Triumph des Willens (Le Triomphe de la Volonté), 1935. La série américaine, elle, s’intitulait Why We Fight (Pourquoi nous combattons).
Nous n’avons pas attendu une commande d’Etat qui ne serait jamais venue. Nous avons décidé de compter sur nos propres forces et de tout faire pour contrarier – afin d’en inverser les effets – cette maudite stratégie dite de « dédiabolisation » qui fut initiée par Marine Le Pen, embrassée avec enthousiasme par les médias, et qui l’amène en ce début mai, selon l’expression consacrée, « aux portes du pouvoir ». Notre objectif : re-diaboliser le FN (le mot est de Christian Barbier sur BFM) qui n’a jamais cessé, à nos yeux, et pour qui tient à l’image, d’être le diable.
Nous nous sommes appuyés sur l’implantation nationale de l’Ecole de la Cause freudienne, la principale association lacanienne du pays, reconnue d’utilité publique, pour organiser SCALP, une Série de Conversations Anti-Le Pen. Ce furent vingt Forums à travers toute la France (dont l’un à Bruxelles, avec de jeunes fonctionnaires du Parlement européen qui ne sont pas du tout ce qu’on nous dit). Le dernier sera à Paris, ce vendredi, dernier jour de la campagne, à la Maison de la Chimie, de 17h top chrono à minuit non-stop.
Que disons-nous ? C’est très simple. Que le FN n’est pas un parti nouveau-né, mais qu’il appartient à la tradition contre-révolutionnaire. Le pays lui doit de très grands écrivains (Joseph de Maistre, Céline), de bons penseurs, essayistes et stylistes (Bonald, Taine, Morand, Drieu, Chardonne, etc), de grands couturiers et de grandes actrices (Chanel, Arletty), quelques grands résistants (mais oui !) – et il ne disparaîtra pas (peut-être est-il nécessaire au divin brouet français – qui sait ?). Mais jamais, au grand jamais, il ne faut laisser ces gens mettre la main sur les leviers du pouvoir d’Etat. Car, alors, ils perdent la tête et deviennent dangereux pour le pays. Ce sont les crimes abjects de Vichy, les exactions de la Milice et le reste – jusqu’aux procès d’épuration où les juges furent d’anciens pétainistes jugeant d’autres pétainistes moins chanceux. Nous ne voulons pas revoir cela.
Marine Le Pen, c’est l’assurance de la ruine économique par la sortie de l’euro, suivie de l’instauration d’un régime autoritaire pour contrôler le désastre, et enfin, devant l’échec patent, l’apparition de la folie meurtrière dont le passé (Vichy, mais pas seulement) a donné de funestes exemples. Marine le Pen, ayant sacrifié un père adulé aux ambitions de sa clique (au premier rang de laquelle son ami de cœur, Florian Philippot) est une femme fragile en dépit de sa silhouette de soudard : on peut, vraiment, en attendre le pire.
Ecouter les électeurs du FN, leur désespoir, leurs doléances, pourquoi pas ? Ce sont nos frères humains, comme dit François Villon. Les chefs lepénistes, c’est autre chose. Aussi bien n’a-t-on nullement traité de la même manière l’Allemand du commun et les nazis de Nuremberg. Aux uns, la reconstruction accélérée, l’épanouissement économique, et un solide Deutschemark rassurant la ménagère côté Kinder, Küche und Kirche (« enfants, cuisine et église »). Mais pour les chefs, la corde, tout simplement. Crac boum hue ! dirait Tarentino.
Lors du Forum de vendredi prochain, la direction du FN sera dénoncée pour ce qu’elle est : un ramassis d’admirateurs de Hitler (n’est-ce pas, M. Chatillon ?), de négationnistes (n’est-ce pas, M. Jalkh ?) de détrousseurs de cadavres (Marine Le Pen citant Jaurès que les nationalistes assassinèrent en 14), de rescapés de l’OAS, d’anciens de la Waffen-SS ayant juré fidélité au Fürher, plus, pour la galerie, un clown pervers comme Gilbert Collard et un assortiment de divers misfits. La tante jalouse a écarté sa nièce, trop jolie, trop bien élevée, et catholique pratiquante.
Ah ! on comprend l’intérêt de cette racaille à ce qu’on ne parle plus, plus jamais de son passé et de ce qu’il laisse présager de son avenir ! Que les médias aient considéré que tout rappel de cette filiation était désormais ringard, c’est leur affaire. Nous, nous disons le contraire : la mémoire, et encore la mémoire. Au fur et à mesure qu’approche le moment fatidique, les masques tombent. Marine parle du Vél d’hiv comme on en parle dans sa bande : c’était un complot juif, n’est-ce pas ? Et ce complot n’avait pour objet que de compromettre des Français innocents qui traversaient la rue et n’y étaient pour rien…
Venez, nombreux, ce vendredi 5 mai, à l’invitation de L’Ecole de la Cause freudienne et de La Règle du Jeu.
Meeting du front national et un simple constat : la bête grossit. JM Le Pen l’avait prédit : « je suis la bête immonde qui monte » (réunion de Compiègne, 1984). Slogans haineux, désignation, manipulation des images, et autres techniques bien connues du Front National à l’origine des catastrophes de l’histoire saturent l’espace public et font leur oeuvre. Tout y est. Tout fonctionne. Le front républicain n’est plus et l’entreprise de diabolisation de Macron est en passe de réussir.
Une question s’impose : est-on arrivé au terme du processus ou bien le ventre est-il encore fécond d’où peut sortir l’immonde tant la crise du sujet et celle du temps présent semblent faire rencontre ?
Le temps de reconstituer l’histoire viendra, celui d’identifier les objets, les grandes figures et logiques capricieuses ou répétitives qui l’ont produite. Mais « l’attitude analytique »[1] n’est pas celle de la construction in mémoriam, ni celle du constat, pas plus que celle du spectateur averti. Fréquenter l’inconscient permet de percevoir l’urgence du présent et d’ajuster son acte.
Politique du réveil : lutter contre la bête. Agir, mobiliser. Saisir les circonstances réglées ou aléatoires de l’instant qui font de chacun un sujet de l’histoire assemblé à d’autres dans le vent de l’Histoire.
[1] Miller, JA, Choses de finesse en psychanalyse, cours du 11 mars 2009.
1940 Newark USA, les élections présidentielles…. Un certain Charles Lindbergh et l’ancien président F.D.Roosevelt….
Personne n’y croit. Ce n’est pas possible…. Pourtant si, Lindbergh est élu.
Mais tout se passera bien, cet homme a de grandes qualités, et veut la grandeur de l’Amérique, le bonheur simple de ses concitoyens, du travail pour tous.
“ Notre pays est en paix, notre peuple est au travail. Nos enfants sont à l’école. Je suis venu jusqu’à vous pour le rappeler. À présent je rentre à Washington pour que cela continue.”[1] dit-il.
Paroles rassurantes et très étranges, prononcées, sur fond de guerre mondiale, et de révoltes citoyennes.
Désormais hors la loi, les révoltes visant à défendre et garantir les libertés d’être et de penser sont contenues par la violence et connaissent une repression sanglante. Sous la chasuble de la sécurité pour tous, se profile celle de la camisole pour tous.
Ai confiance, crois en moi et laisse moi t’endormir pour faire de toi ce que je veux, pourrait en être un sous-titre.
C’est ainsi qu’un jour, sans s’y attendre, sans en peser les conséquences, puis sans y croire vraiment, l’Amérique se reveille sous le joug d’un gouvernement à tendances dissimulées anti-libertaires, violentes et repressives, pour faire le bien.
Il s’agit d’une fiction de l’écrivain américain Philip Roth. Cependant, comme souvent, la réalité pourrait dépasser la fiction.
À quel point il serait terrible de nous reveiller, à l’instar des personnages de ce roman, dans un cauchemar.
[1] Roth, Philip, Le complot contre l ‘Amérique, 2004, Gallimard, p. 439.
Je rejoins le mouvement punk en 1979. Ce mouvement est né d’un constat et d’une frustration. Le constat, c’est l’échec du courant issu de 68. Frustration face à ce que nous observions à l’époque déjà : le capitalisme recycle tout, les hippies et les révolutionnaires étaient déjà recyclés. Nous serions donc irrecyclables, des déchets, des punks. Nous lisions, entre autres, Sade et Sacher-Masoch.
Cette position trouva ses intellectuels parmi lesquels Jello Biaffra, qui fit la dernière campagne américaine avec Bernie Sanders et qui déjà s’était présenté à la mairie de San Francisco finissant en 4e place de cette élection en 1979, et dont le groupe, les Dead Kennedys, annonçait cette même année, dans son célèbre « California über Alles », la dictature du politiquement correct. Nous y sommes. L’interview de JAM sur France Culture est un pur produit de ce politiquement correct qui vient annuler tout débat.
Avant eux, en même temps que Lacan, les Clash parodiaient le célèbre « Peace and Love » en hurlant que ce qui était plutôt entrain de se profiler, c’était « Hate and War ». Montée de la ségrégation via le capitalisme.
Lacan était-il punk ? Oui, bien sûr, puisque mon ami Pierric avait surgi à une répétition de notre groupe ce jour de septembre 1981 avec la une de Libé annonçant la mort de Lacan, « Tout fou Lacan », en disant : « Putain les gars, Lacan est mort ! » Qui était Lacan ? Mais Pierric, c’était l’intellectuel du groupe et sa mère était psychanalyste, il savait pour nous, nous partagions son affliction. Ce jour-là, nous jouâmes en l’honneur de Lacan dont les autres membres du groupe et moi-même ignorions tout.
JAM est-il punk ? Bien sûr, il dit « nuls », « débiles », « pédés » sur France culture, il pulvérise les semblants et le politiquement correct, la bienséance. C’est son « No future » à lui, démontré, argumenté.
1) Montée au zénith des nuls, ceux qui ne voient nul-lement l’enjeu.
2) La dédiabolisation, c’est une ruse du diable.
3) Le Pen, c’est le diable, tout fait ventre, même les homos.
Très rapidement le mouvement punk s’est morcelé. Il y a eu ceux qui ont rejeté la société : la drogue et la rue ont eu plus ou moins raison d’eux. Il y a eu ceux qui se sont engagés : les Skin Communistes, les anarchistes, les trotskistes, les anti-fascistes dont j’étais (ne pas oublier qu’il y avait le franquisme, les mouvements indépendantistes : IRA, ETA, les dictatures au Chili, en Argentine…, l’émergence des Brigades rouges, la bande à Baader, les CCC…) Et enfin, il y a ceux qui sont immédiatement rentrés dans le rang. Il y avait une attirance vers la radicalisation sous l’émergence d’Action Directe, j’étais en fac à Lyon.
Je me souviens des combats contre le GUD, l’UNI. Mais c’est une bagarre entre punks qui m’importe aujourd’hui. Lors d’une réunion, une discussion s’était engagée entre un groupe de punk trotskiste et mon groupe, plus proche de la mouvance libertaire anti-fasciste. Le ton monte et l’un des trotskistes soutient que l’arrivée du fascisme au pouvoir ne pouvait être qu’une bonne chose car cela ferait naître un contre mouvement qui permettrait l’avènement du communisme. Impossible de le raisonner. Impossible de débattre. Il s’affirma même prêt à voter pour l’extrême droite. Nous nous bâtîmes.
Aujourd’hui, c’est dégagé de cette prise dans l’imaginaire que je veux cogner sur ceux qui sont prêts à rejoindre, par leur abstention, cette autre face du fascisme. Cogner, comme le souligne JAM dans politique lacanienne, de la bonne façon, en ne cédant rien et en interprétant en acte cette position de jouissance mortifère tenue dimanche soir par JLM.
Je me méfie de Macron, mais je voterai pour lui sans atermoiements. Désormais, pour Mélenchon, je suis averti.
Le front national a changé. Ce fut d’abord, au soir du 5 mai 2002, l’apparition du visage de Marine Le Pen. Jeune, blonde aux cheveux longs, le discours plus policé qu’habituellement pour un membre de son parti; je me souviens m’ être dit ce soir-là, l’écoutant parler, qu’elle était beaucoup plus dangereuse que son père. Si le fond idéologique de son discours ne change en rien, il change en tant qu’elle sait, ou souhaite, manier les semblants bien plus que lui. Elle a nommé depuis ce soir-là, cette nouvelle entreprise : « dédiabolisation ». « « Nos idées progressent, mais notre plafond de verre, c’est la diabolisation », lance la jeune avocate à quelques proches au lendemain de la défaite, rapporte le journaliste Olivier Beaumont dans son ouvrage Dans l’enfer de Montretout. « [i] Cela deviendra sa visée, au point de conduire à l’exclusion de son père du parti pour ses propos tenus sur le maréchal Pétain en avril 2015 : « Je n’ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L’on a été très sévère avec lui à la Libération. Et je n’ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l’estime pour le Maréchal. », ainsi que le renouvellement de ceux sur les chambres à gaz qu’il qualifie de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
Ce masque, porté sur cette idéologie, pourtant toujours aussi haineuse, réussit à ce que s’insinuent des idées, qui hier encore horrifiaient ; il réussit à ce que ce qui ne se disait pas, se dise, avec de moins en moins de retenue, de moins en moins de honte.
Dans son désir de purification, notamment au sujet de leurs idées antisémites, le terrorisme islamiste fut une aubaine.
Mais ce qui change fondamentalement et qui fait prise, prise au discours dans le lien social, c’est l’alliance des idées nationalistes et de certaines idées socialistes, ou tout du moins sociales, car le socialisme ce n’est pas ça. Si au cours de l’histoire du front national, nous ne repérons pas de réelle identité idéologique sur le plan économique, pour autant, jamais des idées aussi « sociales » n’ont été rattachées à leur idéologie fasciste et xénophobe.
Depuis 2016, Marine Le Pen a construit son discours autour de deux axes : nationaliste et social, tous deux s’articulant autour d’un discours antieuropéen, qui sous couvert de protection, attisent la haine de l’étranger, de l’autre, de la différence.
Ce changement dans le discours, n’est en rien un changement dans la doctrine. L’excellent reportage d’Envoyé Spécial, en collaboration avec Marianne et Mediapart du 16 mars dernier, témoigne de ce qui se cache derrière le masque : les liens avec le GUD, avec le mouvement lutte identitaire, les propos odieux sur « les negros », Auschwitz, les propos négationnistes… Son récent « dérapage », lorsqu’elle claironne que « la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv », laisse apparaître aussi le retour du même, qui n’est seulement que voilé.
C’est par contre un changement essentiel, il permet leur ascension, en ça, il est terriblement dangereux. C’est l’alliance de ces deux idéologies qui a permis l’implantation du national-socialisme en Allemagne. Le DAP, parti ouvrier allemand, fondé en 1919, « est l’un des nombreux mouvements Völkisch à la fois nationalistes, antisémites, anticommunistes et anticapitalistes qui émergent en Allemagne après la défaite du pays à la fin de la Première guerre mondiale et cherchent à se rallier la classe ouvrière » [ii] . Il recrute parmi les couches moyennes inférieures. On y prêche la lutte contre la finance internationale et « l’esclavage de l’intérêt ». La lutte contre ce que Marine Le Pen nomme aujourd’hui le système.
La dédiabolisation supposée, cache une vérité bien plus terrible que ce que son père affichait en plein jour. Bien plus terrible, non pas, parce que son père l’était moins, mais car elle apporte le terreau qui manquait pour que s’implantent leurs idées fascistes. Elles ont aujourd’hui germé au point que la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ne fasse aucune vague. Quinze ans nous séparent du premier tour de 2002, et, du séisme pour la France, nous passons à une quasi indifférence. Pas de tous, bien sûr, loin de là, mais la différence est plus que saisissante.
Une version contemporaine du national-socialisme est aujourd’hui le deuxième parti de France. Citoyens, il n’y a face à cela qu’une voie, celle de dire non. Et dire non ce n’est pas seulement dire que l’on appelle à voter contre Marine Le Pen, c’est aller plus loin et dire que voter blanc ou s’abstenir ce n’est pas voter contre, c’est au contraire permettre que, peut-être, l’ignominie se produise. C’est à ce jour Emmanuel Macron, cela aurait pu être un autre, et de la même manière, contre ce danger, il n’y aurait eu d’autre voie que de voter pour le candidat qui s’oppose à Marine Le Pen.
Marie Leblanc
26 avril 2017
[i] Site internet france info, 2002-2017: comment Marine a tué Le Pen, Clément Parrot.
[ii] Source internet, Wikipédia, article Parti national socialiste des travailleurs.
LE TRIOMPHE DU DIABLE
Je m’apprêtais à suivre le conseil que Françoise Giroud donnait jadis aux journalistes en herbe et à mettre sur le dessus de mon panier, à la première page de ce Journal, la plus belle fraise que j’avais cueillie durant la journée de samedi, à savoir une idée mienne qui avait illuminé pour moi la logique que je cherchais de la fameuse « dédiabolisation », quand Rose-Marie Bognar-Cremniter m’apporta ce qu’elle venait de transcrire des propos tenus par Alain Finkielkraut lors de sa dernière émission dominicale de Radio J sur le sujet de la visite rendue par Emmanuel Macron au Mémorial de la Shoah à Paris.
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Stupéfaction et incrédulité furent mes premiers sentiments. Je le vois, je n’arrive pas à le croire.
Je dus me rendre à l’évidence, et le sentiment dominant, ce fut alors l’accablement. Si même un Alain Finkielkraut, qui a annoncé voter Macron, voue tant de haine à ce que celui-ci représente à ses yeux qu’il fraye la voie au vote Le Pen dans l’esprit de son lectorat, alors Marine Le Pen va passer. Elle a partie gagnée.
La logique de la dédiabolisation est arrivée à son terme. C’est maintenant au tour de l’adversaire électoral du FN d’être diabolisé, pendant que la normalisation du FN, tenue pour un fait accompli, se sublime peu à peu en une sorte de sanctification laïque du parti nationaliste.
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Je ne suis pas un ami personnel d’Alain Finkielkraut. C’est un garçon de ma génération dont je n’ai jamais croisé le chemin ni dans ma jeunesse ni dans mon âge mûr. J’ai suivi de très loin son parcours.
Le premier et le seul de ses livres que j’aie lu a été sa Défaite de la pensée, paru en 1987. Je pouvais partager certaines de ses ironies, je ne me retrouvais ni dans la tonalité dépressive, mélancolique, de l’opus, ni dans le dignostic heideggerien porté sur le malaise contemporain dans la civilisation, et je me sentais à tous égards plus proche de l’ouvrage qui l’avait sans doute inspiré, le best-seller du Pr Allan Bloom, The Closing of the American Mind, 1987, vaste fresque carnavalesque d’un monde universitaire parcouru de mouvements sociaux délirants et saisi d’une folie de pureté traduisant un appel désespéré au Nom-du-Père. C’était l’ouvrage d’un grand universitaire gay du type « grande folle », ancien élève de Leo Strauss, et enseignant allumé et allumant de Platon et de Rousseau sur les campus américains d’élite.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet érudit hors normes. La revue Commentaire lui a consacré un numéro d’hommage que j’ai soigneusement gardé, mais que je ne retrouve plus dans mon désordre. Il a inspiré à Saul Bellow un merveilleux roman à clef dont il est le personnage principal : Ravelstein.
Plus près de nous, si j’avais été sollicité de donner mon avis lors du débat que provoquèrent les réformes de Mme Najat Vallaud-Belkacem, j’aurais dit que je partageais la plupart des opinions exprimées par Alain Finkielkraut. J’avais souvent admiré la vaillance dont il faisait preuve quand il bataillait à contre-courant au cours de ces dernières années en faveur d’Israël, même si j’aurais eu à faire état de certains différends si nous avions eu l’occasion d’échanger. J’ai été sensible au talent qu’il a su déployer durant un âpre débat télévisé face à mon ami Edwy Plenel, l’avocat si éloquent de la solidarité inconditionnelle avec les opprimés, en premier lieu les musulmans des pays développés.
Enfin, j’ai eu il y a deux ans, en juin 2015, le plaisir d’être invité par lui à sa célèbre émission « Répliques » sur France Culture, afin de poursuivre sur les ondes un débat que j’avais commencé par revue interposée avec mon ancien camarade althussérien Jacques Rancière. Celui-ci fit remarquer que, sur le point en débat, Finkielkraut et moi étions du même côté par rapport à lui, Rancière.
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Qu’a donc dit Alain Finkielkraut de si terrible ? Je ne voudrais pour rien au monde tronquer ni déformer des propos qui se suffisent à eux-mêmes, si je puis dire.
On trouvera en fin de numéro les transcriptions qui m’ont été apportées par mon assistante et amie Rose-Marie. Je suppose que l’on peut avoir accès au replay de l’émission sur le site de la revue Causeur et celui de Radio J.
En bref :
Enfin, perce une sympathie pour le FN. Un « cordon sanitaire », dit Finkelkraut, avait été établi « autour du FN sous prétexte de nous protéger. Elsabeth Lévy : « Mais c’est pour nous protéger aussi des questions qu’il pose et des demandes de ses électeurs. » Alain Finkielkraut : « Exactement. »
Ce faisceau, un fait plus trois énoncés, explique selon Finkielkraut le déclenchement de sa colère, et le fait que « le fils de déporté en moi (AF) hurlait. »
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Au moment de dactylographier ces lignes, je ne suis plus dans l’instant-de-voir, je suis entré dans la séquence de ce que Lacan appelle « le temps-pour-comprendre », qui demande plus de sérénité, « le silence des passions » aurait dit Jean-Jacques.
Je demeure néanmoins effaré de la débilité mentale dont témoignent de tels propos, et de l’abjection politique à laquelle ils conduisent tout droit Finkielkraut.
Finkieikraut votera Macron à titre personnel, mais il fait simultanément tout son possible pour que ses lecteurs, ceux qui lui font confiance, interprètent son désir au-delà des mots que lui impose de dire le « politiquement correct » — et votent bel et bien Le Pen, tentation qui travaille, on le sait, des milieux juifs radicalisés à droite, et que vise particulièrement la revue Causeur d’Elisabeth Lévy.
La démarche de Mélenchon n’est pas différente : constuire de toute pièce un casus belli avec Macron, de façon à ce que les électeurs adulant le chef de la France insoumise soient amenés à se dire qu’ils n’ont pas d’autre solution que de déposer dans l’urne un bulletin Le Pen, tentation qui s’est fait jour à de multiples reprises.
La conjonction des tentations, la double tentation exercée par la Bête immonde, peut faire élire Marine Le Pen présidente de la République. Il reste peu de jours pour exposer devant le peuple français le formidable étau où sa liberté est enserrée et menacée d’être écrasée.
Foin de Mélenchon ! La seule question le concernant est de savoir combien de temps les médias joueront les autruches avant de redécouvrir le pot-aux-rose de sa filiation hitléro-trotskiste et ce qu’elle éclaire de ses présentes manœuvres pour désarmer la jeunesse et la livrer à ses ennemis.
Pour ce qui est d’Alain Finkielkraut, il s’agira de comprendre. Comprendre comment un esprit disert et délié, comblé des plus grands honneurs par la République, a pu glisser dans un discours où la bêtise le dispute à la canaillerie.
Dès ce soir, après avoir lu ce texte lors de la soirée anti-Le Pen qu’organise le monde de la culture au Théâtre des Bouffes du Nord, et où j’ai été convié à prendre la parole bien que n’éant pas un artiste, je commencerai de livrer mes premières hypothèses.
Jamais à vrai dire je n’aurais soupçonné qu’Alain Finkelkraut avait le cerveau d’un shlémil.
Ce mot yiddish désigne un pauvre d’esprit, un simplet. Dans les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, le nommé Schlémil se fait voler son ombre par le Diable. C’est bien ce qui est arrivé à ce cœur qui se croyait assez intelligent pour festoyer avec Satan. Mais c’est Satan qui mène le bal, pauvre Alain, le bal des lepénotrotskistes, et tu es le dindon d’une farce dont tu crois être le metteur en scène.
Tu n’es que « la marionnette vivante » de ton fantasme.
LES AMIS DU JOURNAL EXTIME
IL Y A URGENCE
Le texte de cette pétition n’a pas été adressé au Journal extime par ses promoteurs ; il m’ a été communiqué par Stella Harrison, membre de l’Ecole de la Cause freudienne.
Pétition en vue du second tour de l’élection présidentielle
Il nous a semblé que l’initiative prise par quelques chrétiens bien connus méritait d’être portée à la connaissance des lecteurs de « Dieumaintenant ».
« Il y a urgence » à endiguer la progression du Front National. Vous trouvez ici le texte de la pétition. Pour la signer, cliquer sur le lien suivant :
Il y a urgence ! Notre pays va devoir choisir entre deux projets politiques radicalement différents. Certaines personnes, revendiquant leur identité catholique ont annoncé qu’elles voteraient Marine Le Pen, et d’autres, qu’elles refuseraient de choisir entre les deux finalistes. Nous respectons leur choix : entre l’appartenance chrétienne et les choix politiques, il n’y a pas de continuité mais un discernement, une prise de risque, déterminés par les sensibilités et les solidarités de vie. À notre tour, nous, qui sommes également chrétiens, souhaitons énoncer les raisons qui nous conduiront à voter Emmanuel Macron le 7 mai prochain
Marine Le Pen prétend se faire l’écho du cri et des souffrances d’une partie de celles et de ceux qui se sentent exclus des opportunités de la mondialisation, méprisés ou ignorés par la « France d’en haut ». S’il faut prendre au sérieux la détresse de ces personnes, il faut reconnaître que les solutions que propose Marine Le Pen sont dangereuses et néfastes pour ceux-là même qu’elle dit vouloir défendre. La sécurisation qui reposera sur l’exclusion d’autres personnes en situation de fragilité, alimentera la rancœur sociale. La dénonciation des élites n’est qu’opportunisme. Ces solutions ne peuvent nous satisfaire. Au-delà des enjeux moraux, elles nous semblent foncièrement dangereuses pour l’harmonie sociale et pour la dynamique économique.
D’un point de vue international, la sortie de l’Union européenne et des grands traités aura des conséquences économiques catastrophiques. Dans l’histoire récente, les nationalismes économiques et politiques ont toujours conduit vers la guerre. Dans les années 1930, comme dans l’actualité récente, les leaders populistes se soutiennent dans la conquête du pouvoir avant de s’affronter une fois devenus maîtres du terrain de jeu international. La paix mondiale, que nous connaissons depuis 1945, repose sur des mécanismes de sécurité collective et de coopération supranationale qui n’ont pu voir le jour qu’au prix de deux guerres mondiales qui ont fait plus de 60 millions de victimes.
La proposition de Marine Le Pen de neutraliser religieusement l’espace public nous paraît aberrante. Attentatoire aux libertés individuelles, cette mesure alimenterait les luttes pour la reconnaissance, renforçant les communautarismes. C’est lorsque nous sommes reconnus dans notre identité profonde que nous pouvons donner le meilleur de nous-mêmes au collectif qui nous accueille. Si le discours a été poli, si un effort de respectabilité a été fait concernant ces candidats, nous ne pouvons ignorer les nombreuses connexions qui continuent à exister, notamment sur Internet, entre le Front National, la sphère néo-païenne des Identitaires, et tous ceux qui font de l’alimentation des haines et des peurs leur fonds de commerce
En citoyens libres, nous portons sur Emmanuel Macron des jugements contrastés. Certains parmi nous sont sensibles à sa volonté d’apaisement et de réconciliation, sa capacité à penser la complexité, ses qualités d’empathie. Ils se reconnaissent dans son projet de société inclusive. D’autres sont plus réservés et critiquent une forme de libéralisme sociétal insensible aux plus fragiles. Comme le candidat d’« En Marche ! » l’a dit à plusieurs reprises, la mission d’un président de la République est de garantir le respect de la constitution, la continuité de l’État et le bon fonctionnement des institutions. C’est au Premier ministre, issu du parti qui arrivera en tête aux élections législatives du mois de juin, qu’il appartiendra de déterminer la politique de la nation et de gouverner. Pour l’heure, il s’agit de choisir la personnalité qui pourra présider de manière apaisée et réparer une France divisée et meurtrie. Seul Emmanuel Macron nous donne ces garanties.
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François Ernenwein, journaliste, président de Confrontations
Hervé Legrand, théologien, vice-président de Confrontations
Françoise Parmentier, sociologue, membre du bureau de Confrontations
Jean-Louis Piednoir, mathématicien, président d’honneur de Confrontations
Guy Coq, philosophe, membre de Confrontations
Geneviève Dahan-Seltzer, sociologue, membre de Confrontations
François Euvé, théologien, membre du bureau de Confrontations
Bertrand Galichon, médecin, membre de Confrontations
Isabelle de Lamberterie, juriste, membre du bureau de Confrontations
Marc Leboucher, éditeur
Laurent Lemoine, psychanalyste, membre du bureau de Confrontations
Charles Mercier, historien
Florian Michel, historien
Michel Sot, historien, membre du bureau de Confrontations
Christophe Henning, journaliste, membre de Confrontations
Antoine Sondag, membre de Confrontations
Antoine Paumard s,j directeur JRS France
Pierre Arlaud, juriste, membre du bureau de Confrontations
Dominique Chivot, journaliste, membre de Confrontations
Catherine Withol de Wenden, directrice de recherche au CNRS
Guy Aurenche, avocat honoraire
Catherine Gremion, sociologue CNRS
Patrick Boulte membre fondateur de Solidarités Nouvelles face au Chômage et membre de Confrontations.
Gauderique Traub, ancien élève de Sciences Po, membre de Confrontations
EDWY REPOND A JACQUES-ALAIN
Cher Jacques-Alain,
Je vous ai déjà répondu par avance, c’est en lien ci-dessous et ça dure 13 mn. C’était sur LCI jeudi matin, depuis ça tourne énormément sur les réseaux sociaux, et ça fait beaucoup plus (et beaucoup plus efficacement) pour le vote Macron contre la menace Le Pen que les injonctions arrogantes de tous ceux qui sont responsables de la montée du FN, par indifférence coupable à l’enjeu démocratique et à l’urgence sociale :
https://www.youtube.com/watch?v=yuL8auEDRrI
Par ailleurs, il suffit de lire (ou d’écouter lors des Live) pour savoir où nous nous situons, à Mediapart, sans barguigner ni mégoter, face à la menace d’une victoire de l’extrême droite. « Face au fascisme, je suis prêt à m’allier même avec le diable et sa grand-mère » (Léon Trotsky). Illustré mercredi soir, ici, par le mathématicien Michel Broué :
https://www.youtube.com/watch?v=rO4LguPLelA
Et là, avec écoute, échange rationnel et pédagogie collective :
https://www.youtube.com/watch?v=nzmK77m3auk
Enfin, nous sommes d’autant plus au clair que, dès janvier 2015 (dans Qu’ont-ils fait de nos espoirs? chez Don Quichotte), hélas, nous écrivions ceci, alarme qui, loin d’avoir été entendue par Hollande-Valls, a été suivie de leur fuite en avant autoritaire, inégalitaire et identitaire – c’est-à-dire exactement ce qui fait la courte échelle au FN :
« La France est à la merci d’un accident historique : l’élection à la présidence de la République, en 2017, de la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen. Il ne s’agit là ni de pronostic, ni de prévision, encore moins d’un pari. Simplement d’une analyse froide de l’ampleur sans précédent de la crise de représentation politique, de la dévitalisation de notre démocratie, de l’épuisement des projets tant au sein de la droite républicaine que des gauches de gouvernement ou radicale. Oui, ce dérèglement politique majeur rend possible l’accident électoral. »
Bref, je crois que vous vous êtes un peu trompé d’adresse : s’il y a un journal qui, aujourd’hui, mène le combat à la fois informatif et intellectuel contre le FN, c’est bien Mediapart, où il vous arrive de poster vos toujours intéressantes réflexions.
Avec mon amical souvenir,
Edwy
JEAN-PIERRE DEFFIEUX : SENS COMMUN OU SENS UNIQUE ?
La revue de presse InfoCatho a transmis un communiqué du mouvement Sens commun le lundi 24 avril au lendemain du premier tour :
« Devant le choix qui leur est aujourd’hui proposé entre l’extrême droite et l’extrême flou, nous demandons aux Français de peser en conscience les conséquences de leur vote lors du second tour. Respectueux de la liberté de chacun, Sens Commun ne donnera pas de consignes, suivant son habitude. Nous sommes néanmoins convaincus que le vainqueur de ce scrutin, quel qu’il soit, ne saura réunir qu’une majorité divisée et impuissante, et nous continuons à croire que l’un et l’autre programmes seront dévastateurs pour notre pays : nous ne souhaitons ni le chaos de Marine Le Pen ni la déconstruction d’Emmanuel Macron.
Voilà pourquoi, dès aujourd’hui, nous invitons solennellement nos élus, nos cadres et nos adhérents à ne ménager aucune de leurs forces dans les prochaines échéances électorales. Déterminés à redresser le pays, nous poursuivrons la reconstruction de la droite aux côtés de ceux qui voudront faire des Républicains un véritable parti d’opposition, sûr de ses principes et efficace dans son action, et nous appelons les Français à nous rejoindre dès maintenant. »
Au risque de voir Marine Le Pen au pouvoir !
Le mouvement Sens commun est issu de la Manif pour tous, il s’est fait connaître par son opposition au mariage entre personnes du même sexe et à l’adoption plénière pour les couples homosexuels. Il revendique le maintien de la famille traditionnelle. Mais depuis 2013, Sens commun trace son sillon, s’organise, se politise, soutient le candidat de droite François Fillon à l’élection présidentielle. Plusieurs de ses membres présentent leur candidature sous la bannière LR aux prochaines législatives.
Les responsables de ce mouvement sont pour la plupart de jeunes intellectuels, cultivés, de milieu aisé, chantres de la tradition et avant tout catholiques et mariés.
Sens commun est, je pense, à entendre ici comme Le bon sens, l’évidence du bon sens, comme le sens qui rassemble, qui va dans le même sens, le sens unique.
Je m’intéresse ici à l’une d’elles, maintenant bien connue, Madeleine Bazin, qui a inspiré un article assez bien fait dans le dernier numéro 21 de la revue Charles. Je ne résiste pas à citer le début de cet article : « Elle est le visage, si doux d’apparence, de cette armée de l’ombre, issue de la Manif pour tous, qui a hissé le candidat de cette France catholique, anti bling-bling et conservatrice en tête de la primaire. »
Anti bling-bling ? Elle ne l‘est pas en tous points. Certes, d’un côté elle a une certaine sobriété gaullienne, mais de l’autre une irrésistible tentation de « faire aristocrate » : la famille Bazin, bourgeoise s‘il en est, a fait ajouter à son nom celui de : de Jessey.
Cette jeune femme brillante, normalienne, a un côté assez troublant que l’on repère entre les lignes. Par exemple on peut lire dans l’article de Charles, qu’elle a été élève de l’école Montessori jusqu’en CM1, méthode reconnue et honorable puis élève de l’institut Saint-Pie XI, plutôt d’extrême droite, prière tous les matins, messe en latin une fois par mois et une partie des cours donnés par des religieuses.
Et la fausse ingénue nous dit ceci : « Je passais de tout à son contraire. Et j’ai adoré, c’est bizarre, j’ai adoré les deux. » Vraiment, sans distinction ? On ne retrouve pas cette naïveté dans son action : Elle a été de toutes les manifestations contre le mariage pour tous et contre l’avortement, elle a cofondé le mouvement des Veilleurs. Elle se revendique « conservatrice sur le plan des valeurs. » Elle veut réconcilier l’homme avec la nature, ce qu’il a d’inné et donc ce qu’il doit à Dieu sans liberté de décision. Ce qu’elle veut pour la France, c’est un grand mouvement conservateur, c’est arracher à la gauche, pauvre gauche, l’hégémonie culturelle dont elle s’est emparée depuis la Libération (dixit Mme Bazin). Elle est pour la tradition, c’est-à-dire contre le progrès, même si elle emmaillote cela derrière d’apparentes diversions.
L’ambiguïté redoutable, on la trouve aussi quand elle dit que la laïcité ne doit pas devenir « une sorte de religion de substitution. » Elle dénonce en fait la laïcité parce que la laïcité met en danger les signes du catholicisme.
Madeleine Bazin de Jessey n’est pas seulement porte-parole de Sens commun, elle est secrétaire nationale déléguée à l’Enseignement supérieur du parti Les Républicains depuis février 2016, et elle a laissé entendre qu’elle souhaitait se présenter aux prochaines élections municipales, donnant au moment des llégislatives la priorité à sa famille.
Ses ambitions gouvernementales sont à peine déguisées… pour l’instant en délicatesse.
On ne peut que se demander comment une jeunesse intelligente, cultivée, ouverte sur son monde peut soutenir un tel obscurantisme, une telle régression, disons-le avec Lacan une telle connerie de la tradition.
Je suis donc allé lire leur programme, le socle Sens commun, et j’ai bien l’intention de vous le commenter dans le détail.
TROIS ENVOIS DE FRANCOIS DELPLA
François Delpla (1968)
Cher archicube et néanmoins ami, je diverge sur la désignation des cocus, ayant quelque culture sur l’Insoumission (sans en être, engoncé que je suis dans le décryptage du nazisme).
Mélenchon collabo via Lambert, record d’amalgame. Il conviendrait de préciser qu’il a quitté l’OCI à 19 ans, y ayant adhéré à 16 : si Boussel l’a lâché si jeune après seulement trois ans de couvaison, probablement d’ailleurs à provinciale distance et sans le rencontrer, et l’a considéré comme un sous-marin bien rodé au lieu de lui en vouloir à mort de s’échapper si vite, quel comploteur de génie, quel marionnettiste aux mille ficelles jamais embrouillées. L’époque est bien confuse… et les non dupes errent comme jamais.
Je ne puis m’abstraire assez de mon travail pour de plus longs commentaires, aussi finirai-je par quelques lignes postées ce matin sur mon Facebook
https://www.facebook.com/profile.php?id=100014944396664 :
JEAN-LUC, JE T’EN SUPPLIE, RESTE HUMBLE !
Depuis plus d’un an, un spectre hante la France : celui de ton EGO, décrit comme « surdimensionné ». Ce géant a été successivement, de façon, comme disaient jadis les ethnologues colonialistes, « prélogique“, c’est-à-dire indifférente à la contradiction, responsable de ta déclaration de candidature, de ton refus hautain de participer à une élection primaire, du bruit selon lequel tu ne voulais pas gagner mais emmerder le monde en général et le parti socialiste français en particulier, de ton refus de t’effacer devant Benoit Hamon puisqu’il avait gagné la primaire contre d’autres que toi, de tes succès de tribune devant des nullités subjuguées, de la prétention avec laquelle tu avais bon espoir d’être élu, enfin, tout récemment, de ton choix de ne pas monter, le 23 avril à 20 h 05, dans le TGV des néo-macroniens, un comportement qui ne pouvait être le fait que d’un « mauvais perdant » et en aucun cas celui d’un citoyen circonspect.
La cohabitation dans ta personne de cette montagne et de toi-même
aurait de quoi tourner plus d’une tête.
JEAN-LUC, JE T’EN SUPPLIE, RESTE HUMBLE !
Merci de ton écoute.
SECOND ENVOI
en réponse à ma demande d’autoriser la publication du premier envoi dans le Journal extime. — JAM
Bien entendu, si and only if ça se fait pour d’autres.
Dernier ouvrage paru (ou « auteur notamment de ») Hitler, Propos intimes et politiques 1942-1944, Nouveau Monde, 2 vol, 2016 (je ne sais plus si LQ a eu le SP des deux tomes, ça doit pouvoir encore se faire). Merci décidément de ton écoute.
TROISIEME ENVOI
Cher ami, s’il en est temps encore, sinon ça ne mange pas beaucoup de pain, il siérait de corriger mes infos sur une adhésion « de 16 à 19 ans » (soit de 68 à 71, le gaillard étant né le 19/8/51) que j’avais tirée d’un article sur le public des obsèques de Boussel.
https://www.wsws.org/francais/News/2008/fev08/lamb-f02.shtml .
A présent j’ai sous les yeux son livre Le choix de l’insoumission où on lit p. 66-71 qu’il adhère au « trotskysme lambertiste » dans le cadre d’une scission de l’UNEF à Besançon en 1971 (19 ans) et s’en fait exclure pour indiscipline (un bon point, non ?) en 1974 (23 ans). Il est vague sur les détails de l’exclusion mais pas sur ses pratiques de masse qui déroutaient les superviseurs parisiens : « On faisait venir le commissaire politique à nos banquets, si bien que le gars ou la fille était absolument hors d’état de faire son prêche bolchevisant devant des gens si étranges, qui criaient « Vive la IVème Internationale ! » pour lui faire plaisir, avant d’entonner des paillardes. » C’est peut-être faux ou embelli mais ça ressemble assez au bonhomme et prendrait-il le risque de briser, comme Jospin, sa carrière (le livre est de 2016) si son exclusion avait été truquée pour libérer un « sous-marin » ? Sa vie doit être fouillée aujourd’hui par mille détectives publics ou privés…
Bon courage et bonnes inspirations devant le rebattage des cartes avec Dupont-Aignan, qui accroît certes le danger.
FRANÇOIS REGNAULT :
LE STYLE ECCLESIASTIQUE DE MGR. MELENCHON
suivi d’une « note personnelle
sur les consignes électorales de l’église de france »
Comme l’Église de France, dont un grand nombre de catholiques ne suivent plus les instructions depuis belle lurette (sur les questions de la pilule, de l’avortement, du mariage gay, voire de l’euthanasie, etc.), Mélenchon ne donne pas de recommandation de vote ; on me dira : erreur, il demande qu’on ne vote pas pour Marine Le Pen. Les médias notent la différence : l’Église de France avait demandé qu’on ne votât pas pour Jean-Marie Le Pen (non pas nommément, peut-être, mais enfin ce fut reçu comme évident) lors du choix entre Chirac et Le Pen le 21 avril 2002. Aujourd’hui, la consigne de l’Église de France est qu’elle n’appelle « pas à voter pour l’un ou l’autre candidat. »
Comme elle ne soutient pas non plus le vote pour les deux (ce serait un vote nul), il reste, grammaticalement : « ou l’un, ou l’autre », ou : « aucun des deux ».
Une question méchante : est-ce parce que Chirac était catholique, tandis que Macron est un « banquier » qui pratiquera le taux à intérêt, lequel est interdit par L’Église ? J’en doute.
L’église de Mélenchon (7 millions d’électeurs, dira-t-il, et 500 218 membres à l’heure où j’écris, 30 avril 2017, 14 heures), elle, laisse aussi à ses ouailles une liberté similaire (vote Le Pen exclu). Son argument, exposé sur une vidéo d’Internet dans une sorte de conversation face à vous au coin du feu (sans feu), où son air bonasse de chanoine se veut familier, est le suivant : « Chers adhérents à mon projet de la France insoumise, mes petits enfants, vous comprenez que je ne vous dise pas ce que je ferai le 7 mai ; j’irai voter, bien sûr, puisque je prône le vote obligatoire, mais je ne vous dirai pas si je m’abstiens, si je vote blanc (l’enveloppe vide, ou un bulletin blanc), ou si je mets un bulletin nul (avec par exemple « Macron sale banquier ! »), ni même si je vote Macron par une soudaine abnégation (on en doute !), c’est, dans chaque cas, que je veux vous garder autour de moi au sein du mouvement de moi que j’ai fondé, mais sans vous soumettre à moi. » Et de compter sur le discernement de chacun de ses fidèles, comme le font les évêques de France. (Je résume en gros les propos longuement tenus par lui).
Surtout, il veut garder ses troupes pour les élections législatives, et déjà, compte tenu des résultats de la « France insoumise » dans les grandes villes qu’il énumère à plaisir dans son homélie, le voilà engagé d’avance dans les négociations électorales du Système qu’il récuse.
Mais au fond, pourquoi ne voterait-il pas Marine Le Pen malgré ses dénégations ? Car si elle était élue, dit-il, ce serait la guerre civile. Mais en quoi la guerre civile gênerait-elle la « France insoumise » ? Au contraire, chacun pourrait prendre les armes, et le fameux « coup de balai » qu’il recommande depuis le début de sa campagne (cette expression était hélas celle des Croix-de-feu anti-parlementaires en 1936, et il devrait faire attention à son vocabulaire, lui qu’on loue pourtant pour son sens du signifiant !) n’en aurait que plus d’effet, si le balai était un fusil.
Mais pour l’instant, il se soumet au second tour du vote, il récuse la violence, mais tout de même, si l’élection de Marine avait lieu, quelle chance pour l’insoumission ! A moins que fidèle à la tradition du PCF, il ne comptât que sur des révoltes analogues à celles, longtemps attendues, du contingent lors de la guerre d’Algérie, et qui s’opposeraient à la dictature fasciste… dans l’ordre et dans la dignité.
Une vieille dame avait trois chats : l’un n’aimait que les croquettes, le second ne supportait que le poisson, le troisième pouvait presque manger de tout. Elle s’arrangeait pour leur laisser croire qu’elle assaisonnait une apparence de croquettes avec du poisson, et qu’elle y ajoutait un peu de tout. Ils lui faisaient confiance, le troisième chat habitué à tout dans sa pâtée, le second y flairant une sardine, le premier croyant y reconnaître des croquettes. Elle entendait ainsi les garder autour d’elle. D’où la confidence : vous comprenez bien pourquoi je ne vous dis pas ce que je verserai dans mon urne. On louait la vieille dame de cette recette à laquelle elle avait, non sans fierté d’ailleurs, donné le nom de « bouillie pour les chats ! »
Venons-en aux consignes de l’Église de France.
Sur le prêt à intérêt, d’abord, comme chacun le sait : 1. Il n’y a pas de banque du Vatican. 2. Il y a une banque du Vatican, mais elle ne pratique pas le prêt à intérêt, conformément aux prescriptions du Lévitique, qui le condamne. 3. Elle pratique le prêt à intérêt, mais selon l’équité et la justice. On reconnaît l’argument du chaudron invoqué par Freud.
Sur les consignes de vote, le chrétien que je crois être prend ici la liberté de penser ce qui suit à propos de la déclaration de la Conférence des évêques de France en la personne de leur porte-parole, Mgr. Olivier Ribadeau Dumas qui rappelle les principes fondateurs du christianisme, appelés « fondamentaux », non par lui sans doute, dans la présentation de Google. (On sait que le renvoi aux « fondamentaux » est une tarte à la crème de notre temps, qui évite d’en nommer aucun ; on croit qu’il y en a, on ne sait pas combien, on ne dit pas lesquels) :
« À la lumière de l’Évangile qui inspire son Enseignement social, l’Église catholique veut éclairer les consciences en donnant des éléments pour le discernement. Ainsi, n’appelle-t-elle pas à voter pour l’un ou l’autre candidat mais, en rappelant les enjeux de l’élection, elle souhaite donner à chacun des éléments pour son discernement propre. Elle redit l’importance du vote : acte citoyen, acte responsable dans une démocratie. »
Sera-t-il justement permis à un chrétien de dire que, pour reprendre mon apologue des chats, je trouve cela assez : ni chair ni poisson ?
S’il y avait eu un second tour Fillion/Le Pen, la position eût-elle été la même ? Probable ! Certes Fillon est catholique, il a fait appel en fin de campagne à « Sens commun » (issu en 2013 du mouvement « la Manif pour tous », voir les analyses des origines de ce mouvement par Jacques-Alain Miller), et puis il a déclaré, à propos de ses « affaires » : « Je ne suis pas un saint.» On se rappelle le mot de Tartuffe, « Mais Madame après tout je ne suis pas un ange. »
Cependant « sens commun » n’est guère en odeur de sainteté dans l’Église. Alors, est-ce parce que Marine Le Pen n’est plus le Diable, et que Macron n’est pas encore un Ange que l’Église n’appelle pas à voter pour l’un ou l’autre ? Ô Ponce Pilate.
Franchement, n’est-il pas permis aussi, en cette conjoncture où ressurgit en force, toléré, banalisé ou avalisé par la plupart des politiques et des médias, ce qu’il y eut de pire sous le gouvernement de Vichy et pendant l’Occupation, de rappeler la bien peu sainte prudence, alors, de l’Église de France ? Elle se soumit en gros à Vichy. À l’exception, entre autres, de Mgr. Jules Saliège, Cardinal Archevêque de Toulouse (Jacques-Alain Miller le rappelait récemment), qui fit lire en chaire par tous les curés de son diocèse un mandement contre les lois anti-juives de Vichy, et contre la déportation des Juifs. Les nazis vinrent l’arrêter, mais, comme il était impotent dans sa petite voiture, l’infirmière qui s’occupait de lui leur fit honte, et ils n’insistèrent pas. Je tiens ce dernier détail d’Alain Badiou qui me l’a raconté, et dont le père, grand Résistant, Maire de Toulouse, et de gauche, était ami du Cardinal. Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, eût dit Aragon.
Non que je soupçonne l’Église, toujours de France, d’adhérer aux thèses du FN (hormis une toute petite poignée d’évêques, à ce qu’on me dit). Et puis vous me direz : mais enfin, Marine Le Pen ne demande pas la déportation des Juifs ! – Ah ! bon, elle vous l’a dit ? – Il est vrai qu’elle ne demande que le refus de recevoir les migrants, la ségrégation des étrangers, la mise au pas ou l’exclusion des Musulmans et la préférence des Français accordée aux Français. Sans parler du reste. Et puis, n’est-ce pas, je sais ce qu’on m’objecte : qu’il ne faut pas mépriser les « simples d’esprit », pauvres, exploités, et sans doute aveuglés, qui votent FN, ni les traiter de fascistes, au lieu de compter sur eux pour opérer un discernement qu’on n’ose pas éclairer à leur place ?
Mais justement n’est-il pas permis à quelqu’un comme moi, qui n’ose pas me tenir pour l’un d’entre eux, qui ne suis pas riche, mais pas trop exploité, de me demander si, une fois que notre anti-Jeanne d’Arc parvenue au pouvoir promulguera les lois qu’elle prévoit, les prudents prélats ne déclareront pas alors : « Ah !, non, nous n’étions pas d’accord pour que cela aille si loin ! »
Rassurons-nous, elle se dit maintenant « au-delà du racisme ». Il est vrai qu’au-delà du racisme, on saisit mal ce qu’il y a, à moins que ce ne soit l’antisémitisme. Faut-il alors dès à présent attendre d’elle la proposition de lois toujours plus dures pour s’inquiéter sur le discernement des simples ?
Que de Saliège nous manquent ! Qu’il nous manque un Bernanos !
Le cardinal Saliège ; Raymond Badiou, aux côtés du Général de Gaulle
ALAIN FINKIELKRAUT :
« ON NE PEUT PAS FAIRE DE LA SHOAH
UN ARGUMENT DE CAMPAGNE »
Transcriptions réunies par Rose-Marie Bognar.
Sur la vidéo de l’émission du 30 avril, A. Finkielkraut commente en ces termes la visite d’Emmanuel Macron au Mémorial de la Shoah.
Suite de la vidéo : A la question d’Elisabeth Lévy, « Dupont-Aignan commet-il une faute morale en se ralliant à MLP ? » AF répond : « Je ne dirais pas cela. Je ne mets pas en doute sa sincérité, il n’y a pas que lui, il y a M. F. Garaud, il y a un peu Henri Gaino, je ne suspecte pas leur gaullisme (…) ce n’est pas une faute morale, c’est une faute politique »
Suite de la vidéo : « Le cordon sanitaire, ce n’est pas simplement un cordon sanitaire autour du FN pour nous protéger – E Lévy : Mais c’est pour nous protéger aussi des questions qu’il pose et des demandes de ses électeurs – AF : Exactement »
Autre vidéo de Causeur il y a 14 jours : « Le problème de Marine Le Pen n’est pas son supposé pétainisme mais son poutinisme ».
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NB. j’ai contrôlé mon savoir sur le shlémil en consultant le célèbre lexique de Leo Rosten, Les Joies du Yiddish, Calmann-Lévy, 1994 ; l’original est américain. La référence à Offenbach est due au traducteur. Le shlémil est souvent un personnage touchant et poétique, une sorte de Pierrot lunaire juif. Ce mot n’est donc nullement par lui-même une injure. Mais on ne s’attend pas à ce qu’un Académicien français soit un shlémil. Pur préjugé. — JAM
Les Âmes nocturnes, spectacle de la Cie Le Shlemil Théâtre
Le Monde : « Une fantaisie poétique incomparable. »
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Journal extime
diffusé par
Lacan Quotidien,
la Règle du jeu
L’Instant-de-voir
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Achevé de composer le 1er mai 2017 à 19h 07
J’écris pour une raison très simple : ma naïveté vient de me jouer un tour, le pire tour qu’elle puisse. Ma naïveté ou ma bêtise.
Le 23 avril 2017 j’ai voté Mélenchon, JLM comme disent les autres. J’ai voté Mélenchon avec une certaine envie d’y croire. Ce n’était pas quelque chose de profond, l’idée d’un renouveau quelque part avait là pris. Et puis je trouvais Mélenchon humain, mille fois plus que la Le Pen, mille fois plus cohérent qu’un Macron, mille fois plus intègre qu’un Fillon, etc.
20h, les résultats tombent et je n’y ai pas cru. Je n’ai pas cru que le FN puisse avoir un tel score dans un pays où je réside. Je n’ai pas cru que tant de gens aient voté pour une femme dont le parti est fasciste – et face à une telle dédiabolisation, rétablissons le Diable s’il-vous-plaît ! Et de ce Diable je ne suis pas amoureux, n’en plaise à Cazotte.
J’ai fermé les yeux. Puis jusqu’à minuit les ai rouverts progressivement. Voici Macron déjà élu me suis-je dit, même pas besoin de voter, les autres le ferons pour moi ! Telle était ma position le 23 au soir. Position sotte, probablement que la déception y a joué.
Pire que cela, le 24 au midi je brandis que j’ai la flemme de me déplacer pour aller voter : je n’y aurai pas la foi de voter en un Macron dont le personnage et le programme ne m’intéressent pas. Je me dis que le Front Républicain fera les choses pour moi. Naïf, tellement naïf que je suis.
Plus tard, je lis un commentaire sur Facebook d’un mélenchoniste convaincu – plus que moi en tout cas. Il écrit : « Avec Marine Le Pen, il y aura des débouchés ». Voici comment cette personne ose dire qu’elle votera pour le FN. Parce qu’il y aura des débouchés ? Mais lesquels ? des débouchés de haine ? de France-Haine ? de FN ?
Oh mon Dieu. Désillusion soudaine. Je comprends alors que des gens qui ont voté Mélenchon, des gens sur lesquels je me reposais pour voter contre Le Pen, ne vont pas voter contre mais pour Le Pen. Je n’en reviens vraiment pas, j’en suis outré.
Bien sûr tous les mélenchonistes ne vont pas voter Le Pen, certains s’abstiendront, d’autres voteront Macron, d’autres voteront blanc.
Il demeure que je suis tombé de haut, vraiment de très haut. Et je ne laisserai pas cela se faire. Je voterai Macron au second tour pour faire barrage au FN, FHAINE, l’horreur qui est déjà trop présente. Moi qui me reposais sur les autres, je venais de comprendre : « L’enfer c’est les autres ». Maintenant, nous avons en sus : « la haine c’est les autres ». Je me refuse à aimer le FN, je me refuse à haïr le FN, je refuse le FN tout court. Et pour reprendre une expression oh combien raciste : « Pas de ça chez nous ».
Il demeure que j’ai honte. J’ai honte que 21,3% de Français aient voté Le Pen. Je me sens profondément blessé. J’ai honte d’être français si être français signifie avoir Marine Le Pen présidente.
AUBÉ Romain,
23 ans, étudiant en psychopathologie clinique et citoyen concerné
A mes trois préférés du 93
Mon texte et ma colère porte sur la responsabilité énorme que nous avons aujourd’hui et tout particulièrement le 7 MAI PROCHAIN, envers ceux avec qui et pour qui, hier encore, nous usions de notre voix dans les rues de France pour crier avec détermination et enthousiasme : « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés ». Nous avons une lourde responsabilité envers nos amis, collègues, belles-sœurs, neveux qui portent sur leur visage, dans leur accent, sur leur carte d’identité une consonance d’origine étrangère, étrangère pour le fn. On est tous des étrangers, et surtout pour nous-même, mais ça, le fn a tout intérêt à ne pas que cela se sache, car la condition de leur élection se fait sur « l’ignorance organisée » [1]. Le fn a aujourd’hui tout l’espace médiatique pour s’exprimer, sans en être contré le moins du monde ! Ou disons pas assez ! Respect du chiffre oblige ! Nous avons une responsabilité envers ceux à qui on demande plus souvent qu’à d’autres, « c’est quoi tes origines ». Une amie Française, de père Béninois aime à répondre rageusement à cette question qu’elle déteste : « Vendéenne » !
Demain si le FN est au pouvoir (le combat n’est pas perdu mais pas gagné), nous aurons une forte responsabilité envers ceux qui seront insultés, bannis, rejetés, de l’école, de la justice, ou par n’importe quel habitant qui se sera levé du mauvais pied. Les témoignages des habitants des villes de Beziers et autre du FN en témoignent de façon unanime : la parole raciste y est monnaie courante et totalement décomplexée. Cette haine peut aussi se lire dans les journaux municipaux. Au états Unis une demie heure après que Trump a été élu, des agressions sans précédent depuis 30 ans ont été relevées, vécues, subies, par toutes les minorités.
Ceux qui en seront témoins (c’est-à-dire nous tous) nous ferons quoi ? Quid de la justice, sous un gouvernement FN ? Quid de la police ? (le syndicat Alliance de la police, appel à faire barrage au FN)[2] Quid du soin ? Quid des associations qui sont là pour tous, sans distinction (A Hayange, le FN veut expulser le secours populaire) [3]. Quand je dis quid, ça n’est pas une question, C’EST UN CRI. On le sait tous, LE FN N’EST PAS UN PARTI COMME LES AUTRES. [4] Oui je sais qu’il est au second tour des élections présidentiel, mais il n’est pas Républicain et ça n’est pas parce qu’il peut arriver de façon démocratique à la tête de mon pays que cela fait de MLP une démocrate. L’histoire nous l’a déjà prouvé. Les faits sont les faits. On ne va pas réécrire l’histoire, (n’en déplaise à MLP). On est pas obligé pour se la remémoré d’aller jusqu’à la revivre.
Pour moi être Française n’a jamais constituée une fierté. Disons que je ne me suis jamais posé la question de ce que cela représentait pour moi. Aujourd’hui quand j’entends sur toutes les ondes, sur les réseaux sociaux les représentants du parti de la haine parler en mon nom, aux noms des Français, en déversant leur mépris, leur démagogie en attisant en chacun de nous les côtés les plus sombres, cela met totalement insupportable. D’autant plus insupportable qu’en tant qu’analysante, (je vais voir un analyste), je suis bien placée pour savoir que chacun, porte en lui le fond de commerce dont mlp à besoin pour être élue. Comme je vis, que je dors, et que je mange élection, je me suis dit que je pourrais porter plainte contre le FN pour usurpation d’identité. La France dont ils parlent n’est pas ma France, n’est pas la France de ceux que je côtoie, n’est pas la France que j’aime.
Je ne tiens pas compte de tous ces gens qui ont voté mlp ? Que les choses soient claires, premièrement je fais une distinction nette entre le fn et ses électeurs. Le fn sait qui il est et ce qu’il n’est pas, et il sait ce qu’il fera et ce qu’il ne fera jamais si, il est élu. Deuxièmement et cela peut paraitre contradictoire, je ne fais pas partie de ceux qui trouvent des excuses à ceux qui décident de glisser leur haine dans un bulletin de vote, plutôt que d’aller sur le divan, ou dans une salle de sport. Des colères, des humiliations, des agressions, des problèmes d’argent, de scolarité, de travail, on en a tous. La rancœur, la haine, n’est pas l’apanage des électeurs du fn. Les électeurs fn ou ceux qui hésitent, le minimum de respect qu’on leur doit, c’est de ne pas les prendre pour des victimes. Pour le reste, un parti qui prône la haine n’a jamais améliorer le quotidien de qui que ce soit. Vivre dans un pays sous haute tension, n’épargne personne. On entend chaque jour des gens qui vivent dans les villes FN nous le dire. Que leur souffrance ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd c’est le minimum qu’on leur doit.
Si elle est élue (non MLP ne te réjouis pas, ça n’est pas encore le cas), nous redeviendrons (électeur ou non du fn) cette France et son histoire, qu’elle haït profondément. MLP et ses sbires savent très bien ce qu’ils veulent. Ils veulent prendre notre France en otage, ils veulent être élus pour écraser de leur HAINE, ce qui fait l’humanité de chacun d’entre nous et qu’ils méprisent jusqu’au moindre petit détail et ce depuis toujours. Personne ne sera épargné, PERSONNE !
L’incertain de cet entre deux tours, la division qu’elle suscite, me rend triste. Ne laissons pas tomber la France, notre France, celle qu’on aime et qu’on partage. Ne laissons pas nos différences, celles qui font la richesse de nos échanges, de notre amitié, élire, à la tête du gouvernement un parti qui n’est pas, Républicain. Ne nous laissons pas mener par MLP, sur cette scène où elle veut nous voir tous pour gagner : celle de la haine. Ne nous trompons pas d’ennemi le 7 mai, ne devenons pas les ennemis de nos amis. Si Macron est élu, ce que je souhaite du fond du cœur (et en aucun cas du fond de mes convictions), on pourra, si nous votons pour une France démocratique, nous pourrons exercer une pression aux législatives. On dit « il ou elle doit se retourner dans sa tombe », alors le 7 mai ne crachons pas sur leur combat ! Je sais que mon pays est complexe, fragile que tout ni y est pas rose, et ça chacun de nous l’éprouve à différents niveaux mais je ne veux pas que mlp me fasse dire « j’ai honte d’être Française ».
Le 7 mai 2017, mlp vous n’aurez pas ma voix. Ni aujourd’hui ni à aucune élection, jamais. Emmanuel MACRON, le 7 mai 2017 vous aurez ma voix. SVP ne jouez pas trop au vainqueur. Rien n’est gagné, ni avant le 7 mai, ni après, si par chance vous êtes élu. Si tel était le cas, vous porterez une très lourde responsabilité, que ce soit devant vos électeurs, mais envers tous les Français et devant l’histoire. Vous êtes très loin de faire l’unanimité, il est encore temps d’en prendre compte.
Nous sommes le 28.04.17. C’est un fait. J’ai envie de le dire haut et fort, non le fn n’aura pas ma haine ! Hier nous étions nombreux à crier Touche pas à mon pote, aujourd’hui j’ai envie de hurler pour la première fois depuis 41 ans : Touche pas à ma France ! Dans l’isoloir on peut porter des gants, prendre le bulletin avec des pincettes. Après avoir voté MACRON, on peut aller se laver les mains, courir, crier, écrire, faire la gueule. Alors ? Rendez-vous le 7 mai prochain, ensemble et unie au-delà et pour nos différences qui font notre richesse, et qui font la France qu’on est et qu’on aime !
[1] https://scalpsite.wordpress.com/2017/04/03/bibliotheques-sous-influence-par-benoite-chene/
[2] http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/25/presidentielle-la-cgt-appelle-a-faire-barrage-a-l-extreme-droite-sans-inviter-a-voter-pour-emmanuel-macron_5117294_4854003.html
[3] http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/09/30/a-hayange-le-maire-front-national-veut-expulser-le-secours-populaire_5005825_823448.html
Dimanche 23 avril, 19h, je suis dans mon bureau de vote du centre-ville de Rennes où je participe cette année aux dépouillements des bulletins. Je ne connais alors personne mais je discute avec ceux de ma table, deux hommes, une femme. La parité est respectée ! Les hommes branchés sur leur smartphone nous font part des dernières infos. La conversation s’engage sur ces élections particulières à l’issue incertaine, sur les chiffres qui à travers les sondages nous gouvernent et qui ont pu jouer parfois dans notre choix de vote.
20h10, après avoir dépouillé non stop les cent premiers bulletins à chaque table, nous apprenons les résultats nationaux. Emmanuel Macron serait en tête suivi par MLP pour ce premier tour des élections présidentielles. Silence durant quelques instants. Mon voisin murmure : « Y’a pas Mélenchon ». « Non, mais il y a MLP » répondis-je. Silence fracassant. Rennes est – après Paris – la seconde ville de France qui a voté le moins FN : 6,7%, soit moins qu’en 2012. C’est dire que le coup est rude… Ville à gauche comme la majorité des grandes villes de la région, la capitale bretonne n’a pas failli à sa réputation (26% pour JLM et 13,8% pour BH) mais a placé E. Macron en tête avec presque 32% des voix. Nous reprenons le dépouillement des bulletins avec la seconde fournée. Pas facile d’énoncer le nom de MLP : sept bulletins sur deux cents à ma table, c’est peu mais pour ma part, c’est encore trop.
20h30, les quatre tables ont fini leur travail. Nous voyons passer devant les fenêtres des dizaines de personnes – souvent jeunes – allant manifester et qui vont entonner des slogans comme « Macron Le Pen, on en veut pas ». Ce n’est pas alors MLP= Macron mais du Un avec Macron Le Pen. Nous sortons peu à peu de notre sidération et nous recommençons à parler. Je me rends vite compte que le front républicain est mort. Je suis inquiète.
Début de semaine. Impossible de banaliser, de faire comme si ce premier tour n’avait pas eu lieu. Pourtant à part la TV qui diffuse en boucle « MLP la représentante du peuple et E. Macron, le candidat des riches », interprétation très simpliste, je suis frappée par ce silence qui règne. C’est souvent motus et bouche cousue. Cela fait une sacrée différence avec 2002. Certes, voter c’est un choix subjectif, intime mais quand la démocratie est en danger, il n’y a plus à tergiverser. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a des résistants au vote du second tour. Entre l’idéal et la pulsion de mort, c’est loin d’être plié. Et puis, nous qui pour la plupart n’avons pas connu directement une guerre, ne sommes-nous pas parfois des enfants gâtés ? Que d’exigences envers E. Macron qui devrait être le candidat parfait et répondre aux critères de chacun ! Alors continuons de briser le silence et d’engager des conversations spontanées notamment avec des inconnus dès que nous en avons l’opportunité. Parler, c’est notre arme. Le combat continue et au-delà du 7 mai !
– « Il faut tous les renvoyer » vociférait Marine Le Pen à propos des ROMS sur une chaîne d’information continue en 2014.
– Tous ? demandait la journaliste interloquée
– Tous
Mais de qui MLP parlait-elle ?
Des ROMS.
Les ROMS. Les Tsiganes. Les Manouches. Les gens du voyage
Les Tsiganes sont toujours autant victimes de rumeurs les plus folles à leur sujet. Bien souvent encore ils se retrouvent sous les feux de l’actualité, pourchassés et expulsés de leurs camps. Se souvient – on suffisamment que pendant la Seconde Guerre mondiale près de 80 000 Tsiganes d’Europe sont morts des suites des persécutions nazies ?
Et lorsque se déclencha la Guerre, la France n’a pas attendu l’occupation allemande pour prendre des mesures privatives de liberté à leur encontre. Ainsi, le 16 septembre 1939, le préfet d’Indre-et-Loire les déclare « indésirables » et ordonne qu’ils « soient refoulés de brigade en brigade dans un autre département ».
Les Tsiganes ont ainsi été internés en zone occupée dès le 4 octobre 1940 sur ordre des Nazis. Ce sont les autorités françaises qui étaient en charge des leurs arrestations, les préfets dans chaque département dirigeaient les opérations.
Les nomades ont été arrêtés en priorité. Ils disposaient d’un carnet anthropométrique, document administratif obligatoire permettant d’identifier et de surveiller leurs déplacements sur le territoire français. Leur arrestation a été facilitée par les précédentes mesures prises par le gouvernement français qui avait ordonné qu’ils soient assignés à résidence.
On estime que 6.500 Tsiganes ont été internés en France pendant la Seconde guerre mondiale.
Et après ?
Les Tsiganes ont été les derniers prisonniers à être libérés en France. Ils ont dû attendre mai 1946 pour quitter les camps d’internement français, car le gouvernement refusait leur libre circulation. Leur surveillance a d’ailleurs repris tout de suite. Même si la législation a changé en 1969 et s’est assouplie, ils disposent toujours des pièces d’identité spécifiques.
On peut donc supposer, et cela fait froid dans le dos, qu’une expulsion massive soit organisable dans un temps record si celle qui dit, sans la moindre honte, qu’il faut « tous les renvoyer » accédait au pouvoir …
Un proverbe tsigane dit : « Quand la honte disparaîtra, il n’y aura plus de Manouches ».
Jacques Lacan faisait équivaloir la mort de la honte avec le triomphe de la pulsion de mort dans la civilisation, autrement dit, sa destruction, pure et simple.
On sait combien les Tsiganes ont la musique chevillée au corps. Il me venait à l’idée que si l’on décidait d’expulser la musique tsigane, non seulement du jazz, mais aussi de la musique classique ou de la variété, celles –ci se retrouveraient gravement amputées. Le génie de la musique tsigane, n’est-ce pas cette alchimie réussie, ce mariage inouï de la fête et de la douleur d’exister ?
Larmes et joie mêlées… cette vibration si fragile, théorisée par Lacan comme événement de corps, à la racine de nos existences singulières.
A quelques jours des élections, un jeune patient de la communauté des gens du voyage me parle des « bouffées d’angoisse » qui l’envahissent, des cauchemars qui hantent ses nuits à l’idée de l’arrivée au pouvoir de celle qui a mis le droit du sang à la racine de son idéologie, au prétexte qu’ « il faut une nature française » (MLP, Châteauroux)
« Ça va recommencer» me dit le jeune homme.
Quoi ?
La terreur
Les pleurs
Sans la joie
Compte Rendu du Forum scalp de Lille
Qu’est-ce qui peut bien pousser un psychanalyste à appeler à voter contre une candidate à l’élection préférée des français ? En quoi suis-je qualifié, moi qui travaille dans le secret du dire, pour affirmer publiquement que le discours de MLP relève, comme le dit JAM, du mal absolu ? C’est justement que le FN, c’est une affaire de discours. Ça n’est pas uniquement une affaire de désespérance sociale. Chacun sait que ce sont également dans des régions aisées et tranquilles que le FN réalise des scores élevés. Il faut entendre cette question du mal absolu comme une catégorie de l’éthique. Je vous propose de répondre à ces questions d’abord du côté du psychanalyste puis ensuite de celui du discours de MLP et du FN.
Un psychanalyste se définit d’abord par sa cure soit l’élaboration qu’il poursuit au long de sa vie des embrouilles de son symptôme. Je n’ai pas souvenir d’un début à ce fait que le « nous » a toujours porté pour moi la marque de la honte. Se sentir « nous » il ne fallait pas. Cela valait comme impératif catégorique, au-dessus de toute volonté. Plus je tentais de m’y inscrire, plus je me sentais étranger… C’est l’expression d’une position subjective, d’un sentiment très précoce d’être Un-tout-seul. La dite honte tenait au fait qui s’en déduit de ne pas oublier « eux », les exclus, les sans-grades, les violentés. Je n’ai jamais pu me sentir réchauffé, rassuré par l’appartenance grégaire. Au contraire, cela poussait à la fuite. Les diverses versions de la phobie infantile tentèrent un nouage pour contrer le réel qui allait se révéler ensuite. Cette sensibilité devint brûlure devant la révélation de la solution finale. L’Autre dans toute sa méchanceté révélait son potentiel sans limite. Il fallut le détour par l’analyse pour éclairer mon malaise dans la civilisation. Cette saloperie me regardait droit dans les yeux. Moi aussi je serais capable de cela dans une de ces contingences que le Surmoi laisse entrevoir pour le service des tourments dans le champ de la morale. De tout cela se déduit que l’appui décidé sur la dialectique « eux/nous » relève d’une volonté de méconnaissance voire d’une forclusion de la dimension du symptôme, d’une impossibilité – au sens du rapport au Réel – de la moindre rectification subjective qui est le socle de la pratique analytique : « Comment participes-tu à ce dont tu te plains ? »
Le Champ freudien est celui de la question éthique. Il est au-delà de la morale. Il suppose pour opérer une ouverture à cette partie de nous-mêmes dont parle Freud à la page 47 de son Malaise dans la civilisation : « La vérité est que l’homme essaie de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer« . Avouez que tout cela est très vivace dans notre monde. Etre au service de la civilisation, c’est d’abord reconnaitre nos penchants funestes. Je soutiens que le discours de MLP relève d’une volonté décidée de fermeture à toute considération de cette espèce parce qu’il refuse et rejette chez l’autre toute cause de désordre du monde. C’est l’argument de JAM qui nous montre la transformation du commandement de l’amour du prochain qui le fait proprement disparaitre, ce nebenmensch : tu aimeras ton prochain comme toi-même à la seule condition qu’il soit comme toi-même.
Le discours de MLP peut être repris du côté de la loi comme l’a fait Jean-Claude Milner lors du Forum du 18 avril. L’originalité de la révolution française est de savoir que la force n’a pas de portée sans le discours qui fonde la Loi. Milner distingue les droits de l’homme qui valent pour tout homme dès sa naissance de la qualité de citoyen qui s’acquiert à la majorité. Cette distinction ne vaut que dans la mesure où un article de la Déclaration affirme qu’aucune disposition touchant au citoyen ne doit venir contredire l’article premier de la Déclaration Droits de l’homme et du citoyen. Tout le dispositif législatif que le FN se propose de mettre en place sur la citoyenneté contredit justement cet article.
On peut également l’analyser en terme d’action sur le langage comme l’a démontré CDLS lors de son intervention au même Forum 18 : » [elle] repose sur une destruction systématique du sens des mots, l’usage de néologismes et de « néosémantèmes », c’est-à-dire de mots courants auxquels un sens nouveau est donné, ou du détournement du sens et des références… L’hypothèse de Sapir-Worfh énonce que le langage n’est pas seulement un moyen d’énoncer des idées, mais ce qui permet la formation même de ces idées. » A tous les termes fondateurs de la République sont ainsi attribuées les idées phares du programme. La liberté, c’est sortir de l’Europe… C’est « un détournement du sens, calculé au millimètre, qui vide la mémoire d’un pays, fait que son histoire perd sa substance et ne peut plus servir de référence pour les générations futures. MLP reconstruit ainsi une nouvelle version du passé et une néoréalité pour l’avenir » conclut CDLS.
On peut également l’analyser en termes de logique. MLP est la reine du sophisme. Elle part de constats assez faciles à observer et qui sonnent clairement aux oreilles de tous ceux qui souffrent des transformations produits par la domination de la finance sur l’économie. Voilà des années que l’on nous rebat les oreilles avec les errances de la finance débridée qui casse systématiquement le lien social. Et puis rien n’est fait, pas même la toute petite taxe Tobin… MLP tire de ces constats des conclusions erronées aboutissant à des propositions qui conduiraient la France à un grand renfermement nostalgique aux conséquences économiques catastrophiques.
C’est le point central des diatribes de MLP que je voudrais souligner. C’est un discours qui vante le passé glorieux au profit de la jouissance étriquée du petit propriétaire. Elle joue sur l’angoisse du petit propriétaire à qui le système prendrait ce qu’il a si durement acquis. Elle manie avec équivoque ce terme de peuple dont elle se dit la candidate. Mais ce discours ne vient pas de n’importe où. Faites-en l’expérience. Ecoutez les discours de campagnes de MLP, ils sont tous sur le site du FN, c’est long et pénible. Vous y verrez le style de la mise en scène et la rhétorique des chauffeurs de salle, lieutenants de MLP qui s’avance désormais drapée dans un « je suis une femme…je suis une mère… assez peu convaincant. Et maintenant lisez les discours de la NSDAP en 1933 qui comme en 2017 exigeait de la position de victime du peuple allemand humilié une légitime revanche. Changez quelques mots et vous retrouverez le même discours : l’abolition des traités humiliants, la fierté du peuple, la liberté de choix, etc… Mais surtout, MLP n’a cessé de marteler tout au long de la campagne « un Peuple, une Nation… » qu’elle a fini par compléter à Bordeaux par « un chef » ! Ça ne vous rappelle rien ? mais si, souvenez-vous… Ein Reich, ein Volk, ein Fürher… Pour vous convaincre des effets de ce discours, voyez l’excellent reportage de Complément d’enquête de France 2 à Hénin-Beaumont. Les braves gens comme les édiles n’hésitent pas à exprimer publiquement, dans les lieux mêmes de la République, une ségrégation brutale et une volonté de « faire pisser le sang » à ceux qui se mettent en travers de la vérité frontiste.
Je voudrais enfin faire une remarque concernant deux traits de MLP. Elle ne peut pas sourire. Quand elle essaye, son visage nous montre un rictus figé qui évoque le malaise. Ensuite sa voix que je pense plus cultivée dans son adresse politique. Il me semble y avoir dans cette voix un trait qui la rattache, dans le grain comme dans le phrasé à celle de son père. C’est un style qui ici se transmet.
La psychanalyse propose un « nous » qui ne s’oppose à aucun « eux ». C’est un « nous » qui sait chacun affecté de cette marque d’incomplétude et de ratage que constitue, au mieux, le symptôme. Toute la question est celle du mode de nouage de ce symptôme. Ce qui est certain est que nous vivons une époque de fermeture. L’ouvrir est donc essentiel !
Hier soir, Rose-Marie Bognar et Didier Cremniter me raccompagnent chez moi après un dernier pot pris à l’Esplanade — toujours les Costes. Je leur fais part de mon embarras de richesses : tant de choses à dire de ce samedi, et si peu de temps pour dormir !
Le voyage à Montpellier. Les retrouvailles avec la ravissante Américaine Julia Richards, qui m’avait jadis accompagné à un dîner à la mairie, et que Georges Frêche avait draguée sous mes yeux à coups de citations latines, avant des tentatives plus osées quelques jours plus tard quand il l’avait invitée à le visiter dans son privé. Elle avait dû lui mentir et lui dire qu’elle était ma maîtresse pour mettre fin à ses avances. Julia est analyste, membre de l’Ecole de la Cause freudienne.
Le Forum organisé de main de maître, à ma demande, par mon collègue et ami le Dr Marc Lévy a été un succès. Les rudes débats avec les mélenchoniens du cru. Les échanges pointus avec l’éloquent bâtonnier Christol, indigné par la virulence de ce qu’il appellait mon réquisitoire contre Mélenchon et son mentor hitlérien, avant de se déclarer in fine « tout à fait d’accord » avec moi. Mes mamours politiques avec le socialiste Michaël Delafosse, jeune et bel homme plein d’allant et plein d’avenir. Le Pr Anne Brissaud à qui je n’avais pas eu l’opportunité de dire tout le bien que je pensais de son explication de la stratégie d’influence de l’UDI dont la blonde jeune femme est membre. Les pitreries de tel énergumène, en analyse depuis des décennies « chez un lacanien », et se considérant comme un « membre de la famille », ce qui lui permettait de nous déclarer à tous que nous étions des nuls et que nous avions déçu par notre nullité les espoirs qu’il avait placés dans ce Forum. Le sénateur-maire de Castelnau-le-Lez, M. Grand, ami de Juppé, gaulliste d’anthologie, parlant en père noble, qui provoqua chez moi un violent transfert sauvage, lequel m’amena à penser qu’il serait beau d’être un castelnauvien et d’apporter sa voix de gauche à son maire de droite. Et pour finir M. Max Levita, professeur d’économie, le premier adjoint au maire, qui connut Judith en 1969, et se souvient d’elle clamant dans un meeting ce « Il faut détruire l’Université » qui lui valut d’en être chassée.
Je lui conte les dessous de l’histoire. Lacan s’en fut plaider la cause de sa fille auprès d’Olivier Guichard, alors ministre de l’Education nationale. Et celui-ci de répondre par un non possumus. L’injonction venait du président Pompidou, qui, lisant dans son lit L’Express, y avait trouvé l’entretien de Judith avec Michèle Manceaux. Il avait aussitôt décroché son téléphone, appelé Guichard, et lui avait enjoint de vider cette femme sur le champ. Et c’est ainsi que la cacique de l’agrégation de philosophie de 1965 fut reléguée à l’enseignement par correspondance malgré l’entregent paternel.
Il me faudrait des heures pour raconter dans le Journal extime ce Forum si vivant où on ne m’avait pas laissé oublier un seul instant que j’étais le parisien descendu dans le Sud, et donc d’emblée, avant toute parole proférée, un envahisseur, presque un colonisateur, arrogant et brutal, « condescendant », le membre d’une élite coupée des réalités, ignorant et méprisant les vrais gens, etc. Lacan parlait à ce propos de « préinterprétation ». Tu l’as dit !
Ce n’était pas tout. Le voyage lui-même, l’attente de l’avion le matin, les trois heures de train au retour, m’avaient permis de procéder à un dépiautage intégral de la presse du jour. J’avais commencé par Le Figaro magazine : les brillants portraits croisés de François Barouin et Laurent Wauquiez par Charles Jaigu, l’époux de France, membre de l’Ecole de la Cause freudienne ; la chronique pour une fois peu inspirée d’Eric Zemmour ; l’oraison funèbre impitoyable de Fillon par Carl Meeus, les analyses marxisantes du politologue Jérôme Sainte-Marie ; et la malicieuse colonne de François d’Orcival qui perd dans Le Figaro la mention « de l’Institut » qui ne manque jamais de décorer son nom dans Valeurs actuelles.
Il y avait aussi Marianne, avec son numéro extraordinaire, le meilleur que cet hebdo ait jamais publié, le meilleur que j’aie lu depuis très très longtemps dans la presse française. Il est grand temps que Marianne réussisse le sorpasso du Nouvel Observateur, en pleine déconfiture politico-morale depuis que le trio BNP a guillotiné Aude Lancelin, sur l’injonction, dit-elle, de François Hollande. L’exemple de Judith en 1965, sous un autre Prince, montre que cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable. La belle Aude, agrégée de philosophie comme Judith, s’est vengée de belle manière en obtenant le Prix Renaudot pour sa description à l’acide sulfurique de l’intimité du journal (sans cancans sexuels malheureusement). Ses pages sur Jean Daniel, le pape de L’Obs, et sur Matthieu Croissandeau, son incapable Secrétaire d’Etat, sont des morceaux d’anthologie. Le malheureux organe fondé par Kahn et Szafran et repris par M. de Chaisemartin, aujourd’hui en situation de cessation de paiement, a manifestement trouvé en Renaud Dély le directeur qu’il lui fallait.
J’avais envie de parler de tout le monde ici réuni : Jacques Juillard à son meilleur, érudit et prophète ; Jean-François Kahn, pour une fois calme et précis, et qui disait la même chose que le sénateur Grand à Montpellier : « Que Marine Le Pen, le 7 mai, renforcée par la droite pétainisée, dépasse les 40% (merci, la presse de gauche !) et le signal d’alarme prendra la forme d’un coup de tonnerre. ». Et le défilé de grands noms du « komentariat » français : Marcel Gauchet, les Pinçon, Hervé Le Bras, François Ruffin, Gaspard Koenig, Christophe Guilluy, Dominique Reynié, Guy Konopnicki, Caroline Fourest, et une petite nouvelle, Florence Weber, directrice du département de sciences sociales à l’Ecole normale supérieure.
Et je ne suis pas au bout de ce que je voudrais dire de ce numéro, qui comporte encore un dossier sur le duel en littérature, cinéma, etc., la chronique gastronomique du génial Périco Légasse, une analyse du boulangisme, « Un populisme à la française ». Tout est talentueux, direct et gai, alors que L’Obs est sinistre, mal écrit, et d’une qualité constante dans la médiocrité et la méchanceté.
Reste tout le reste de la presse nationale, à quoi s’ajoute encore The Times, que j’ai dépiauté pendant le charmant déjeuner où nous avait rejoint mon vieil et fidèle ami Augustin Ménard, accompagné de sa femme Monique, mélenchonienne, mais de bonne, de très bonne compagnie.
Et il y a en plus maintenant les dernières parutions que nous venons d’acheter au Drugstore. Comment rendre compte de tout ça ? Par quoi commencer ? je suis perdu.
C’est alors que Rose-Marie eut l’une de ces répliques foudroyantes qui lui viennent parfois on ne sait d’où : « Faites comme dit Françoise Giroud, les plus belles fraises sur le dessus du panier. »
« Giroud a dit ça ? — Oui. — Et ça veut dire ? — Que dans le journalisme, on commence par le meilleur, parce que les gens lisent vite et peu. — Je vais faire ça ! — Et c’est quoi, votre meilleur ? — C’est l’idée que j’ai eue ce matin à 10h15 en buvant mon double espresso au café d’Orly. Elle m’a illuminé. Un vrai intant-de-voir. — Ah ! et c’est quoi ? — Vous verrez demain. »
A suivre
Nous voilà à l’heure d’un nouveau choix. Il y avait quatre candidats, il en reste deux. Alors qu’il semblerait que ce choix soit un des plus simples à faire, la cacophonie semble faire résonner l’impact du vote Le Pen dans notre pays.
En 2012, tout le monde s’est levé pour faire barrage au père en votant pour Chirac. Aujourd’hui, ce Un massif s’est dispersé et il faut bien le reconnaître, le choix qui devrait faire unanimité, se fissure, se fracture même, comme si cette évidence n’avait plus de sens.
Faut-il en déduire que Marine Le Pen a réussi sa dédiabolisation ?
Il m’apparaît que oui. Déjà parce qu’elle est arrivée dès le premier tour à faire un score important. Et aujourd’hui, parce que son nom ne fonctionne plus comme un impossible. Elle a réussi à faire du Front National un parti qui pourrait la porter à la magistrature suprême, selon l’expression consacrée.
Alors je m’interroge sur notre action. La nôtre et celle des autres… Certes, nous avons re-diabolisé son nom et son parti. Nous avons tout au long des jours qui ont précédé le Forum 18, dénoncé son double discours, mis en lumière ses attaches fascistes et antisémites, et l’appropriation décomplexée qu’elle fait des signifiants de la démocratie et de la république.
Si elle n’a pas obtenu le score qu’elle attendait dès le premier tour, cela paraît lié à la mobilisation opérée pour lui faire barrage. Cela ne fait aucun doute.
Mais elle est là. Elle brille dans le vent, poussée par son désir, poussée par sa popularité dont elle sait qu’elle est l’emblème. Pour MLP, s’adresser au peuple pour lui servir de pseudo-défenseur, c’est générer les thèses du complotisme et de la dénonciation des fauteurs (les énarques, les journalistes, les banques, etc.)
La France est donc bien coupée en deux, même si le barrage à MLP se présente comme une réaction de principe qui rallie la droite et la gauche démocratique. MLP est l’objet a de la France, objet de brillance d’un côté, d’horreur de l’autre. Mais sa présence sous les espèces de la maladie du populisme et de la xénophobie, est identifiable au ver dans le fruit.
Et c’est ce qui donne à cette élection le mauvais goût de la pourritude. Ce néologisme dévoile ce qui s’est passé depuis la célèbre bravitude de Ségolène Royale à ce qui aujourd’hui s’aperçoit derrière le front, le front de mer et ses vents mauvais, cette pourritude à l’œuvre.
écrit durant la journée de vendredi 28 avril
LA PAUSE DE LA BÊTE
Dîner hier soir avec Lilia et Jean-Marie chez l’un de leurs restaurants préférés, Lily Wang, une réussite des frères Costes, qui se donne pour « le rendez-vous des amateurs de cuisine-fusion ». C bon, c léger, c pas compliqué, ça ne fatigue ni les papilles de la langue ni les petites cellules grises du cerveau. Depuis la nuit de dimanche à lundi, c’est la première fois que je me pose.
Au sortir d’un rude labeur, tout chez Lily Wang a un effet apaisant sur moi : Lilia toujours amicale et élégante ; Jean-Marie qui connaît le monde politique comme sa poche (qui est profonde) et qui invente pour distraire ses commensaux des sketches à mourir de rire ; la serveuse allurale ; une touche de luxe frelaté. J’arrive là comme la Bête, avec une barbe de quatre jours, habillé comme l’as de pique, dans une vêture que je n’ai pas quittée depuis lundi, comme si je dormais dans la tranchée sur le champ de bataille.
LA BULLSHIT DES CHOUETTES
A 16 :00 jeudi, j’en étais encore à débattre avec ma fille au téléphone sur le point de savoir si j’allais écrire le ou la bullshit dans mon « Bal des lepénotrotskistes ». Il y a des arguments dans les deux sens et pas de maître de la langue à qui se référer. Si Sollers avait employé le terme, je me serais aligné, mais je ne sache pas qu’il l’ait fait. J’aurais pu l’appeler, lui extorquer une indication, mais je ne me voyais pas le déranger pour si peu quand il maintient un silence farouche non seulement à mon égard mais dans tous les médias où il brille par son absence alors que la bataille politique fait rage.
Le grand homme, grande plume et grande gueule, a choisi de passer son tour et de s’enfermer dans sa bulle alors que Hugo de son exil de Guernesey se rendait tous les jours présent à Paris. L’exil intérieur de Philippe qui crèche la porte d’à côté l’isole et l’éloigne davantage que s’il était dans une île anglo-normande, voire à Sainte-Hélène. Y a-t-il quelque Waterloo intime qui motiverait le silence de Sollers ? Respectons le voile tiré sur son intime, même si dans ce silence où Sollers s’enveloppe, je ne reconnais plus l’auteur de Littérature et politique. Boileau avait attendu la mort de Molière pour lui porter ce coup de dague, moi, moins fourbe que Scapin, je pique mon Philippe pour qu’il se manifeste.
Il me lit, donc : « Hola, Sollers ! Je ne vous fais pas la morale. Je sais comme vous et comme Lacan et quelques autres que “la morale est la faiblesse de la cervelle” (Rimbaud cité par Ph. Sollers, Littérature et politique, p.747). Je vous dis seulement que votre voix manque à vos amis, j’en parlais encore la semaine dernière avec Catherine Millot. »
On n’entend pas non plus Julia. C’est un choix délibéré qu’ils font, les mariés de Saint-Germain-des-Prés, et qui ouvre sur quoi ? Je ne sais. Je suis bien sûr qu’eux ne nous la joueront pas « chouette de Minerve qui ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit » (Hegel, Principes de la philosophie du droit). Jouer chouette de Minerve en l’occurrence consistera à paraître quand la poussière de la bataille sera retombée et à nous expliquer avec brio et force forfanteries tout ce que nous n’avons pas su voir dans ce que nous avons vécu. Philippe et Julia laisseront ce rôle aux Rancière et aux Badiou, si diserts quand Le calme règne à El Paso, et qui sont sous la table du saloon quand c’est Règlement de comptes à OK Corral. Ce sont des sages, mais il est des cas où la sagesse se distingue mal de la lâcheté. A vrai dire, ils n’ont pas fait autre chose en mai 68.
J’élude mes responsabilités de co-créateur de la langue française en proposant à Eve d’écrire : « cette bullshit comme on dit au Québec ». On sent tout de même mieux la chose, si j’ose dire, quand on la met au féminin.
DÉFI A EDWY PLENEL
BFM-TV (je résume) : « Marine Le Pen mène sa campagne tambour battant, très offensive sur les pas de Mélenchon. Elle reprend son expression préférée : “Dégagez-les !” » Pour faire bonne mesure, elle cite aussi Jaurès, qui fut le fondateur de L’Humanité. Elle drague et Mélenchon et le PC.
Cette Marine est une vraie goule détrousseuse de cadavres. En 1914, les ancêtres du FN criaient « Jaurès au poteau ! » et, comme on sait, ils finirent par le tuer pour de vrai le 31 juillet au café du Croissant qui existe toujours. Vient le 28 avril 2017, et l’héritière de ses bourreaux se recommande la bouche en cœur de saint Jean-Jaurès.
On voit bien le piège mortel pour la démocratie que constituait la fameuse « dédiabolisation ». Cela voulait dire : il sera désormais hors de propos de rappeler les racines, la filiation, la généalogie, du FN. Vous le traiterez comme un nouveau-né, vous examinerez son programme, ses idées, ses propos, le tout sans préjugés, « objectivement ». Les journalistes ont adoré. Journalistes de droite et d’extrême-droite, bien sûr, mais aussi bien journalistes de gauche et d’extrême-gauche.
Même Edwy Plenel, si avisé d’ordinaire, a donné dans le panneau : « Mediapart vous détaille le programme du FN et vous le démolit », disait-il en substance. Non, Edwy ! Ce qu’il fallait dire, c’est ceci : « Le parti des collabos et des admirateurs de Hitler nous présente un programme qui n’est qu’un paravent pour cacher sa vraie nature, un programme qui n’est rien qu’une savonnette à vilain. »
Le mercredi soir où le malheureux François Bonnet, en votre absence, a eu à présenter le dépiautage du programme susdit, il a eu deux phrases pour s’excuser d’avoir fait allusion dans la première à 1945. Ce repentir immédiat voulait dire très précisément ceci : ne croyez pas que nous utilisions cette référence à la seconde guerre mondiale pour majorer le danger FN et justifier ainsi le vote utile Macron, comme font certains. C’est là, sur Mediapart, ce soir-là, que j’ai pu mesurer jusqu’où s’étendait dans la gauche profonde l’emprise de ce que je devais appeler cette semaine le « lepénotrotskisme ».
Je cite de mémoire. J’ai noté les quatre premières phrases de Bonnet dans un cahier, et le replay doit être facile à trouver. J’ai été si arraisonné par l’épisode que j’ai écrit une analyse de ce quatuor, et puis, un sujet chassant l’autre, je n’y suis pas revenu. Mais je lance un défi amical à Edwy Plenel : invitez-moi donc sur Mediapart, repassez ces quatre phrases à l’écran, et démontrez-moi que je me trompe, que je fausse, que j’interprète de travers.
Ce serait un duel sans autre arme que nos langues à l’un et à l’autre, l’une et l’autre bien pendues. Je serais honoré, cher Edwy, que vous acceptiez ma propositin en dépit des contraintes qui s’imposent à une publication comme la vôtre, celles de l’actualité immédiate, celle de faire du chiffre d’audience, etc. Si vous estimez que mon idée est déplacée, je n’insiste pas.
MÉLENCHON LE RABOUILLEUR
Retour à aujourd’hui. On se coirait revenu au temps des Ligues et des manifestations factieuses des années 30, quand il s’agissait de jeter les députés à la Seine.
Marine LP tient à démonter qu’elle est sur la même longueur d’ondes que la France insoumise. Résultat : par son silence « assourdissant » (Libé dixit), Méluche désarçonne ses électeurs ; Marine les hameçonne par ses gueulantes. C’est la division du travail. Les deux font la paire. Pendant que Méluche affole et désoriente la poissonnaille, la rabouille, comme on dit à Chateauroux, ma ville natale, Marine se poste en aval et recueille les bestioles dans un filet aux mailles fines, tendu d’une rive à l’autre.
On annonce sur BFM que Marie-France Garaud vote Le Pen. Cette dame fait croire depuis toujours qu’elle est une gaulliste pur sang alors qu’elle n’a jamais servi le Général : elle a servi son tombeur, j’ai nommé l’archicube Pompidou, lequel — ami de Sagan et de Senghor, employé de Rothschild, homme lettré et homme de bon sens au point de n’être jamais entré dans la Résistance — aurait certainement été horrifié du choix de sa conseillère.
08 :10 : Bourdin reçoit Louis Alliot, le rusé vice-président du FN qui, l’autre soir sur TF1, avait saisi avec empressement la main tendue de Mélenchon au FN. La main morale, s’entend. La poignée de main, le Montoire de Mélenchon, ce sera pour plus tard.
Pour me détendre, je vais me faire un petit cinéma.
LA POIGNÉE DE MAINS DE MONTOIRE EN 2017
Le maréchal Mélangeons s’est exprimé sur tous les médias audiovisuels dans les termes suivants.
« Français, J’ai rencontré, jeudi dernier, la présidente de la République. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes. Je vous dois à ce sujet quelques explications.
Une telle entrevue n’a été possible, quatre mois après notre défaite électorale, que grâce à la dignité des Français devant l’épreuve, grâce à l’immense effort de régénération auquel ils se sont prêtés (grâce aussi à l’héroïsme de nos marins, à l’énergie de nos chefs coloniaux, au loyalisme de nos populations indigènes). La France s’est ressaisie. Cette première rencontre, entre la présidente victorieuse et le vaincu de la présidentielle, marque le premier redressement de notre pays.
C’est librement que je me suis rendu à l’invitation de la Cheffe. Je n’ai subi, de sa part, aucun « dictât », aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux partis, le FN et la France insoumise. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement.
À tous ceux qui attendent aujourd’hui le salut de la France, je tiens à dire que ce salut est d’abord entre nos mains. À tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d’avoir confiance. À ceux qui doutent comme à ceux qui s’obstinent, je rappellerai qu’en se raidissant à l’excès, les plus belles attitudes de réserve et de fierté risquent de perdre de leur force.
Celle qui a pris en main les destinées de la France a le devoir de créer l’atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration.
Ainsi, dans un avenir prochain, pourrait être allégé le poids des souffrances de notre pays, amélioré le sort de nos chômeurs de longue durée, atténuée les frais des charges sociales. Ainsi pourrait être (assouplie la ligne de démarcation et) facilités l’administration et le ravitaillement du territoire. Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d’agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant.
(L’armistice, au demeurant, n’est pas la paix.) La France est tenue par des obligations nombreuses vis-à-vis du parti vainqueur. Du moins reste-t-elle souveraine. Cette souveraineté lui impose de défendre son sol, d’éteindre les divergences de l’opinion, de réduire les dissidences des psychanalystes de l’Ecole de la Cause freudienne et de leurs amis.
Cette politique est la mienne. Les élus et les cadres de la France insoumise ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un père. Je vous tiens aujourd’hui le langage du chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France insoumise éternelle. »
Je me réveille. Le brave M. Alliot devise toujours avec M. Bourdin.
AVANTAGE FN
On ne voit plus beaucoup M. Philippot, avec son rictus ironique et ses faux-airs de coupeur de têtes. C’est M. Alliot, plus rond, avec l’accent chantant du Midi, qui est mis en avant. C’est de plus un ami et un obligé de notre ami Roland Dumas.
Alliot est un homme du monde : il ne prend jamais la mouche, il ne serre pas les machoires comme M. Philippot ou comme moi-même quand nous sommes contrariés, il vous met dans sa poche en deux temps trois mouvements.
Bourdin le questionne sur le président pro tempore du FN, dont on aurait découvert des déclarations nazies et négationnistes. Alliot (en substance) : Jean-François Jalkh a renoncé à sa mission ; il portera plainte contre ceux qui le calomnient ; pour ma part je ne l’ai jamis entendu ni en public ni dans l’intimité proférer aucun propos de ce genre ; ce sont des menteries répandues par des officines antifascistes, entre guillemets « antifascistes » car « le fascisme n’existe pas en France. » CQFD.
Bourdin le titille sur le thème : le FN cherche à pêcher au second tour les électeurs mélenchonnistes du premier. Il ne s’agit pas de cela, assure, bonhomme, M. Alliot. Mélanchon et nous, nous sommes des souverainistes et nous défendons le service public. Or, les mélenchoniens élus sur cette base dans les régions font volontiers cause commune contre nous avec les exécutifs régionaux qui suivent une ligne opposée à celle qui nous a valu d’être élus, ligne mondialiste et conduisant au démantélement du service public. Les électeurs de Mélenchon, croyez-moi, ne sont pas fous, pas schizophrènes : ils comprennent très bien que nous sommes plus proches d’eux que M. Macron. Au second tour on élimine. Eh bien, FN et France insoumise, éliminons ensemble les idées de M. Macron.
Expliqué comme ça, d’une voix suave, c’est indiscutable. Il est très fort, Louis Alliot. FN = 1, Démocrates = 0.
De plus, il ne manque pas d ‘élégance. Il salue l’honnêteté de Mélenchon dans sa démarche, et se félicite comme l’autre soir sur TF1 de ce qu’il n’ait pas appelé comme les autres à voter Macron.
Attali s’est fait connaître ensuite par ses plagiats, comme Alain Minc d’ailleurs. Il y a là très certainement un type psychologique : le garçon brillant, mais qui en fait trop, et finit par chiper ici et là des idées et des paragraphes. Il y a aussi une sombre histoire de carte de crédit détournée de son usage légitime qui coûta à Attali la direction de la Berd, qu’il avait inventée. Tout cela ne lui a pas nui dans l’élite de la société parisienne, dont il est l’un des carrefours.
Sa dernière boulette est bien dans sa manière. Ce ne sont pas des choses à dire, Attali, hors des Conseils d’administration. Bien entendu, à l’échelle des problèmes planétaires dont traite tous les jours le Groupe de Bilderberg, le malheur des pauvres gens, des 300 ouvriers bientôt chômeurs, ce n’est qu’une anecdote, comme il est vrai que, dans l’histoire militaire de la WWII, les chambres à gaz, ce n’est qu’un détail. Si mon souvenir est bon, pas une page, pas une seule mention dans le livre admirable de Liddell Hart. Et un petit chapitre sur la Shoah dans celui, plus récent, plus sensible à l’air du temps, d’Antony Beevor. Seulement, une vérité, ce n’est pas un contenu exact, c’est un événement beaucoup plus complexe : il y entre qui la dit, et pourquoi, et en réponse à quoi, etc. Quand on factorise, si je puis dire, ces données nuancées et glissantes, on conclut : Jean-Marie Le Pen est un antisémite et Jacques Attali, même omni-intelligent, est un con.
Puisque je parle de Le Pen père, on apprend que celui-ci promet pour le 1er mai « une surprise ». Bourdin chatouille Louis Alliot là-dessus : « Oh ! il fait ça pour attirer le chaland », dit son presque gendre. Et dire que ce sont ces gens-là qui nous donnent à nous incroyants des leçons sur la famille, cellule sociale fondamentale, et patati et patata, bla bla remontant à Bonald. Eh bien moi, je peux vous dire que si j’avais parlé comme ça de mon beau-père — qui pourtant savait attirer le chaland, et comment ! —, je n’aurais pas fait de vieux os.
REDIABOLISER
A peine M. Bourdin a-t-il dit au revoir à M. Alliot que surgit M. Barbier, le brillant éditorialiste de L’Express, qui commente ses propos sur la démission de Jalkh : Marine le Pen « ne veut pas courir le risque de la re-diabolisation. » Bingo ! Voilà le mot ! Et c’est un archicube qui l’a trouvé !
Macron, écoute bien ! Tu vas maintenant me REDIABOLISER en quatrième vitesse la Valkyrie jouant les Mamie Foodie.
Avant de toucher un gros héritage, de quoi avait vécu son père ? — sinon de la vente de disques et de cassettes de chants de l’armée allemande impériale puis nazie. Allemande, nazie, pas de l’armée française royale puis républicaine. L’enfance de Marine a dû être bercée par le Heidi, Heido, par le Horst-Wessel-Lied, par Das Deutschlandlied. Ce sont ces chants qui payaient la bouffe chez les le Pen, la leur et celle du chien. Ce sont ces paroles martiales qui leur payaient leurs vêtements, leurs livres, leurs chaussures, qui payaient les factures d’eau, de gaz, d’électricité. Ce n’était pas : « Merci, petit Jésus ! », mais : « Danke, und Heil Hitler ! »
Cette famille a vécue tous les jours du nazisme, sur le nazisme, suçant le sang du nazisme, tels des parasites, plus précisément des ectoparasites, mais ce n’est pas le moment de s’appesantir sur la parasitologie, bien que ce soit une passionnante discipline.
D’autres ont fait suer le burnous. L’expression signifie : faire durement travailler la main d’œuvre étrangère, et par extension, exploiter, faire travailler exagérement. Le burnous est un grand manteau de laine avec capuche, porté au Maghreb ; l’emploi du mot est ici métonymique. Eh bien, les Le Pen, eux, ils ont vécu de faire suer l’uniforme vert-de-gris. Ils ont bouffé nazi, dormi nazi, pissé nazi, chié nazi. Oui, je dis chié nazi, parce que je suis du pays de Rabelais, et aussi pour emm… France Culture, station radio où l’on m’a fermé la bouche la semaine dernière parce que je disais qu’un M. Chatillon, pote de Marine, était, selon la rumeur, un nazi. On aurait cru que j’avais lâché un pet chez la duchesse. France Culture, la honte.
Et voilà maintenat que l’héritière nourrie au lait du nazisme depuis sa plus tendre enfance vient nous donner, la bouche en cul de poule, des leçons de francitude ! Quel infernal culot !
Le mal est profond. On a permis au diable lui-même de se dédiaboliser. « Monsieur Satan, à vous la parole ! » La peste a gagné d’abord les plus faibles, les plus démunis, les fameux périphériques de Christophe Guilluy. C’est maintenant la jeunesse mélenchonisée des centres urbains qui est touchée, celle des lycées, des prépas et des facs. Mélenchon, le mélenchonisme, ouvre la porte à la prise du pouvoir par Marine Le Pen, que ce soit par la voie de l’abstention ou par celle du vote Le Pen.
Combien de temps les médias cacheront-ils que Mélenchon fut et demeure la marionnette d’un hitlérien, qui se gobergeait avec les nazis quand mouraient les nôtres ? Combien de temps, médias, parlerez-vous d’autre chose ?
Que Macron soit trop ceci ou pas assez cela n’importe pas. Marine est ce qu’elle est. Et ce qu’elle est, c’est le mal absolu. Dans l’Etat de droit, ça se combat dans une campagne électorale. Quand ce n’est plus l’Etat de droit, ça se combat les armes à la main.
Puisque je parlais chanson, il y en a une qu’il faudrait apprendre à la jeune classe.
Ecoute bien, Lambert, au bras de Déat ! Ecoute, Mélenchon, au bras de Lambert ! Ecoute le glas ! Et ne demande pas pour qui il sonne : il sonne pour toi. C’est comme ça, c’est le topos qui veut ça.
Tu es fini, pauvre Méluche. Tu es fini, Pierre Lambert. No future pour Mister Nazi !
Miliciens, mouchards, tristes apôtres,
Cette complainte est également la vôtre
Tortionnaires, bourreaux et mercenaires
Elle rythme votre heure dernière
Collaborateurs écoutez-la bien
C’est pour vous que chante ce refrain
C’est la complainte des nazis
C’est la complainte des pourris
Qui met au ventre des salauds
La peur d’la corde ou du poteau
Elle accompagne en quelques mots
L’agonie de l’ordre nouveau
À vos potences, hommes de Vichy
C’est la complainte des nazis
LES AMIS DU JOURNAL EXTIME
FRANÇOIS REGNAULT : ENCORE VICTOR HUGO
En 2002, deux-centième anniversaire de la naissance de Victor Hugo (« Ce siècle avait deux ans… »), j’accompagnai la belle Rachida Brakni, qui jouait à la Comédie-Française le rôle de la Reine dans la mise en scène du Ruy Blas de Victor Hugo par Brigitte Jaques-Wajeman, au Sénat où, à l’occasion d’une séance solennelle d’hommage à Victor Hugo, qui avait été sénateur de 1876 à 1885, elle lut à la tribune un passage des Misérables à propos de l’opposition entre Réforme et Révolution. Puis, de l’extrême droite à l’extrême gauche, tous les partis firent l’éloge de Victor Hugo. Jack Ralite pour le Parti Communiste et Robert Badinter pour le Parti Socialiste, ce dernier avec d’autant plus d’éclat qu’il avait contribué à arracher à François Mitterrand la suppression de la peine de mort, désir constant de Victor Hugo.
Je lui présentai Rachida, et il nous raconta que Victor Hugo sénateur avait en somme siégé dans l’hémicycle du Sénat de plus en plus à gauche, ancien Pair de France devenu le défenseur assidu des Communards ; mais le Sénat conservateur, nous dit Badinter, l’écoutait de moins en moins. Le noble vieillard les rasait !
Il donnait cependant ainsi, en allant de droite à gauche, un exemple rêvé à la jeunesse votante qui reproche aujourd’hui à ses parents de se rallier au macronisme, et de vérifier ainsi le misérable préjugé anthropologique : plus on vieillit, plus on devient conservateur, plus on se soumet ! D’où évidemment la faveur accordée par elle à un Mélenchon un peu vite comparé à Victor Hugo, d’autant plus qu’il en récite, du Hugo, en veux-tu en voilà.
Reste qu’il y a un abîme entre un communisme électoral fabriqué et le génie politique du grand poète mort.
Alors que reste-t-il aux jeunes gens déçus par celui qui semble au dernier moment s’être replié sur son petit Aventin ?
On me permettra d’avancer trois solutions à l’intention des adolescents, réels ou demeurés, dégoûtés par les résultats ou les issues du vote.
La fameuse hypothèse communiste, présentée parfois comme idée régulatrice. Ce qui ne me convainc guère dans la mesure où, chez Kant, les idées régulatrices ne vont pas très loin : c’est la différence, selon lui, entre le jugement déterminant et le jugement réfléchissant1 ! Mais un communisme réfléchissant est-il possible ?
L’hypothèse du Royaume des Cieux, qui vient juste après celle de la Société sans classe, et qui suppose une conversion religieuse (l’époque s’y prête), mais à condition, contrairement à la maxime du Christ, de ne rien rendre à César, et tout à Dieu. Cela peut conduire à un fanatisme certain, car c’est au fond une position… djihadiste : détruire entièrement César.
Enfin une hypothèse sceptique, à la Schopenhauer, d’après ce grand philosophe pessimiste, qui séduira toujours les non-dupes, les aristocrates grand-seigneur et les poètes maudits.
Il concluait à la fin de sa vie : « Eh bien, nous nous en sommes bien tiré »2. Reste, comme le disait Lacan, que, du moins pour ce qui en est des non-dupes, ils risquent fort d’errer au Royaume des Morts3.
NATHALIE GEORGES-LAMBRICHS : UN ROSEAU À QUALITÉS
Nous sommes avertis par celui que la victoire de Le Pen sur Jospin propulsa à l’Élysée avec un nombre de voix tel que les dictateurs n’osent plus en rêver : « les promesses sont faites pour ceux qui y croient ». Non seulement le cap d’En Marche n’est pas très défini, mais le serait-il qu’il en serait plus mensonger.
Il n’empêche : en direct, Emmanuel Macron a bel et bien lâché « on y va » en même temps qu’il se levait pour rencontrer sur le site de l’usine les grévistes de Whirlpool où son adversaire venait de lui jeter son gant. Le cheveu du kaïros changea de main. Point chêne, roseau. Ce qui le meut ?
Un désir de réformer, en informant, rien de moins que le style politique français. Du dire au faire, il y a plus d’un pas. Pour l’heure Emmanuel Macron a donné à voir sa face de Chérubin qui confesserait le diable sans le reconnaître. Naïf donc, mais rusé pourtant, roué, prêt à rendre sur-le-champ dix phrases belles et bonnes pour une apostrophe peu amène, jusqu’à, futur patron du patron (ou de la patronne) des patrons, recueillir l’hommage à son courage de la part de François Ruffin qui, bluffé sur l’instant, l’attend au tournant, prévient-il très vite.
Un phénomène le « petit Emmanuel » – comme l’appelle affectueusement Daniel Cohn-Bendit ? C’est ce qui peut porter au pari, un cran au-dessus du choix forcé : il s’y rompra, rompra et pliera, mais sans se rompre – si les gros poissons ne le mangent pas.
Il a plié sous les éloges de son aîné de Pau qui le comparait à Henri IV, Alexandre et John Kennedy – l’on fut bien aise, étant donné le destin commun à ces trois-là, de savoir que l’inconscient n’est plus ce qu’il était. Et quand il déplia la lettre de Diderot à Sophie Volland pour déclarer « je vous aime » aux 20 000 personnes qu’il avait réunies à Bercy, il sembla plier avec élégance sous cet amour dont nul ne sait où il émarge ni s’il se nourrit de pain ou de brioche. « Nouvel amour », à l’instar de l’inconscient de jadis ? Emmanuel Macron incarnera-t-il cette politique qui doit s’inventer à chaque instant dans le creuset de l’expérience ?
Nous avons nos raisons de suivre la chose de près. Comme en a témoigné Camilo Ramirez au forum de Choisy-le-Roi, il y a un certain temps que l’on peut tomber, dans l’administration française, sur un fonctionnaire qui moque votre accent étranger et oppose impunément son inertie maligne au plein exercice de vos droits. Depuis des mois sinon des années, les centres d’accueil pour étrangers reçoivent en douce des consignes de ne pas appliquer les lois favorables à ces derniers. Ils bloquent les procédures, perdent les dossiers. Ils n’ont plus peur, ils sont aux portes, ils sont bien nourris dans la place, les loups qui aiment la meute. Le loup que chacun est pour l’autre va-t-il irrésistiblement chanter avec eux dans l’isoloir ? Ce deuxième tour n’est qu’un prélude au pire, immédiat ou prochain.
Si Macron l’emporte, sa volonté de donner à la France un nouveau souffle devra être mise à l’épreuve tout de suite. De quelle manière et dans quel style ? Ah, c’est encore une question.
CAROLINE LECOMTE : STOP AU CHANTAGE DE VOTRE VOIX
@dizaines
En 2002 entre les deux tours qui ont opposé Chirac et Jean-Marie Le Pen, j’étais en grande difficulté. Cette élection a été un événement de corps pour moi, qui a produit une perte et un déplacement. J’étais jeune électrice, je me définissais à gauche. Ce qui a été difficile n’était pas de voter Chirac : ce fut une évidence, aussitôt, pour moi. Ce qui l’était, c’était déjà d’entendre mes amis de gauche maudire ce choix électoral, douter de leur acte crucial à venir, dire qu’ils le feraient, cet acte de glisser le bulletin CHIRAC dans l’urne, en se trahissant, en se pinçant le nez. N’était-ce pas, au contraire, le seul acte de conviction possible dans une démocratie parlementaire bancale comme la nôtre ? Le choix de la démocratie contre le choix du fascisme. Cet entre-deux tours cauchemardesque m’a durablement déplacée dans mon rapport à l’idéal. Mon cœur reste à gauche et j’aime que la gauche soit forte car protéger les faibles et redistribuer l’argent de façon plus juste me semblent des enjeux majeurs de la vie publique. Mais à présent, je godille à chaque élection, selon ses enjeux propres et selon l’état des forces des différents partis, l’état de la France à l’instant T, et en gardant toujours un œil sur le cours de la haine que cote le FN, ainsi que d’autres phénomènes mortifères propres à notre malaise.
Aujourd’hui, ça recommence. Malgré 2002, il me reste quelque chose à perdre pour être vraiment au clair avec ma position. Car, voyez-vous, presque toute ma famille ainsi que l’homme avec qui je vis, que j’aime et que j’estime, ont voté FI au 1er tour, tandis que j’ai voté Macron, par calcul, sans conviction autre que « c’est le bon cheval pour la démocratie ». Je suis très fière que les miens, d’insoumis, aient décidé très vite de voter Macron au 2nd tour, « à titre personnel », comme dit Jacques-Alain Miller. Je suis soulagée, mais je suis restée divisée quant à leur position. Car ils souffrent, ils vivent une déchirure, et « comprennent », selon le terme qu’ils utilisent, les abstentionnistes de leur bord. Il faudrait d’après eux ne pas brusquer les abstentionnistes, les laisser faire leur mue tranquillement, leur « deuil », au risque qu’ils se radicalisent, qu’ils se braquent si on leur fait la morale en leur disant quoi faire. Mais il y a le feu au lac ! 2017 n’est pas 2002 : Macron est en train de baisser tandis que MLP monte, et les chiffres de l’abstention sont massifs, chez les fillonistes comme chez les insoumis. Concernant les fillonistes et Sens commun, je laisse à d’autres le soin de trouver la façon de leur parler. Quant à moi, mon adresse, ma question sont chez les insoumis. Et grâce au texte de J.-A. Miller publié hier, « Le bal des lepénotrotskistes », ce qui restait à se dépouiller pour moi se dépouille.
Quels sont ces citoyens qui vont s’abstenir parce qu’on leur fait la morale ? « On me fait la morale alors je boude et je laisse passer MLP ? » Mais en effet ! Il y a des leçons qui se perdent ! Ça peut ne pas faire de mal une bonne petite giclée de honte quand on est en faute – leçon lacanienne. C’est vraiment le sophisme absolu : Si JE m’abstiens, TU es responsable. Car : « Ah la la tu m’as vraiment trop fait la morale ». En outre, ces abstentionnistes militent pour l’abstention. Le cauchemar se met en place… Que disent les insoumis avec qui je discute jour après jour sur Twitter ? En substance : « C’est de votre faute les méchants macronistes si MLP va passer au pouvoir parce qu’à cause de vous, nous nous abstenons ». Ou encore, de la part des résignés malheureux au vote Macron : « Vous faites le jeu du FN si vous leur faites la morale ». J’y vois la marque de la subjectivité de ceux qui ne sont jamais responsables de rien… Le soir du 7 mai, pourtant, chacun sera responsable de ce qu’il a fait ou n’a pas fait.
J’ai décidé qu’entretemps, je ne me gênerai franchement pas pour faire la morale à ceux qui l’appellent de leurs vœux : je leur ferai la morale avant, pendant, après et jusqu’à la fin des temps. Le chantage au vote « parce qu’on fait la morale », ça suffit comme ça. Nous sommes tous des citoyens responsables. Chacun est libre de voter ce qu’il veut, chacun est libre de s’abstenir ou pas. Dans l’inconscient, nous restons quoi qu’il en soit responsables : chacun sera comptable au regard de soi-même de ses choix. Ceux qui votent Macron en excusant les abstentionnistes seront comptables aussi, car il est possible d’essayer plutôt de les convaincre. Ceux-là y auraient davantage de poids que moi qui avoue benoîtement mon vote Macron, me proposant comme adversaire. C’est de plus une faute d’attaquer Macron à tout bout de champ pour brosser les abstentionnistes dans le sens du poil, car c’est nourrir l’abstention et lui donner des arguments. Mais quel est ce vœu mortifère qui pousse dans cette direction ? La peur de signer un blanc-seing à Macron, me répond-on. Ah ! C’est bien connu : Chirac n’a pas connu d’opposition pendant son mandat parce qu’on a voté à 82 % pour lui…
J’assume ma violence et je suis désolée si elle blesse certains des miens. Sur mon profil Twitter, j’ai décidé d’inscrire : Captain moralisatrice. JE VOTE MACRON + je tue un chaton et un ouvrier tous les matins au réveil. J’entends à présent de nombreux reproches. Ce ne serait pas la bonne tactique. Mais il me semble au contraire que c’est la bonne tactique, partant de l’axiome que c’est l’inconscient qui vote. S’abstenir pour moi, c’est l’inconscient de Ponce Pilate qui s’en lave les mains, c’est, sous prétexte de pureté, lâcher la bride à la jouissance que MLP pourrait passer. Et alors, car on passe d’un rêve à l’autre, « on serait de si merveilleux résistants ». Convaincre, ça ne marche pas, depuis la nuit des temps. Faire honte, au niveau de l’inconscient, ça peut marcher. Les gens n’aimeraient pas qu’on leur marche dessus, qu’on piétine leurs convictions ? Détrompez-vous, le masochisme de chacun est abyssal. En ce moment, nous voyons le très beau masochisme de JLM à l’œuvre – en train de détruire radicalement le mouvement qu’il a construit. Car à l’heure des comptes, que MLP passe ou pas, son silence que les insoumis me renvoient comme si c’était MA censure, lui sera comptable.
On me reproche enfin de me placer dans ce discours comme « la seule pure ». Je ne suis pure en rien, ou disons en pas grand-chose : j’ai voté Macron par pur calcul, sans conviction et je l’assume. Ma pureté, si j’en ai une, c’est celle des maths. Abstention +++ = MLP +++. C’est la seule équivalence qui compte d’après moi. Les maths, c’est le réel, contrairement à ce que m’a opposé un mélenchoniste quand je lui disais concernant l’abstention que c’était les maths qu’il fallait accuser, et non moi. Voilà ce qu’il m’a répondu : « Dans les maths, oui, mais ton interprétation socio-économique est fausse, parce que ce n’est pas des maths ». Ça va loin l’idéal. Ça va jusqu’à nier les maths. Excusez ma façon de le dire, chers insoumis qui votez Macron tout en nourrissant l’abstention, mais pour qui prenez-vous les gens ? Bien sûr qu’il y aura des irrécupérables qui radicaliseront leurs choix. Mais tous les autres, ceux qui doutent, croyez-vous vraiment que ça aide de taper sur Macron, de justifier l’abstention par x bonnes raisons ? À quelle place mettez-vous les abstentionnistes « en les comprenant » ? Je vous le dis, c’est à cette place-là : Ils ont le droit d’être irresponsables, car ce sont des gamins qui risquent de se radicaliser.
Oui, je leur ferai la morale, au nom de ma seule voix. Unfollowez moi, unfriendez moi. Détestez-moi. Détestez-moi pour le mépris que j’incarnerais. Pour l’instant, ce mépris est en fait suspendu. Ce ne sera plus le cas au soir du 7 mai. Aux miens je veux dire : que les insoumis me détestent de le dire, mais qu’ils aillent plus vite que 15 jours pour déranger leur propre défense. Non, il ne s’agit pas de faire des bisous aux abstentionnistes pour qu’ils aillent voter. Je choisis la tactique de la trique plutôt que celle des bisous. Parfois, dire aux autres leur devoir démocratique est bénéfique. En quoi serait-ce la même chose que de les suivre dans l’isoloir avec un fusil dans le dos ? Enfant, j’ai vécu en dictature chez ma mère. C’est la source intime de ma position. Ma mère un peu trop folle, ça n’a jamais servi à rien de lui faire des bisous – et dieu sait que j’ai essayé longtemps. Mais elle était toujours aussi folle après. La seule chose qui ait marché, c’est de lui dire : Ciao bye bye ! Je ne veux plus jamais te revoir. J’ai honte d’avoir excusé ceux qui excusent les abstentionnistes. Il y en a trop que j’aime ? Eh bien prenons le risque.
ANNE-LISE HEIMBURGER : CHER JACQUES-ALAIN
Vous trouverez ci-dessous l’affiche et la liste des participants à la soirée du monde de la culture contre le FN, qui se tiendra ce lundi 1er mai à 20h au Théâtre des Bouffes du Nord.
Le public promet d’y être varié (plutôt de gauche et comptant sans doute pas mal d’électeurs de Mélenchon qui viennent cependant à cette soirée contre le FN).
Aucune consigne n’a été donnée ni sur la forme ni sur le fond des interventions. Le seul impératif concerne la durée des passages, dont aucun ne doit excéder 10 minutes.
Au plaisir de vous voir et de vous entendre lundi.
Ce terme de viralité est le sous-titre du livre de Valérie Igounet : Les français d’abord. Slogans et viralité du discours Front National ( 1972- 2017)[1]
Valérie Igounet, est historienne, spécialiste du négationnisme et de l’extrême-droite en France. Elle apporte une contribution originale à l’approche de ce parti, qui est devenu en quelques années un acteur majeur de notre vie politique.
Cette appellation : viralité, je ne l’ai pas lu de suite de la bonne façon ; j’ai lu « virilité » avant d’écarquiller les yeux et de voir VIRALITE. C’est-à-dire infection, contamination et tout ce qui s’associe comme qualificatifs à la notion de virus. Ce terme, soyons clairs, V.Igounet l’emploie, pour le DISCOURS du Front National, pour qualifier la manière dont les idées du Front National se propagent et s’infiltrent « dans les profondeurs du gout ». Pour le dire autrement, c’est démontrer avec la rhétorique du FN, comment de protestataire, le vote FN a viré, basculé en un vote de conviction. C’est là le danger d’une épidémie, pour filer pas seulement la métaphore mais avertir sur le réel de cette contamination idéologique.
C’est ce qu’illustre un autre ouvrage de Valérie Igounet : l’Illusion nationale[2]. Avec Vincent Jarousseau, photographe-documentaliste, les deux auteurs sont allés, pendant deux ans, à la rencontre des habitants de trois villes tenues par des maires frontistes. Ces trois villes, sont représentatives de la réussite du FN. Il s’agit de Hayange (ville autrefois prospère des hauts fourneaux en Lorraine), Henin-Beaumont (dans le Pas de Calais région jadis minière et ouvrière) et Beaucaire (département du Gard région d’accueil après la guerre d’Algérie). Les deux auteurs ont utilisé, pour leur enquête, une méthodologie orale ; ils sont allés à la rencontre des habitants ayant voté FN et prêt à élire MLP. Ils ont partagé leur quotidien : au café, dans des fêtes, ils les ont écoutés, sont rentrés dans une certaine intimité. Ils n’ont pas cherché à les convaincre et surtout ils ne les ont pas jugés. Ils se sont fait passeurs de leur position; tous les propos et les photos de cet ouvrage, qui se présente sous la forme d’un roman- photos, sont à la virgule près, ceux qui ont été tenus et ont été validés par les intéressés. C’est un travail d’une grande valeur éthique.
Valérie Igounet se dit frappée après ces années de travail sur le terrain, de voir et d’entendre combien les militants ont intégré les slogans du FN. Le FN a su faire infuser ses discours. Donnons quelques exemples recueillis dans l’ouvrage : « Les français d’abord » ; « Etre français ça se mérite » ; « Stop à la submersion migratoire. » « Quand les migrants viennent ici, en France on leur donne un logement, ils paient rien. Ils vivent tranquilles, nous on vit dans la précarité. » ; « Je ne suis pas forcément raciste, mais il y a des personnes qu’il faut éliminer de là. » « Je ne suis pas du tout raciste. Mais ce sont les français d’abord ».
Valérie Igounet a une formule remarquable pour résumer leur travail d’enquête : « Désespérant politiquement et déchirant humainement ».
C’est le diagnostic documenté d’une contamination idéologique qui s’est propagée. Quels en sont les aspects dangereux ?
Le Front national veut faire croire qu’il a changé mais il EST un parti d’extrême droite avec ses trois fondamentaux: la Xénophobie : eux et nous (dont le ressort est la haine et le rejet de l’autre étranger), le Nationalisme : valeur nationale identitaire ; le Patriotisme avec la préférence nationale (qui a remplacé la priorité nationale). Le FN est un parti d’extrême droite, avec dans son ADN la haine de la République. Populiste il s’adapte dans ses propositions aux territoires : immigration dans le Sud ; emplois et précarité dans les bassins miniers…etc.
Ce qui a changé c’est que les slogans et la représentation, se sont tempérés. Et là c’est malheureusement une réussite : le FN s’est banalisé ! La maladie a progressé à bas bruit mais maintenant, Il y a le vote des ouvriers, le vote des jeunes et le vote des femmes. Et c’est un vote affiché, assumé, voire qui procure une certaine fierté. Le FN a contaminé tous les milieux.
Dans L’illusion nationale, les deux auteurs démontrent que pour nombres d’électeurs le FN symbolise un espoir, une autre vie, plus sûre….sans immigrés. Le parti d’extrême-droite leur vend un rêve : leur rendre une fierté. Ces deux années passées dans ces trois communes à échanger avec ces Français de toutes origines, ont confirmé …le danger : l’Illusion pourrait un jour devenir Nationale. L’antonyme d’Illusion c’est désillusion !
Donc ajoute Valérie Igounet : « Il faut attaquer politiquement le FN en déconstruisant calmement son discours. ». Voilà le traitement ; il sera de longue durée.
[1] Igounet V. Les français d’abord ; Slogans et viralité du discours front National (1972-2017), Inculte/dernière marge,2016.
[2] Igounet V. Jarousseau V. L’illusion nationale, Les Arènes, janvier 2017.
Qui se cache derrière le masque Marine Le Pen ? Une femme déterminée et libérée de l’emprise de son père ? Son « clone absolu », comme le disait sa mère ? Ou bien une machine de guerre programmée pour gagner les élections au FN ?
Marion Anne Perrine Le Pen, dite Marine Le Pen, née le 5 août 1968 à Neuilly sur Seine est une femme politique française. Depuis 2011, elle est la présidente du Front National où elle succède à son père.
Depuis son arrivée à la tête du parti, le FN a fait peau neuve et a décidé de faire rimer Marine avec mainstream. Comme l’évoquait Jacques-Alain Miller hier matin sur France Culture, nous sommes passés du régime de l’impossible au régime de la contingence. Par contingence, entendez ce régime dans lequel le hasard domine. Le fameux plafond de verre pourrait bien se briser à l’occasion de cette élection. Ce plafond de verre, dont Louis Aliot lui-même, le compagnon de Marine Le Pen, disait qu’il correspondait à l’antisémitisme du FN[1].
Alors comment en sommes-nous arrivés là ? Trente ans après l’adhésion de Marine Le Pen au FN en 86, vingt-quatre ans après son entrée en politique en 93, quinze ans après l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen ce fameux 21 avril 2002, nous avons assisté, presque impuissants, à la montée au zénith de ce parti dont nous pressentions le danger depuis toujours. C’est donc en l’espace d’une trentaine d’années que le FN a conquis sa place dans le paysage politique français, en devenant un parti à l’allure respectable. Voici ce qu’une impeccable stratégie, menée d’une main de maître, a permis, combinant un story-telling digne des plus grandes tragédies, et une minutieuse entreprise de dédiabolisation
La dédiabolisation est un terme inventé par le FN lui-même. Valérie Igounet[2], historienne et co-auteur avec Vincent Jarousseau, que nous venons d’entendre, de L’Illusion nationale, relève que c’est la solution qui a été inventée par Mégret et ses proches, au début des années 90, afin que le parti devienne plus crédible, qu’il fasse moins peur et qu’il ait ses chances de remporter des sièges aux élections. Une stratégie savamment pensée, et reprise à son compte par Marine Le Pen. Il s’agit ainsi de refuser la qualification d’extrême-droite, de proscrire toute référence aux idéologies d’avant-guerre, toute allusion au racisme, à l’antisémitisme. Il s’agit encore, note-elle, de faire passer pour invraisemblable l’idée d’un FN fasciste. Il s’agit, enfin, de proposer un discours plus social.
Novembre 2016 : Marine Le Pen inaugure en grande pompe son nouveau QG de campagne. Baptisé L’Escale, car il se situe à seulement quelques enjambées de l’Elysée, pour faciliter le déménagement en mai, dira t-elle, avec l’ironie qu’on lui connaît. Le public découvre alors médusé ce que Libération appellera « le grand détournement pop[3] ». Sur les murs blancs, sont accrochés une série d’images, empruntées à la culture. Le nouveau FN veut avoir l’air cool, il veut séduire les jeunes et brandit ses insignes.
La langue des Rolling Stones, « Tongue and lips », comme disent les anglais, « Hot lips », ce célèbre logo est l’emblème absolu du rock n’roll. Il évoque l’esprit rebelle du groupe, tout autant que la dimension sulfureuse de leur musique. Cette fameuse langue, la voici colorée à la mode bleu marine.
Banksi, le célèbre street artist, dont l’oeuvre est éminemment politique Voilà une de ses œuvres détournée. Un manifestant masqué, casquette sur la tête, jetant un bouquet de fleurs, comme il jetterait un projectile. Le bouquet de fleurs des champs a été remplacé par un bouquet de roses bleu marine. Marine Le Pen et Banksi auraient en commun leur anti-conformisme, explique un de ses conseillers.
On aura tout vu, plus les ficelles sont grosses et plus ils s’en donnent à cœur joie. Clint Eastwood, les Tontons Flingueurs, rose bleu marine au bout du calibre, Albert Einstein, tirant la langue, et même un montage de Florian Philippot, le numéro 2 du FN, photoshopé en James Bond ! Rien ne les arrête.
La rose bleu marine, là encore, quel talent ! A ceux qui pensent qu’elle symbolise l’UMPS, la rose des socialistes et le bleu des Républicains, Marine Le Pen rectifie. La rose est d’abord le symbole de la féminité dans la campagne, et dans le langage des fleurs, le bleu marine signifie l’impossible rendu possible. Exit la flamme bleu blanc rouge qui faisait si peur, exit encore le nom du parti, exit enfin, le nom de Le Pen. « Mais enfin, s’exclame un Twittos, ils fument quoi au FN[4] ? »
En 1993, alors que Marine Le Pen se lance en politique, elle le dit simplement : elle a déjà un nom, charge à elle, maintenant, de se faire un prénom ! Et c’est ce qu’elle fit. Sur une video de l’INA de l’époque, on la voit, parlant impeccablement, d’un discours si bien huilé. Elle a 24 ans. « Nous avons été confrontées, en qualité de filles de Jean-Marie Le Pen, à un grand nombre d’obstacles dans notre vie et peut-être que cela nous a forgé un caractère plus combattif et nous a donné une expérience certaine du sens des choses et de la valeur des choses[5] », dit-elle à la caméra.
La machine était lancée, et avec elle, les premières lignes d’une fiction, digne des plus passionnantes tragédies. Ou bien d’un conte qui commencerait ainsi : il était une fois un ogre qui vivait dans un manoir avec sa femme et ses trois filles[6]…
A voir les photos de l’époques, les trois sœurs semblent tout droit sorties du film de Sofia Coppola, The Virgin suicides. A la différence du film, elles ne font pas que fantasmer les garçons car leurs parents les laissent souvent seules dans leur grand manoir et elles aiment y inviter du monde.
L’histoire raconte que la fidélité de Marine Le Pen à son père commence le jour du fameux attentat de 1976, qui manquât d’emporter sa famille, à l’aide d’une charge de 5 kg de dynamite. Elle aperçoit alors ce qui, de l’engagement politique de son père, conjoint jouissance et pulsion de mort. Il est prêt à risquer sa vie… et celle de ses filles.
La légende décrit aussi une Marine Le Pen délurée et night clubbeuse, qui écume les dance floors des grandes boîtes parisiennes, du Palace aux Bains. De cette époque, on retient une mémorable interview de Thierry Ardisson[7], qui converse clope au bec, avec la grande-soeur, Marie-Caroline (celle qui trahit la famille plus tard, en choisissant le camp des mégrétistes). Interrogée sur le « détail » de l’Histoire, elle ne dit pas autre chose que son père, tout en noyant des poissons avec un joli sourire. On sent que l’antisémitisme est une tradition familiale.
Le roman continue, et montre une Marine Le Pen qui danse la nuit et étudie le droit le jour. A cette époque, à la fac de droit, rue d’Assas, elle se lie d’amitié avec ceux qui deviendront ses hommes de l’ombre, son équipe bis[8], ceux qui financent le parti, grâce à des sociétés de communication et de sécurité. Ces hommes sont des militants du GUD (le Groupe Union Défense). Ils prônent l’ultra-violence et vouent une admiration sans borne à Hitler. Mais ça, la légende ne le raconte pas.
Devenue avocate, elle défendra même des sans-papiers[9] car elle a, dit-elle, le goût des combats contre l’injustice. « Qu’en pense papa ? » titrait alors France Soir, qui était tombé dans le piège tendu par le couple père-fille, ce couple qui n’a eu de cesse de jouer la carte de la tragédie en plusieurs actes, une tragédie jalonnée de coups de théâtres et de coups de poignard dans le dos.
Cette tragédie met en scène une fille déterminée, aux prises avec un père toxique, dont elle se sépare in extremis, avec courage et bravoure. Elle n’a pas hélas, fini de s’écrire, car un nouveau chapitre voit arriver une rivale, qui n’est autre qu’une sœur ennemie ou plutôt une nièce, bien décidée à en découdre.
Cette tragédie pourrait-elle m’émouvoir, si Marine Le Pen venait toquer à la porte de mon cabinet, se plaignant de papa, de maman et de ses sœurs pour demander une analyse ? Peut-on tout écouter, peut-on tout entendre ? Il y a des jouissances, si obscures, qui, d’en appeler à la peur et à la haine de l’autre, ne pourront trouver chez l’analyste d’oreille consentante. Il y a des symptômes que l’on n’a rien à gagner à essayer d’encourager. Si les contre-indications à la psychanalyse sont rares, être Marine Le Pen en est une, assurément !
En cette veille d’élection, nous faisons le pari, en unissant nos forces aujourd’hui, que les Français feront le choix de la démocratie et que le sursaut républicain aura raison de ce programme de haine, pour cette fois, au moins, et pour gagner un peu de temps pour construire une alternative acceptable !
[1]Plenel E., Pour les musulmans, Editions La Découverte, 2015, p. 24
[2]http://blog.francetvinfo.fr/derriere-le-front/2015/06/26/la-dediabolisation-cest-quoi-au-juste.html
[3]http://www.liberation.fr/france/2016/11/17/fn-le-grand-detournement-pop_1529167
[4]http://mobile.lesinrocks.com/2016/11/24/actualite/limagerie-front-national-devoile-strategie-de-marine-pen-2017-11880748/
[5]INA, 15 mars 1993, https://www.youtube.com/watch?v=2gdZmFp4Br8
[6]http://www.vanityfair.fr/actualites/france/articles/le-pen-les-filles-de-logre-claude-askolovitch/26858
[7]http://www.ina.fr/video/I07262256
[8]https://www.mediapart.fr/journal/france/151013/la-gud-connection-tient-les-finances-de-marine-le-pen?page_article=2
[9]http://laregledujeu.org/2017/02/07/30792/la-jeunesse-cachee-de-marine-le-pen/
Compte Rendu du Forum scalp de Lille
Compte Rendu du Forum scalp de Lille
Texte paru initialement dans le numéro 12 de la revue Le Diable probablement,2022, Le FN au pouvoir, chroniques de l’impensable.
« Ce que quelqu’un veut délibérément dissimuler aux autres ou à soi-même, et aussi ce qu’il porte en lui inconsciemment, la langue le met au jour. […] les déclarations d’un homme auront beau être mensongères, le style de son langage le met à nu. »[i]
Ainsi s’exprimait Victor Klemperer en 1947 dans LTI, Lingua Tertii Imperi, La langue du Troisième Reich, lui que les nazis exclurent, pour sa judéité, de son poste de professeur de philologie à l’Université de Dresde. Son analyse essentielle de la manière dont l’idéologie du Troisième Reich s’était appuyée sur un véritable travail d’imprégnation de la langue même, dans tous ses aspects, y compris les plus quotidiens résonne très fortement aujourd’hui, en ce 21 avril 2017, soixante dix ans après : étudier la langue de Marine Le Pen donne en effet une idée précise de son positionnement, bien loin du bleu marine dont elle prétend avoir lavé le brun de son père.
S’il est bien une chose que Jean-Marie et Marine Le Pen ont en partage, c’est cette capacité à manier les mots, cette habileté à lancer la petite phrase assassine qui marque les esprits comme à proférer la harangue populiste qui emporte les foules, faisant du père et de sa fille des orateurs confirmés, prompts à déclencher la polémique douteuse. Pourtant, c’est précisément d’un tel héritage que Marine Le Pen prétend s’affranchir depuis son accession à la tête du parti en 2011. La rupture consommée en mai 2015 entre la fille et le père, tel qu’en tout cas les communicants qui l’entourent s’emploient à le marteler, porte même plus particulièrement sur le mot en trop, celui que le fondateur du Front national s’est obstiné à réitérer dans différents médias. Mais s’il est vrai que Marine Le Pen a qualifié les sorties paternelles sur les chambres à gaz de « faute politique », tout comme elle s’évertue jour après jour à lisser le discours de son parti et à en gommer les aspérités les plus discutables, comment a-t-on pu croire pour autant que le Front national avait changé d’âme, comme si la blondeur filiale en avait expurgé le contenu sulfureux ? Comment a-t-on pu penser qu’il suffisait de ne changer que l’apparence du discours pour donner les gages de ne plus être foncièrement d’extrême droite ?
« Le style est l’homme même »[ii]
Fidèle en cela à la tradition populiste depuis son émergence dans nos démocraties modernes, Marine Le Pen n’a jamais rien eu à envier à la violence lexicale et rhétorique de son père : discours publics comme tribunes écrites sont marqués par les figures de style traditionnelles de l’éloquence, à laquelle elle s’est formée durant ses études d’avocate. Interpellation de l’auditeur, formulations visant à frapper l’imagination, exagération et emphase, énumérations à valeurs accumulatives, ponctuation soutenue, répétitions et anaphores remplissent ainsi les critères de ce que Gustave Le Bon notait dans sa Psychologie des foules : « Qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner. »[iii]
On pourrait paraphraser Le Bon pour préciser que Marine Le Pen connaît, tout comme son père, l’art de terroriser les foules, en simplifiant à l’extrême l’explication des difficultés économiques, sociales et politiques traversées par nos sociétés. Elle flatte ainsi les peurs les plus instinctives d’électeurs prompts à trouver dans son discours une explication clefs en main à des difficultés où s’entremêlent pourtant un grand nombre de facteurs différents et imbriqués de manière complexe : « Combien de Mohamed Merah dans les avions, les bateaux qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés ? Combien de Mohamed Merah dans les trois cents clandestins qui, chaque jour arrivent en Grèce via la Turquie […] ? Combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés, non assimilés, sensibles aux thèses les plus radicales et les plus destructrices, en rupture totale avec nos principes républicains ? »[iv]
Au tableau d’une France décrépite, abandonnée et trahie par un système politique élitiste et comploteur ‒ le fameux umps ‒, Marine Le Pen n’a de cesse d’opposer, dans la droite ligne de son père, le mythe d’une France éternelle, incarnée notamment par la figure héroïque de Jeanne d’Arc, emportant ses auditeurs dans le récit épique d’une lutte à mort, d’un duel entre les partisans d’un monde bipolarisé (le fn contre tous les autres), et dont le véritable peuple de France sortira à coup sûr vainqueur : « Des obstacles se dresseront devant nous encore, la bataille politique sera âpre évidemment, rien ne nous sera épargné, c’est une certitude, ça a déjà commencé. Et je les pense capables des pires extrémités. Mais nous triompherons de tout cela et, de ces batailles électorales, naîtra une Nation libre, fière, confiante, fraternelle où il fera, à nouveau, bon vivre ! »[v]. Cette France personnifiée et glorifiée, dont l’essence éternisée assure pour ainsi dire, tout comme dans le monde des Idées, une permanence mythique et anhistorique – prémisse à l’argumentation qui permettra d’exclure tous ceux qui n’y appartiennent pas –, un leader charismatique la guide et lui donne l’impulsion en s’incluant dans ce peuple grâce au pronom personnel « nous », qui contribue à donner vie à une « communauté imaginaire […] où le langage offre un capital identitaire compensatoire là où l’action politique n’offre que peu d’espoirs. »[vi]
Ainsi, c’est bien de la même rhétorique démagogique et xénophobe telle que développée depuis des années par Jean-Marie Le Pen dont la fille a fait usage sans le moindre fard pendant des années, mais pas seulement dans sa forme énonciative , car idéologiquement aussi, elle partage les mêmes obsessions. Quand il s’agit de représenter cette « France éternelle » et la manière dont on s’y inscrit, Marine Le Pen s’ancre tout à fait dans la permanence d’un certain discours, celui du naturalisme, véritable socle de l’extrême droite. Que faut-il comprendre en effet dans la description de cette « nature française, [cette] terre française, [ces] paysages, [cette] lumière, [cet] air français »[vii] sinon qu’on n’est Français que dans un acte lié à la nature, application au pied de la lettre et totalement insensée de la notion de naturalisation ? « On ne naturalisera d’ailleurs aucun jeune Français, même si ses parents sont français depuis des générations, sans qu’il ne se reconnaisse une terre, une souche, des racines »[viii], lance-t-elle ainsi régulièrement, en s’inscrivant dans la plus pure tradition barrésienne, remettant en cause du même coup le droit du sol, soit ce qui fait la spécificité du modèle français[ix]. Aussi, sous couvert de « dédiabolisation », non seulement Marine Le Pen s’appuie et sur les thématiques et sur les accents de tribun ressassés depuis des années par son père, mais elle va plus loin encore.
Liberté, égalité : sans fraternité et avec ambiguïté
Au moins le père avançait-il démasqué, comme si ses sorties de route avaient pour fonction de localiser clairement, dans le concert politique, l’obscure jouissance dévoilée dans le discours extrémiste. C’est au contraire à une vaste entreprise de toilettage de la langue du parti que s’attellent depuis des années Marine Le Pen et ses conseillers, véritable aggiornamento lexical et sémantique déjà initié par Bruno Mégret dans les années 1990 : Cécile Aldhuy et Stéphane Wahnich l’ont précisément montré, dans l’analyse qu’ils consacrent aux mots de la présidente du Front national[x], Marine Le Pen prise aux mots.
À l’époque de Mégret, il s’agissait de livrer une première bataille visant à faire tomber un certain nombre de tabous encore verrouillés dans notre société : au vocabulaire marxiste ou emprunté à la thématique des droits de l’homme, champs lexicaux alors prédominants dans la sphère politico-médiatique, il s’agissait d’en substituer un autre et de se réapproprier des symboles forts. Ainsi des notes émanant d’une cellule de réflexion sur l’image du parti frontiste recommandaient-elles aux militants de remplacer le mot « masses » par « peuples », « nationalisation » par « étatisation », ou encore « universalisme » par « mondialisme »[xi], cette globalisation soi-disant coupable de tous les maux. Mais cette libération de la parole s’est ouverte sur des terrains plus glissants encore : il suffit d’écouter l’ensemble des représentants de la classe politique dans les années 2000 pour constater à quel point elle a fait du chemin, du « ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire » inventé par Nicolas Sarkozy au « Français de souche » lancé par François Hollande à un dîner du crif en février 2015[xii].
La première bataille gagnée, celle des idées, Marine Le Pen en a entrepris une deuxième, celle de s’emparer des mots de la tradition française, les mots même de la République, de la laïcité, auxquels Jean-Marie Le Pen a pour sa part toujours répugné. L’opération de confiscation de tout un pan des thématiques de la gauche comme de son lexique fut si réussie, que François Hollande lui-même en vint un jour à comparer le Front national à l’ancien parti communiste[xiii], sans que personne ne s’en émeuve outre mesure, et avec les résultats que l’on sait. Après avoir convoqué à de multiples reprises la figure tutélaire de Jean Jaurès[xiv], la présidente du fn n’a de cesse de faire fond sur la question de la précarité sociale, de l’emploi et des retraites. Elle ne vise qu’un couple, « européanisme » et « mondialisme », liés implicitement, par allusion, à la question de l’immigration, et, partant, au communautarisme, aux signes ostentatoires de la religion et au multiculturalisme, au nom du lien social républicain : « Je veux réaffirmer notre modèle républicain et ses valeurs contre le multiculturalisme. »[xv] Aujourd’hui, c’est Florian Philippot qui ne cesse de martelé que le parti de Marine Le Pen, même plus nommé Front National, est un parti de « patriotes », bien loin de l’extrême droite.
En un coup politique magistral et sournois, Marine Le Pen a totalement dévoyé les valeurs traditionnelles d’une gauche éclatée, bâillonnée par sa bonne conscience, ne parvenant ni à redessiner ses idéaux, ni à reprendre la main sur ces questions hautement inflammables en ces temps de percée de l’extrémisme islamiste : en effet, comment ne pas percevoir que sous couvert d’égalité des citoyens et de liberté de culte c’est bien la religion musulmane et ses pratiquants qu’elle vise, envahissant l’espace public de polémiques sur la viande hallal dans les cantines ou sur les prières devant des mosquées surchargées ? « [Nos élites ont fait croire qu’] on avait pour résumer le droit et même peut-être le devoir de vivre autrement que comme des Français, avec d’autres codes, d’autres mœurs, d’autres traditions, d’autres lois. Nos élites ont organisé ou encouragé cela, cédant à toutes les revendications communautaristes, les justifiant, les anticipant même parfois avec zèle pour peu qu’elles leurs permettent quelques gains électoraux le moment venu : menus de substitution, horaires de substitution, programme scolaire de substitution, jours fériés de substitution et demain, loi de substitution, culture de substitution. »[xvi] Martelant des mots totalement vidés de leur sens – tel le signifiant « laïcité » –, mais faisant en apparence le jeu de la République, elle a réussi à cantonner les autres partis au mieux à éteindre le feu de sa haine xénophobe, au pire à jongler dangereusement avec les mots de l’exclusion.
La force de la langue de Marine Le Pen, en une période où peinent à se dessiner des solutions politiques alternatives, c’est qu’elle fait appel chez ses auditeurs à l’idée d’une communauté nationale rassurante, à une identité propre, par le biais d’un discours qui se boucle sur lui-même, et incarné quasiment physiquement par un orateur qui prétendrait le personnifier – soit un Autre qui existe, et qui sait où aller. Ou, comme l’écrivait Jacques Lacan : « L’idée imaginaire du tout telle qu’elle est donnée par le corps, comme s’appuyant sur la bonne forme de la satisfaction, sur ce qui, à la limite, fait sphère, a toujours été utilisée dans la politique, par le parti de la prêcherie politique. Quoi de plus beau, mais aussi quoi de moins ouvert ? »[xvii]
Il est urgent que cette clinique des discours ne reste pas lettre morte. Il est urgent, pour tous ceux qui considèrent que la République n’est pas qu’un mot, de s’engager véritablement dans cette bataille lexicale, simple vecteur mais unique vecteur de nos idées et de nos valeurs. Si nous perdons cette bataille, qui pourra dire qu’il ne savait pas que la toxicité d’une langue[xviii] déborde toujours sur celle des actes ?
[i]
Victor Klemperer, lti. La langue du iiie Reich, Paris, Albin Michel, 1996, p. 35.
[ii] Cf. Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, Discours sur le style, 1753.
[iii] Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, Alcan, 1895, p. 66.
[iv] Cf. Marine Le Pen, « Discours de Nantes », 25 mars 2012, consultable à cette adresse : http://tinyurl.com/pzqnha7.
[v] Cf. Marine Le Pen, discours du 1er mai 2015, http://tinyurl.com/nfdtbjg.
[vi] Cf. Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots, Paris, Seuil, 2015, p. 123.
[vii] Marine Le Pen, 2012, citée par Stéphane Wahnich, Causette, n°56, mai 2015, p. 22.
[viii] Ibid.
[ix] Cf. Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Marine Le Pen, Paris, Grasset, 2011, p. 184-185.
[x] Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots, op. cit.
[xi] Ibid., p. 19-20.
[xii] « Français de souche, polémique autour d’un mot utilisé par Hollande », Le Monde, 24 février 2015, http://tinyurl.com/lqc5jzh.
[xiii] « Madame Le Pen parle comme un tract du parti communiste des années 70 », a-t-il lancé sur la chaîne Canal plus, le 19 avril 2015.
[xiv] Par exemple sur le calendrier des vœux de Steeve Briois, à Hénin-Beaumont, en janvier 2014, par cette citation de Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l’avenir ».
[xv] Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots, op. cit., p. 95.
[xvi] Marine Le Pen, discours du 1er mai 2015, op. cit.
[xvii] Jacques Lacan, Le Séminaire, livre xvii, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 33.
[xviii] Cf. Victor Klemperer, op. cit., p. 40.
Dimanche soir, moment de sidération. Ce n’est pas Le Pen au deuxième tour qui choque, hélas, nous nous y attendions. C’est la banalité qui sidère. Raffarin mesure immédiatement l’enjeu, il est ému, digne. c’est un vieux briscard, il a été premier ministre, il sait le désastre que c’est. D’autres prennent leur temps, Wauquiez à droite, Duflot à gauche pour n’en citer que deux, deux pour qui il faut faire barrage à Le Pen, mais tapent sur Macron. Cette hésitation est coupable, elle nie ce qu’est le front national, je ne parle pas de ses électeurs, mais de ses dirigeants, ancien nazi, ancien de l’OAS, antisémites, xénophobes, homophobes… En hésitant à s’engager pleinement, il y a un calcul qui vise à ménager ses électeurs les plus à droite pour l’un, les plus à gauche pour l’autre, Macron étant jugé trop au centre.
Alors on attend le discours de Mélenchon, JLM, Jean Luc. J’y crois. Je pense qu’il va taper fort, très fort. Pour la première fois je crois en lui car il faut l’avouer, j’aurais aimé croire en JLM plus tôt dans la campagne, ce ne fut pas possible. Je n’y arrivais pas. Chaque fois que j’ai failli y croire, je ne pouvais pas ne pas voir que c’était par nostalgie de ma jeunesse passée.
La passe m’a fait traverser les limbes imaginaires, écouter son discours, l’entendre, le soupeser, produit chez moi une distance. Cet homme ne peut pas gouverner la France, je n’arrive pas à y croire.
Mélenchon prend la parole et c’est la douche froide. La gauche va exploser car en faisant cela il ouvre une brèche, il crée une jurisprudence Mélenchon, il achève de dé-diaboliser le Front National. Les deux jeunes interviewés sur France 2 ne disent pas autre chose, ils attendaient la parole du maitre, elle est tombée : JOUIS CAMARADE !
Nous devrons faire avec cela désormais. La guerre sur les réseaux sociaux en témoigne, Marine Le Pen a réussi son pari et c’est Mélenchon qui lui a offert la mise et du coup fait exploser ce qui restait de la gauche.
La France se recroqueville et MLP tend les mains. L’histoire se rejoue de ce que JAM rappelle très bien dans son texte paru ce jour dans LQ 673, la trahison lambertiste est là, après Jospin, Mélenchon.
Ps : Martine Aubry dit que c’est au-dessus de ses forces d’appeler à voter Macron.
Plus que jamais la mobilisation c’est nous.
TOUS À LA MAISON DE LA CHIMIE DEMAIN, POUR LE FORUM 28.
Pour ceux qui croient (encore) que le FN d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, lire de toute urgence ceci. Nous apprenons, entre autres, qu’un candidat FN aux régionales, ancien membre du GUD (groupuscule d’extrême-droite), « fêta son 40ème anniversaire en faisant le salut nazi ».
Pour ceux qui imaginent que le FN de demain ne sera plus le même qu’aujourd’hui, lire de toute urgence ceci. Nous apprenons que le président par intérim du FN durant les deux semaines de campagne, Jean-François Jalkh, vantait, lors d’une conférence en 2000, le « sérieux et la rigueur » de certains travaux négationnistes et révisionnistes s’intéressant à ce qu’il appelle « le problème des chambres à gaz ». À cette occasion il précisait, à partir de sa lecture de Faurisson : « je crois qu’on ne peut pas avoir de position sur le sujet sans avoir lu le pour, le contre ».
Décidément, du côté du parti de la haine, rien ne change, bien au contraire….
Les liens (au cas où le lien hyperactif ne fonctionne pas) :
1er lien : http://sos-racisme.org/fn-pas-change/
2ème lien : http://laregledujeu.org/2017/04/25/31289/jean-francois-jalkh-le-vrai-visage-du-fn/
Lundi dernier Nicolas Demorand consacrait son émission de France Inter, « le Téléphone sonne » aux résultats du premier tour qui avaient été donnés la veille. Il était entouré de trois spécialistes de politique, censés décrypter la situation et répondre aux questions adressées par les auditeurs. L’un d’eux, Pascal, appela pour dire qu’électeur du FN, il ne comprenait pas qu’un barrage se constitue contre ce parti qui selon lui, n’était ni raciste ni xénophobe. Il ajoutait notamment que si quelqu’un lui prouvait qu’il l’était, il cesserait de voter pour.
Nicolas Demorand s’attacha à ne pas répondre et questionna plutôt l’auditeur sur son vote FN, puis sur son intention de vote pour le deuxième tour, et enfin sur son malaise. Il passa ensuite la parole à ses collaborateurs qui répondirent, avec gêne et de manière démagogique, en endossant le point de vue de l’électeur de Marine Le Pen. Sur le racisme et la xénophobie du FN, une analyste dit ainsi, du bout des lèvres, qu’il était vrai qu’à la création du FN, il y avait des partisans de l’OAS, des collaborateurs de Vichy, mais que les temps avaient changés et qu’aujourd’hui plus que de racisme, il fallait parler « d’ethnocentrisme », comme en témoignerait la formule « les Français d’abord ». A en croire cette spécialiste, il n’y aurait pas d’équation entre « Français d’abord » et « étrangers dehors ». De même, faudrait-il disjoindre « préférence nationale » et la haine de l’étranger. Porter cette parole-là revient non seulement à légitimer la langue du FN mais à l’épouser. Or, la traduction de cette langue est en théorie la vocation des analystes politiques.
La même spécialiste poursuivit en ajoutant que les accusations plus virulentes portées sur le FN tenaient finalement du « jeu politique ». Et elle indiqua que le parti avait changé, comportait des mesures sociales, etc. Dans un contexte électoral d’une telle gravité, s’orienter ainsi revient quasiment à entonner un hymne au programme.
La lâcheté dont ces journalistes et spécialistes ont fait preuve dans cette émission, au lendemain de l’élection qui porte l’extrême droite aux portes du pouvoir, ne peut laisser indifférent. Que, sur une grande antenne de radio, à une heure de grande écoute, les « spécialistes » donnent dans le déni de réalité, au regard de l’histoire et du présent, qu’ils abandonnent toute grille d’analyse sérieuse et, sous prétexte de respect de l’auditeur frontiste, ne lui donnent pas la contradiction alors même que ce dernier invitait à le faire, constitue une faute grave. Du point de vue de la responsabilité, de l’éthique, et de la citoyenneté.
Alors que la veille, certains candidats perdants ont eu le mérite de prononcer une parole digne en appelant à voter pour Emmanuel Macron, et à constituer un Front républicain pour faire barrage à un parti dangereux, xénophobe, et raciste, nous assistions là, sur les grandes ondes, à la réduction de cette parole à un « jeu politique ». C’est là faire non seulement le jeu du FN mais participer, au-delà de la désinformation et de la lepénisation des esprits, à prêter main forte pour porter le parti de la haine au pouvoir.
Dans Rhinocéros de Ionesco, un rhinocéros est passé dans la ville. On ne sait s’il est d’Afrique ou d’Asie et on n’a pas eu le temps de voir s’il avait une ou deux cornes. Heureusement, le Logicien intervient et entend clarifier la question.
Il faut choisir, déclare-t-il, « En bonne logique, une même créature ne pouvant être née en deux lieux à la fois. »
« Ni même successivement », ajoute un vieux monsieur. « C’est ce qui est à démontrer », lui rétorque le Logicien.
« Cela me semble clair, mais cela ne résout pas la question », remarque Bérenger le héros de la pièce.
Et le Logicien de conclure :
« Évidemment, cher Monsieur, seulement, de cette façon, le problème est posé de façon correcte. »
Je me dis, je ne sais trop pourquoi, que le mot d’ordre de Jean-Luc Mélenchon, que nous connaissons mieux maintenant par son porte-parole, rappelle l’attitude du Logicien de Ionesco. On connaît la triple recommandation : « S’abstenir, voter blanc ou nul, ou voter Macron. Le vote Marine Le Pen étant exclu. » Et son porte-parole de conclure sur le ton péremptoire du Logicien : « C’est clair ! » Soit.
Après tout, j’aurais admis que Mélenchon recommandât clairement l’une de ces trois solutions. On le verra donc sans doute voter, mais on ne saura pas « pour qui » ; sauf que voter nul, ou blanc, ou s’abstenir, ce n’est pas « voter pour », et donc que la première information qui nous fut donnée, « Mélenchon ne dira pas pour qui il vote », était, comme on dirait en logique, « une expression mal formée ».
On s’étonnera tout de même que le dernier mot de campagne de cet authentique homme politique, que bien d’anciens gauchistes portent aux nues (quelles nues ?) – ainsi que leurs jeunes imitateurs – soit, en fin de course, un secret d’isoloir, digne du confessionnal.
Ne restait-il donc, à ce grand seigneur qui n’est pas un méchant homme, que de se soumettre, non sans quelque morgue, au vote plutôt comme à un rite qu’à une expression politique, et de se révéler ainsi comme ce que Nietzsche appelait « le comédien de son propre idéal » ?
Le 26.04.17
Article publié dans Lacan Quotidien 673
François Fillon avait durant toute la campagne mis en avant son âge et son expérience pour se comparer avantageusement à son rival plus jeune et moins capé. Il n’a pas insisté. Dimanche soir, comme Benoît Hamon, il appela sans faire d’histoire à voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron.
Une ribambelle de gens de droite le suivirent ou le précédèrent. Jean-Pierre Raffarin comme illuminé par le sentiment national dont il se faisait le porte-parole. Les gens de gauche ne firent aucune difficulté à se rallier.
Un seul fit exception. Un seul se nia à entrer dans le front républicain spontané qui se formait sous nos yeux pour faire barrage, selon le terme consacré, au FN et à sa cheffe. Son nom ? Jean-Luc Mélenchon.
COCOS COCUS
Certains de ses partisans, tout en reprenant les articulations de son raisonnement (à savoir : c’est la faute à la droite et au PS si MLP est au second tour ; nous n’avons rien à faire avec personne de cette droite ni avec personne de ce PS), certains mélenchoniens ont déclaré avoir décidé à titre personnel de voter Macron. C’est le cas en particulier de Gérard Miller, et je m’en réjouis, « à titre personnel » également. Mais tout laisse à penser que les Gérard Miller seront une minorité. La France insoumise dans sa masse votera blanc ou ne votera pas.
À l’exception notable, cependant, du Parti communiste. Celui-ci en effet, par une Déclaration datée du 23 avril, appelle à « barrer la route de la Présidence de la République à Marine Le Pen, à son clan et à la menace que constitue le Front national pour la démocratie, la République et la paix (…) » Ce sont ces mots que M. Mélenchon n’a pas réussi à s’arracher dimanche soir ni toute la journée du lendemain, ni le surlendemain.
Apostrophons le Parti. « Quousque tandem, vous, les communistes, héritiers d’une grande histoire, combien de temps, toi, Pierre Laurent, fils de ton père, combien de temps, vous, les cocos, les cocus, continuerez- vous de soutenir cet homme et ses amis qui vous bernent et vous roulent dans la farine et veulent vous entraîner avec eux dans leur impasse définitive ? »
J’ai été un temps l’élève d’Althusser. J’ai adhéré pour lui, à sa demande, avec des camarades, à l’Union des étudiants communistes. Je disais, comme tous ceux de ma génération : « le Parti », car il n’y en avait qu’un qui nous souciait. Je souffre, oui, je souffre de son échec, de l’état où il se trouve, et toute la France en souffre avec moi, car il n’y aurait pas aujourd’hui Le Pen au second tour de la présidentielle si le PCF avait tenu le choc de la « postmodernité », de la « société postindustrielle », ou comme il vous plaira de l’appeler.
J’en reviens à M. Mélenchon.
LE GRAND BABU
Mélenchon, je le tenais jusqu’à présent pour l’un des « mauvais berger » de la gauche qui la conduisaient dans le mur. À mes yeux, la soirée du premier tour l’a « complètement démasqué», pour reprendre l’expression favorite de Pékin Informations à l’époque de la Révolution culturelle. Cet homme a en effet subitement perdu son masque de « révolutionnaire citoyen » quand il a reconnu publiquement ne pas voir de différence politique essentielle entre Marine et Macron.
On dit : cet homme est un extrémiste. Oui, mais à condition de préciser que son extrémisme est théorique, rhétorique, fantasmatique. Dans la réalité effective de la France de 2017, la logique supposée révolutionnaire du « tout ou rien » a pour résultat de reconduire indéfiniment le statu quo économico-social. D’où, pour compenser, la nécessité du rêve éveillé, de l’hallucination dirigée. Alors M. Mélenchon, nouvelle Emma Bovary, rêve qu’il est Perón, qu’il est Chavez.
Entre parenthèses, tous les deux étaient antisémites. Perón fit de l’Argentine le havre de la SS en fuite. C’est à Buenos Aires que vivotait Eichmann lorsque le Mossad l’enleva pour le livrer à la justice de l’État juif. Quant à Chavez, j’ai vu et entendu, de mes yeux vu, de mes oreilles entendu, sur YouTube, un discours de lui mettant Israël et les Israéliens au ban de l’humanité avec des accents dignes, non de Hitler, trop avisé pour traiter en public le thème de l’extermination, mais de Charlie Chaplin imitant Hitler.
M. Mélenchon est-il antisémite ? La question a été posée. Une démonstration a été tentée. Sur la foi de mon frère, j’ai considéré la chose comme exclue.
Toujours est-il que M. Mélenchon et ses amis s’imaginent qu’ils sont désormais en position d’être le Surmoi de toute la gauche. Voyez comme ils paradent ces jours-ci en gonflant leurs biscoteaux. Je les imagine chanter pendant qu’ils descendent sur le pavé comme la Jeune Garde du temps jadis : « Nous les purs et durs. Nous les insoumis, nous les incorruptibles, nous les invincibles. Nous, capables d’envoyer les communistes au tapis et de les faire passer sous nos fourches caudines. Nous, les amis du peuple, nous le peuple lui-même. »
On est ici place de la Bastille où stationnent les 130 000 militants réunis par la Marche pour la VIe République, mais on pourrait être aussi bien dans le salon des femmes savantes de Molière : « Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis. »
Et les autres ? Et nous ? Nous qui nous disons modestement de gauche sans avoir le label « », l’appellation contrôlée de la France insoumise ? Eh bien, nous, nous sommes les soumis. Nous sommes les faibles, les dupes, les dévoyés, les indignes, les vendus, les embourgeoisés, les bourgeois. Haro sur nous !
Là, on se croirait dans l’immortel feuilleton radiophonique de Francis Blanche, Signé Furax, quand on chante : « Tout le monde y pue / Y sent la charogne / Yaqu’le Grand Babu / Qui sent l’eau de Cologne. »
Le Grand Babu, dans toute cette affaire, à votre avis c’est qui ?
L’ÉQUATION « EM=MLP »
Minute papillon ! il n’y a rien de fait. Le Surmoi de la gauche, sa « conscience morale » ou sa conscience politique, ce serait vous, les gars et les garces de la France insoumise ? Vous n’êtes rien de tel. Vous êtes même le contraire.
En refusant dimanche soir de répudier sans phrase Le Pen et ses faux-semblants comme on répudie à son baptême Satan et ses pompes, vous êtes tous, tous autant que vous êtes, devenus des damnés.
Non pas « les damnés de la terre » du regretté Frantz Fanon. Les damnés de la gauche. Et vous le resterez pour les siècles, et les siècles des siècles.
Euh… peut-être que j’exagère, là. Je me laisse gagner par le charme vénéneux des fatwas, des excommunications majeures, des proscriptions politiques. Fi ! si j’ose dire. Mais la malédiction, ça existe, ça existe, dans la vie des gens, c’est un psychanalyste qui vous le dit, et incroyant par dessus le marché.
Aux dernières nouvelles, la France insoumise est devenue assez sûre d’elle-même, assez impudente, pour répandre l’équation « EM=MLP » ( je m’appuie ici sur le témoignage spontané de Vanessa Sudreau, de Toulouse, voir le numéro 671 de Lacan Quotidien paru il y a deux jours).
C’est trop fort ! Cette France insoumise se croit tout permis. Elle ne tient plus en place. Elle se rend vraiment incommode. Elle a la rage. Elle va finir par booster la campagne de Marine et par mettre en danger la victoire de Macron.
Laisse-moi te rabattre un peu le caquet, France des insoumis, Rance des uns sous moi, Transe des autres sur moi. Je m’en vais te faire une petite injection antirabique de derrière les fagots, dont tu me diras des nouvelles.
Dommage tout de même que tu n’aies pas été vaccinée à la moelle de lapin durant tes études. On n’apprend plus l’Histoire de France aux petits Français, et on le paye du retour des morts-vivants de la Collaboration, à droite sans doute, cela est bien connu, mais à gauche pas moins.
LA TRAGÉDIE DE L’HITLÉRO-TROTSKISME
Au beau temps du camarade Staline, le Parti communiste avait forgé l’expression de hitléro- trotskistes pour désigner les militants de la mouvance trotskiste ayant nui à la Résistance et collaboré avec l’Occupant et les nazis français.
Pierre Lambert fut au nombre de ces hitléro-trotskistes stigmatisés par le Parti.
Militant d’élite, qui sera plus tard le mentor et de Lionel Jospin et de Jean-Luc Mélenchon, Pierre Lambert devint membre — à sa fondation en 1941 ou peu après — du Rassemblement national populaire qui regroupait les admirateurs républicains de Hitler (sic) sous la houlette du nommé Marcel Déat, un ancien député socialiste, et, soit dit entre parenthèses, un ancien élève de l’École normale, qu’on appelle dans l’argot du lieu un archicube, et aussi un agrégé de philosophie. Il sera ministre de Pétain, fera le voyage de Sigmaringen et décédera en exil à Turin en 1955 après avoir été condamné à mort par contumace à la Libération.
Quand commence l’année 1944, notre Pierre Lambert, toujours déatien, est aussi adhérent d’une importante formation trotskiste, le Parti communiste internationaliste (PCI). Ce parti prône le « défaitisme révolutionnaire ». Il se consacre à la propagande au sein de l’Armée d’occupation : il s’agit de pousser les soldats allemands à l’insoumission. Dans son organe central, La Vérité, n° 63, on pouvait lire en mai 1944 : « La IVe Internationale vous appelle à fraterniser avec vos frères allemands. Tous unis, vous renverserez les sanglants Hitler, Pétain, de Gaulle, vous ferez cesser la guerre, ses misères, ses déportations. »
Le numéro suivant condamne le mot d’ordre d’insurrection nationale lancé par de Gaulle. Ce n’est qu’une manœuvre, dit le PCI, visant à empêcher que les soldats allemands ne se rebellent contre leurs officiers.
Le n° 67 paraît au moment du Débarquement. Mot d’ordre : « Fraternisons, main tendue aux soldats allemands ! » À la première page, en gros caractères : « Ils se valent ! »
Ces malheureux trotskistes — je n’accorde pas de crédit, jusqu’à plus ample informé, aux allégations staliniennes selon lesquelles ils auraient été des agents stipendiés des nazis — militaient en toute bonne foi et à contre-courant de l’esprit du temps en faveur de la solidarité universelle des opprimés, sans s’arrêter aux frontières nationales. Ils croyaient possible de pousser les soldats allemands — des prolétaires dans leur très grande majorité — à l’insoumission envers leurs officiers. Incompris de leurs compatriotes français, ils payèrent cher à la Libération l’incongruité de leurs appels à la fraternisation alors que se déroulaient les combats des Résistants et des Alliés avec ces « féroces soldats » que mentionne l’hymne national.
Il est vrai que La Marseillaise n’était pas très populaire chez les hitléro-trotskistes, tout républicains qu’ils aient été : il y avait là trop de nationalisme à leur gré.
LE LEPÉNOTROTSKISME, UNE FARCE
Sans doute comprenez-vous mieux maintenant à quel spectacle la France, insoumis et soumis confondus, a assisté en direct dimanche à la télévision. Visiblement sans le savoir, les protagonistes du 20 heures rejouèrent le soir du 23 avril 2017 la séquence politique qui précéda et suivit le Débarquement du 6 juin 1944.
Les circonstances, les noms, les êtres ont changé, mais la structure, les places, sont les mêmes. Là où c’était Lambert, c’est aujourd’hui Mélenchon. Là où c’était le Parti communiste internationaliste, c’est la France insoumise. Là où c’était les nazis, c’est le FN.
Nous avons pu voir sur nos écrans le peuple français — par le biais de ses hommes et femmes politiques, qui sont ce qu’ils sont, bien sûr, c’est-à-dire pas forcément des aigles ni des
héros, mais pas non plus des indignes nationaux — s’autoconstituer en live dans le Non aux héritiers de la Collaboration comme il l’avait fait en 1944 contre les Collaborateurs alliés des nazis.
Et nous avons pu constater également qu’une fraction du peuple — le PCI jadis, la FI aujourd’hui — tenait absolument à se retirer du « groupe en fusion » (Sartre) national en disant quelque chose comme : « Très peu pour moi ! Je ne mange pas de ce pain-là. Ils se valent tous ! »
Louis Alliot, vice-président du FN, ne s’y trompa pas. Vif come l’éclair, l’habile politicien frontiste salua aussitôt le geste du leader de la France insoumise qui se refusait à rejoindre la coalition anti-Le Pen. C’est significatif, dit-il, cela donne de l’espoir, qu’un tribun de son talent, si écouté, prenne cette position.
En 1944, la trahison « objective », comme disent les hégéliano-marxistes, des hitléro- trotskistes fut une tragédie. À vrai dire, surtout pour eux, qui eurent à subir les rigueurs de l’épuration, suivies d’un long discrédit dans les partis de gauche, d’où leur tactique de l’entrisme, c’est-à-dire de l’infiltration clandestine. Ils se cachaient à juste titre car ils étaient honnis, car ils étaient les damnés de la gauche.
Dimanche soir 23 avril à la télévision, ce fut le même scénario, mais dans le registre comique.
On se souvient de la phrase de Marx au début de son merveilleux petit livre, Le Dix-huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »
Farce en effet que Mélenchon en tribun et mandataire du peuple, jouant simultanément les notaires scrupuleux ne pouvant déborder sous aucun prétexte du « mandat reçu ». Tour de force de l’art théâtral. Cela mériterait un César.
Farce aussi que cette fille hommasse, fameuse parricide politique, jouant les pasionarias, non pas dans le style magnifique de Dolores Ibarruri, mais en reprenant le rôle de Jefa Espiritual de la Nacion – Cheffe Spirituelle de la Nation – jadis illustré par Eva Perón, elle mince et séduisante danseuse des bordels les plus chauds du Rio de la Plata.
Farce encore que son greluchon rendant hommage d’un ton pénétré aux talents oratoires et aux vertus civiques du rival de sa concubine.
Et farce enfin, farce énorme, farce burlesque, que Mélenchon « vêtu de probité candide et de lin blanc » expliquant la bouche pleine de mots qu’il n’avait pas à se prononcer sur le choix à faire au second tour de l’élection présidentielle. Voter blanc ? S’abstenir ? Voter Macron ? Voter Le Pen ? Non, non, non, il ne pouvait rien dire, rien de rien, il n’avait pas mandat pour cela. Le mandat, la plate-forme ; la plate-forme, le mandat. Il n’y avait pas à sortir de là.
Voilà l’homme qui se moquait naguère des « pudeurs de gazelle » de ses rivaux. Qui est donc cette gazelle aux pudeurs, cette gazelle aux chaleurs ? Cette gazelle, c’est lui, bien entendu.
Est-ce bon à manger, de la gazelle ? Je me le demande.
Bref, on retiendra qu’une espèce nouvelle de myrmidons est née dimanche soir sous nos yeux : les lepénotrotskistes.
Nous allons les voir à l’œuvre durant cette campagne. Ce n’est pas une force négligeable. Il s’agit de militants hyperactifs comme les fourmis du mythe, adorant leur chef et d’une loyauté à toute épreuve, ce qui serait tout à leur honneur si seulement ce chef en avait, de l’honneur.
Un lepénotrotskiste se reconnaît à ce que, si fort qu’il s’y évertue, il ne parvient pas à voir de différence, sauf peut-être la différence sexuelle, entre Marine et Macron. Est-ce un malvoyant ? Est-ce au contraire un clairvoyant ? C’est selon.
LE BIENVEILLANT UNIVERSEL
Macron, parlons-en. Car il n’y avait pas que Mélenchon pour s’être présenté à la télévision « vêtu de probité candide et de lin blanc », il y avait Macron.
Macron est lui aussi un personnage farcesque. Il est l’homme qui étend sa « bienveillance » à tous. Ainsi remercie-t-il tous ses rivaux un par un, les appelant par leur nom, et on sent bien que s’il connaissait leur petit nom, c’est celui-là qu’il utiliserait.
Un nom pourtant manque à l’appel : celui de Marine Le Pen. Il n’a pas osé étendre sa bienveillance jusqu’à celle-ci. Cependant, il n’a pas eu un mot contre elle. Son discours dimanche soir était une coulée d’eau tiède ou plutôt d’eau bénite de cour, un laïus à la fois vide et à facettes, le parfait miroir aux alouettes. Mais c’est lui, Macron, l’alouette. Il annonce le printemps, le dégel : « Beau temps sur la France ! » Et il est lui-même pris dans le piège du miroir qu’il nous tend.
Mesurons bien ceci. Ce personnage inconnu qui est tout ce que nous avons comme « rempart » (PCF dixit) contre le Front national, cet homme encore jeune pour lequel nous allons voter et faire voter, ce masque qui nous fera nous dépenser sans compter pendant quinze jours, ce Macron de mes deux n’a pas eu un seul mot dimanche soir contre son adversaire de second tour, Marine Le Pen.
Si on lui fait crédit, on dira qu’il pense sans doute vaincre MLP par la bienveillance, l’amour, le désarmement unilatéral. Marine est son prochain, il l’aimera comme lui-même. Et il ne semble pas s’aimer peu.
CHER EMMANUEL MACRON
Par beaucoup de côtés, vous ne m’êtes pas antipathique. Bien qu’ayant beaucoup écrit durant cette campagne, bien que m’étant beaucoup moqué, j’ai constaté il y a quelques jours que vous aviez peu excité ma verve. J’en déduis que je dois vous apprécier plus loin que je ne sais. Est-ce votre beauté physique ? Est-ce le couple non conformiste que vous formez avec votre épouse Brigitte ? Est-ce la rumeur insistante qui fait de vous un bi ? Est-ce la bisexualité que vous touchez en moi comme chez beaucoup ? Peut-être. Je n’en suis pas sûr.
Ce dont en revanche je ne doute pas, c’est que vous soyez soutenu par ce « monde de la finance » que M. Hollande nous jurait de mettre au pas il y a cinq ans.
Rions ! Qui a cru ça ? Pas moi en tous les cas.
Le truc de Hollande puait le truc, le toc, le mensonge. Pas d’histoire : n’ont été trompés que ceux qui voulaient l’être. Pour être cocu, il faut le vouloir. Ce n’est pas seulement la leçon de Freud, c’est celle de Molière, qui fait dire à son héros : « Vous l’avez voulu ! Vous l’avez voulu, George Dandin ! Vous l’avez voulu ! Cela vous sied si bien et vous voilà ajusté comme il faut : vous avez justement ce que vous méritez… »
C’est avec ça que tourne le monde, avec des symboles, des paroles verbales, des signifiants ronflants. La « Légion d’honneur » fut créée par Bonaparte, et ça fonctionne toujours, puisque Grand-Croix est maintenant M. Ladreit de Lacharrière pour service rendu à… à qui exactement ? Au moins est-ce son vrai nom. Mais que dire de Giscard le père qui remua ciel et terre pour devenir Giscard d’Estaing ? Pour s’acheter ce petit bout de signifiant, ce semblant de noblesse, ce petit suffixe de rien du tout ? Comme Georges Dandin d’ailleurs, qui devint pour son malheur de cocu Georges de la Dandinière.
Non, je ne laisse pas entendre par la bande que la belle Anémone fit d’Estaing cocu comme la belle Angélique fit cocu Dandin. Mais il est vrai que le beau Valéry fut le Cocu Magnifique de la vie politique française : baisé par Chirac, baisé par Mitterrand, rebaisé par Barre, rerebaisé comme auteur de la Constitution européenne, baisé comme romancier, et j’en passe. La névrose de destinée, ça existe. Et avec ça, l’une des intelligences les plus déliées de la seconde partie du XXe siècle en France.
Je suis content pour lui qu’il ait réussi à être reçu sous la Coupole, mais notez bien qu’il lui fallut pour cela supporter que Jean-Marie Rouart qui accueillait le récipiendaire se fiche de lui pendant tout son discours de bienvenue. Rouart, le roué Rouart, auteur d’un excellent Cardinal de Bernis, roué et pas toujours gentleman si l’on songe qu’il trouva bon de raconter en détail comment il s’était tapé ma belle-sœur Sybille un soir où elle traînait au Rosebud, et lui aussi par le fait. Mais passons, il y a prescription.
« Taxe à 75 % », disait Hollande. « Révolution citoyenne », dit Mélenchon. Autant d’attrape-nigauds, autant de « hochets », avouait Bonaparte devenu Napoléon. Les Français veulent depuis toujours être cocufiés par leurs dirigeants. Ils les croient, déchantent, pleurnichent et râlent. De temps en temps, ils cassent tout.
Au moins, Emmanuel, on ne pourra vous reprocher de décevoir après votre élection car vous décevez déjà avant. Vous ne promettez rien, et surtout pas la lune, ni de la sueur et des larmes. Vous annoncez seulement que les moutons ont cinq pattes, que les poules ont des dents, que le soleil brille après la pluie, et que le jour où chacun sera bienveillant avec son prochain, on aura déjà fait un grand pas vers la paix perpétuelle.
La bienveillance ! Si vous aviez lu Jonathan Littell, vous sauriez, élève Macron, que, je cite Wikipédia, « le titre Les Bienveillantes renvoie à l’Orestie d’Eschyle dans laquelle les Érinyes, déesses vengeresses qui persécutaient les hommes coupables de parricide, se transforment finalement en Euménides apaisées. » Ça ne vous dit rien ? La France apaisée de Marine-la- parricide ? Vous ne voyez pas d’où ça sort ? Vous n’avez pas compris que si Marine joue les Euménides, c’est parce que toutes les nuits elle est tirée par les pieds et torturée par les Érinyes qui lui reprochent d’avoir sacrifié son père adoré à ses ambitions, à son goût immodéré du pouvoir ?
Se sachant traîtresse, elle est habitée par un profond sentiment de culpabilité qui la fragilise. Il faut la mettre sur le grill là-dessus, Macron, là-dessus. Et sur le fait qu’une fille ayant trahi son père ne saurait prétendre à gouverner un pays qui se distinguait entre tous sous la Monarchie d’exclure les femmes de la succession au trône (la loi salique). Alors, une femme président, oui, pourquoi pas, c’est l’époque qui veut ça. Mais surtout, surtout, pas une femme parricide. Ça ne pourrait que porter la poisse au beau Royaume de France — qu’on appelle République française pour faire croire qu’y règne l’égalité réelle des conditions (Tocqueville).
LE CANDIDAT DU FRIC
Revenons au sujet. Êtes-vous ou n’êtes-vous pas le candidat que les milieux financiers se sont choisi, comme le déclarait dimanche soir le Parti communiste ? Tout indique que vous l’êtes. François Bayrou première époque ne disait pas autre chose avant de vous rejoindre.
Je suis d’accord et avec lui et avec le Parti, à ceci près que je suis persuadé que l’initiative vient de vous et non de je ne sais quels Treize (référence balzacienne) supposés savoir manipuler le monde comme Pierre Lambert jadis manipulait sa marionnette Jospin et sa marionnette Mélenchon pour qu’elles avancent ses affaires dans le Parti socialiste.
Non, l’idée de faire président, j’en jurerais, vient du petit Emmanuel qui ne doute de rien parce que sa maman ou sa grand-maman l’a beaucoup aimé, et que, tel Lucien de Rubempré, il est habitué à tirer tous les cœurs après lui. Copé Jean-François, c’est la même chose, sauf qu’il a bien plus d’expérience. Il n’a pas eu de chance ces derniers temps, et puis il est loin d’être beau comme un ange. D’ailleurs, son héros, c’est Zorro, qui porte un masque, et ne serait-ce pas pour cacher qu’il n’a pas la beauté du diable ?
Cependant, quand je vois des gens de gauche tomber dans les pommes sous prétexte que la planète financière vote Macron, cela m’amuse. Qui en France a jamais été élu président de la Ve République contre le grand capital ? Qui ?
Je dirai plus : celui qui croit que cela est concevable est tout sauf un marxiste. Président par un coup de main, président par un coup d’Etat, je ne dis pas. Mais président par les urnes ? Ce serait du jamais-vu. C’est d’ailleurs pourquoi le projet de « Révolution citoyenne » du sieur Mélenchon ne tient pas la route une seconde.
Emmanuel Macron, vous êtes condamné à être le candidat du fric. Vous avez voulu être candidat, vous l’avez été, vous avez réussi votre pari, vous êtes maintenant au second tour, et le fric mise sur vous. C’est un fait, que cela vous plaise ou non.
A vrai dire, vous donnez plutôt l’impression que cela ne vous déplaît pas. Néanmoins, vous tenez toujours à souligner que vous avez frayé avec de hautes figures morales, des personnalités indiscutables et désintéressées, tel Paul Ricœur — que Jacques Lacan, mon beau- père, je vous le dis entre parenthèse, tenait pour une franche canaille — ou encore Étienne Balibar, mon camarade à l’École normale, lui impeccable universitaire, infatigable pluralisateur d’universels, fidèle pour la vie à sa rencontre adolescente avec le savoir d’Althusser. Seulement lui, c’est malheureux, il n’a pas gardé le moindre souvenir de vous. Que voulez-vous ? Tout le monde n’est pas égal devant la bisexualité.
Cela dit, Macron, êtes-vous l’esclave du fric ?
Le fric choisit qui il veut, comme l’esprit souffle où il veut. Le fric choisit en fonction de ses intérêts de fric. En 1940, le fric était contre de Gaulle. En 1958, le fric était pour de Gaulle. De Gaulle, quant à lui, ne s’est jamais réduit à n’être que l’instrument du fric.
Et puis, le fric s’est détourné de de Gaulle quand celui-ci s’est dit que, vu Mai 68, il serait bon pour le pays de réformer un petit peu l’entreprise au profit des « classes laborieuses » en introduisant sa rêveuse « participation ». Alors le fondé de pouvoir de la finance tourna lentement son pouce vers le sol, et cria : « Tchao, de Gaulle ! »
Je dis « lentement », mais en fait le « dégagisme » fut rapidissimo.
Donc, la sympathie que le fric nourrit à votre égard ne déterminera pas complétement ce que vous ferez une fois que nous vous aurons élu. Il y aura une contrainte, certes, mais il y aura aussi du jeu, une marge. On verra très vite de quel côté vous penchez. Et vous éprouverez qu’un sourire vainqueur ne peut pas tout.
Certes, si vous croyez vraiment à vos sornettes sur la bienveillance – est-ce à l’école de Paul Ricœur que vous avez appris cette bullshit comme on dit au Québec ? – vous ne ferez pas long feu à l’Élysée. Il n’est même pas impossible que vous ne soyez pas élu. La Marine vous canonnera sans répit durant quinze jours ; si vous ne répondez que par des bisous, comme vous semblez en avoir la ferme intention, vous mériterez d’être battu. Et vous le serez.
Je suppose que vous ne voulez pas désespérer l’électeur frontiste et que vous cherchez à lui montrer le chemin de la rédemption. Je vous dis que vous n’arriverez à rien par cette voie. Le Christ a dû chasser les marchands du temple. Il ne leur a pas servi du thé à la menthe avec un petit macron, je veux dire macaron.
La force va à la force. Soyez fort face au FN. Ne cédez rien. Surtout pas de bienveillance. Pas de nuances. Pas de compréhension. Je ne parle pas des électeurs du FN, qui sont nos frères humains, mais de sa clique dirigeante, qui est la lie de la terre ou plutôt l’ennemie du genre humain. C’est elle qu’il convient de casser, de pulvériser « façon puzzle », comme on dit dans « Les Tontons flingueurs ». Sa cheffe, il faut l’affronter et la vaincre, non pas la dorloter pour la consoler d’être moche quand vous êtes beau.
Ce n’est pas joué d’avance. Elle est Goliath, vous êtes David. Ajustez votre fronde et comptez sur le Dieu d’Israël, si je puis dire. Tout en sachant que bon nombre de juifs votent Le Pen.
LA PEAU DE L’OURSE
Vous étiez sans doute content de vous dimanche soir. Comment vous en faire grief ? Vous avez su déceler dans la montagne de chiures écrasant les Français, les enfonçant dans une dépression nationale d’une rare intensité et d’une rare durée, une faille que nul n’avait repérée, que vous avez exploitée et où vous avez inséré votre discours.
Puis de ce discours, si plat par ailleurs, si inconsistant – veuillez m’excuser, c’est aussi un prof qui vous parle, un pion au fond, formé à noter des copies d’élèves – vous avez su faire le point d’Archimède par où tirer la politique française de sa place et la porter en un autre lieu, comme dit à peu près Descartes. Je m’incline. Je ne croyais pas que cela fût possible. Votre exploit restera dans les annales.
Je songe au livre demeuré célèbre de Curzio Malaparte, que j’ai beaucoup pratiqué, « Technique du coup d’état ». Vous, Emmanuel Macron, quand vous aurez gagné la finale, vous serez reconnu comme un grand maître de la prise du pouvoir en régime démocratique. Mais vous n’y êtes pas encore. C’était un peu tôt pour festoyer dimanche soir à la Rotonde. Au moins Nicolas Sarkozy avait-il attendu d’être élu avant de gobichonner au Fouquet’s.
Je crains surtout que cela ne soit le signe que vous inclinez à vendre prématurément la fameuse peau de l’ourse (je dis : ourse). Et les femelles de l’espèce ont la réputation d’être plus redoutables que les mâles.
Cognez Marine Le Pen. Cognez aussi son clan. Dites bien qu’il est composé d’admirateurs de Hitler. Ne négligez pas de cogner le lepénotrotskisme qui s’étend tous les jours davantage dans la jeunesse comme une maladie infectieuse.
Conformément à la malédiction destinale qui le voue à répéter indéfiniment la faute de son maître, l’hitlérien Lambert, Mélenchon est obligé de rechercher tous les moyens propres à désarmer la jeunesse. Lui et ceux qui le suivent ne savent plus quoi inventer pour ligoter les jeunes et les détourner de résister et de combattre. « Ils se valent ! » disait Lambert, quand Résistants et Alliés étaient aux prises avec les troupes d’occupation. « Ils se valent ! » répète Mélenchon en vous pointant du doigt, vous et Marine Le Pen, alors que vous allez vous affronter tous les deux dans un combat à mort (électoral s’entend).
L’amicale des vieux entristes et échappés de la Collaboration qui à gauche sont partout fait caisse de résonnance aux pires propos de ce pauvre Méluche qui restera à jamais, et par- delà la mort de son mentor, « tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change », à savoir : une marionnette.
Quoiqu’il en soit, cher Emmanuel Macron, quel que soit le cas que vous ferez de mes conseils, je voterai MACRON, parce que c’est tout ce que nous avons entre les mains, un bulletin de vote à votre nom. Le pouvoir est au bout du fusil, certes, mais prendre en main un fusil aujourd’hui, ce serait incongru, fou, hautement condamnable.
Je ferai campagne pour que la jeunesse vote MACRON.
Je cognerai MLP même si vous vous refusez à le faire.
Je cognerai aussi JLM. En effet, à mon avis, éradiquer le mélenchonisme sous toutes ses
formes est la condition sine qua non de la renaissance d’une gauche qui en soit une.
Paris, le 27 avril 2017
PS : à la fin de ce texte, je fais un usage métaphorique du verbe « cogner ». Il ne s’agit nullement de « casser la gueule » à l’adversaire, comme on dit familièrement, mais d’opposer une argumentation solide et sans concession à l’argumentation de cet adversaire.
PS 2 : les citations de « La Vérité », organe du PCI sont disponibles avec d’autres choses intéressantes à cette adresse : http://trotskologie.wikia.com/wiki/Hitléro-trotskisme
PS 3 : Extrait de la notice Wikipédia sur Marcel Déat : « La tonalité spécifique du déatisme, faite de surenchère collaborationniste et de défense d’une ligne de gauche républicaine, se traduit par des protestations contre la révocation des maires de gauche, contre les campagnes visant les francs-maçons et les instituteurs et dans le même temps la célébration d’un Hitler imaginaire, qu’il décrit comme désireux d’effacer les frontières au profit d’échanges économiques, édifiant une Europe pacifiée, unie et socialiste. Le RNP est favorable à un régime fasciste et totalitaire dans une Europe unifiée et socialiste. Il ne renie cependant pas tout son héritage républicain, laïc et pacifiste, ce qui le différencie radicalement de son grand rival, le PPF de Doriot. »
PS 4 : G. Miller m’a fait parvenir cette nuit à 01:23 le texte d’une tribune destinée à la presse. Il est d’ores et déjà entendu avec la rédaction de Lacan Quotidien que nous la republierons. La tribune s’intitule : « Pas de leçons d’antifascisme, merci ! » Ce texte mettant en cause le passé à ses yeux peu reluisant de Macron, énarque, banquier, ministre de François Hollande, je me suis permis de demander à G. M. s’il s’était jamais intéressé au passé de Mélenchon, et s’il l’avait par exemple questionné sur sa biographie à l’occasion du documentaire qu’il lui a récemment consacré. Je n’ai pas eu de réponse jusqu’à cette heure. Je suppose que je ne serai pas le seul à me dire que l’auteur des mémorables Pousse- au-jouir du maréchal Pétain (Seuil, 1982) a dû à un moment donné être victime d’une erreur d’aiguillage. « Gérard, il est temps que tu le reconnaisses. Bien que tu me moques volontiers pour mon goût des citations latines, errare humanum est… A toi. Ton frère, JA. »
« Les ennemis du genre humain », c’est en ces termes que Lacan qualifiait en 1946, dans ses « Propos sur la causalité psychique »[1], les fascistes, les nazis, et les collaborateurs qui les ont aidés, pour donner le la dans l’Europe des années 40 du siècle dernier. Ces mots sont forts et sans ambiguïté : il ne s’agit pas d’adversaires politiques ou d’opposants, mais bien au-delà de personnages qui visent rien de moins qu’à l’anéantissement de ce qui nous rend proprement humains. Hier il y eut la guerre, les camps, la Shoah, et aujourd’hui ? … les frontistes ! Ce qui en fait les continuateurs de ces ennemis du genre humain a été récemment pointé de façon percutante par J.-A. Miller au Scalp de Strasbourg : le discours du FN, dit-il, tient en un commandement, un impératif catégorique d’un nouveau genre, Tu haïras ton prochain quand il n’est pas ton semblable (l’inverse du christique Tu aimeras ton prochain comme toi-même.) Cela vise la fin du genre humain puisque ce qui spécifie ce genre comme humain, c’est de contenir en lui quelque chose qui n’est pas vraiment son semblable, qu’il ne reconnaît pas comme sien, une jouissance qu’il ne peut nommer, et encore moins admettre – ce qui lui est le plus intime lui est pourtant le plus étranger, c’est le principe même de l’inconscient. Si Aimer son prochain comme soi-même peut ainsi sembler un commandement particulièrement excessif, Freud et Lacan dixit, haïr ce même prochain ne peut par contre mener qu’au pire.
Nos frontistes sont donc, fut-ce sans le savoir, au service de la pulsion de mort dont les effets peuvent s’étager en une échelle graduée dont l’anéantissement du genre humain constitue bien sûr le terme ultime, et toujours heureusement à venir. En attendant, ils procèdent à ce que le même Lacan dit être tout simplement « l’humiliation de notre temps ». Autrement dit, ils tendent à imposer à tout ce qui ne leur ressemble pas une pratique qui vise à l’humilier, c’est-à-dire le dégrader, l’avilir, l’abaisser.[2] Le ministre belge de l’Intérieur, Jan Jambon, membre de la Nieuwe Vlaamse Alliantie, a ainsi proposé en 2015 pendant la crise migratoire, que les demandeurs d’asile portent un badge identifiable et visible ! La Belgique est en effet un charmant pays où le FN local, qui s’appelle la NVA, est déjà au pouvoir. Comme nous sommes en Belgique, le pouvoir se dilue entre ceux qui l’exercent, soit une coalition de partis différents et opposés, et ceux-ci ont très vite enterré cette scandaleuse proposition. Dire comment le FN belge est arrivé au pouvoir nous emmènerait trop loin, mais disons pour faire court, que cela n’a été possible que parce que la Belgique n’est pas la France. C’est en effet un pays d’arrangement pragmatiques, sans langue commune, et non de discours visant peu ou prou à un certain universalisme comme par exemple celui des droits de l’homme. Bref, la NVA est arrivée au pouvoir sans que personne ne bronche, et ceux qui s’en sont scandalisés en y voyant le retour des années brunes, n’ont pas été entendus. Puisse Baudelaire s’être trompé quand il prophétisait en le déplorant dans son célèbre pamphlet Pauvre Belgique que la Belgique était l’avenir de la France.
En revanche, le génie français fait que l’on discute, que l’on dispute, que l’on pérore disent certains, mais par là-même occasion on raisonne comme ce soir. Qui plus est, le savoir, le bon bout de la raison a constitué depuis longtemps une limite au pouvoir du maître, peut-être même la seule.[3] Nous avons pu le vérifier plusieurs fois ces dernières années, lors du fameux amendement Accoyer réorganisant la santé mentale contre la psychanalyse, et dernièrement avec la proposition Fasquelle visant à interdire la psychanalyse dans le traitement de l’autisme … autant de projets qui ont été arrêtés par une campagne dont le ressort n’était pas la force d’une foule quelconque, les masses, mais celle d’un discours rationnel. La politique a toujours eu en France une dimension proprement littéraire – tout candidat d’importance ne lance-t-il pas sa campagne par un livre ? (qu’il en soit ou non l’auteur est secondaire) – qui prend toute sa force pendant la campagne électorale. Et c’est heureux parce que cela évite de voter seulement avec ses pieds. Le vote a effectivement une dimension proprement inconsciente à laquelle il ne s’agit pas de céder les yeux fermés.[4] C’est qu’accorder en tout priorité à l’inconscient mène au pire puisqu’il pousse le sujet à faire ce qu’il ne peut supporter. L’inconscient s’explore, s’élucide, s’éclaire, se discute grâce à la psychanalyse qui en fait autre chose que le maitre implacable qu’il était d’abord. Autrement dit, les vertus d’une campagne électorale à la française font du vote autre chose qu’un acte passionnel, mais comme l’a encore dit J.-A. Miller à Strasbourg, un calcul au-delà des convictions, voire des sentiments évitant ainsi la confusion qu’ils entraînent. N’est-ce pas la campagne électorale, plus raisonnable qu’il n’y paraît puisqu’elle est en son fond aussi une pratique de la raison, qui a provoqué ce resserrement des sondages que l’on observe depuis deux semaines ? Et surtout cet heureux effritement, et plus peut-être, des intentions de vote envers MLP.
[1] Lacan, J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 150.
[2] Et c’est à leur image, du moins celle de leur chef. Un livre récent Dans l’enfer de Montretout d’O. Beaumont (Paris, Flammarion, 2017) récit journalistique paru à l’occasion de la campagne, décrit ainsi la bâtisse des Le Pen à Saint-Cloud, acquise dans les conditions controversées que l’on sait : « En quarante ans de présence, Jean-Marie Le Pen n’a jamais entrepris le moindre travail de réfection. Résultat : ‘La maison part en lambeaux’, confesse Jany Le Pen. Moquettes tachées, lambris décrépis, peintures qui s’effritent sur les murs comme au plafond, tentures de velours aux couleurs passées, tableaux noircis par les années. … Certaines toilettes n’ont même jamais été remplacées depuis leur installation en 1976, tout comme les offices de cuisine. ‘C’est complètement suranné. ‘Tout est en train de pourrir’ lâche un conseiller de Marine Le Pen. » (p. 137) Cela ne fait pas tant penser à la maison du Psychose d’Hitchcock comme le pense l’auteur, mais plutôt à l’antre d’un vieux routier du masochisme. Il aime attirer l’hostilité générale, soit celle de l’Autre majuscule, depuis ses semblables jusqu’à celle des éléments … !
[3] Milner, J.-C., De l’école, Paris, Seuil, 1984, p. 148-150.
[4] Miller, J.-A., Lettres à l’opinion éclairée, Paris, Seuil, 2002, p. 150.
20h dimanche. L’annonce tombe : le deuxième tour sera celui de Macron vs MLP. Mon sang ne fait qu’un tour. Elle est au deuxième tour. Nous n’en avons pas fini. Nous n’avons pas réussi à la barrer dès le premier tour.
Je surveille sur twitter tous les appels au vote Macron. Je les RT. J’avais tellement espéré qu’elle ne soit pas au deuxième tour. J’avais osé espérer qu’elle serait « coiffée au poteau ». Mais non, elle est encore en course…
Le combat n’est pas fini et tant que nous sommes debout, il ne le sera pas.
J’étais de ceux en 2002 qui ont voté Chirac face au père Le Pen, je serai de ceux qui voteront Macron le 7. Pas d’état d’âme, pas de quartier pour MLP !
Dès lundi, beaucoup d’abstentions prévues. Et Mélenchon qui n’exhorte pas ces troupes au report de voix.
Beaucoup, trop, croient que « c’est plié, Macron l’emportera ». Et bien moi, je ne le croirai que le 7 mai, lors de l’annonce. Pas avant. Rien n’est joué. On ne peut pas se rendormir. Nous devons voter Macron au deuxième tour, assurés de notre geste pour la démocratie, contre la haine.
Et d’ailleurs, même si Macron l’emporte ce second tour, ne pas se rendormir ! Rester en éveil, rester dans l’action pour que le FN ne détruise pas la démocratie. Pour que nous puissions rester libre de nos choix. Dans cinq ans, la partie se rejouera. Elle, armée de sa haine ne cédera pas, comme je l’entends encore résonner de la voix de BHL au forum du 18. Avant que la partie ne s’achève, se poser la question : comment un telle haine a pu se banaliser ? Qu’indique cette banalisation ? Qu’avons nous à en lire ?
Article paru dans Lacan Quotidien 671
Parmi les candidats qui auraient pu franchir ce premier tour de l’élection présidentielle et se retrouver en position de diriger la France, M. Mélenchon est le seul à ne pas avoir clairement exprimé l’impérieuse nécessité de faire barrage au FN, le seul à ne pas avoir dit qu’il fallait empêcher l’extrême droite d’entrer à l’Élysée et de gouverner la France, à tout prix. La honte.
Quand il a discrédité le FN, il a discrédité M. Macron dans un même élan, les renvoyant dos à dos, comme Marine Le Pen renvoie d’ailleurs ses rivaux dos à dos dans cette rhétorique usée du blanc bonnet et bonnet blanc. Quand il a discrédité le FN pour en faire « l’idiot utile du Système », il a fait exister le Système, mot vide et creux, qui tâche de nommer le mal pour mieux le rejeter au champ de l’autre et s’en excepter – ce que MLP fait elle aussi. En promettant de se soumettre aux siens, l’insoumis s’est défaussé. En attendant qu’ils ne se prononcent, il suspendra son jugement sur ce qu’il convient de faire devant ce choix : MLP ou Macron ? La honte.
Cette logique, M. Mélenchon y est entré pour se défausser de ses responsabilités. En demandant aux insoumis leur avis sur ce qu’il convient de faire lors de ce second tour des élections présidentielles, M. Mélenchon obtiendra de ses sympathisants son propre message, soyons-en sûrs. Mais il le proclamera sans avoir à en assumer les conséquences. Du coup, ce dont il devra dorénavant assumer les conséquences à la face du monde, c’est de ce refus de faire spontanément la différence entre un parti républicain, qu’on pourra, s’il est élu, critiquer, et un parti qui promet l’asphyxie de toute critique – et pire, on le sait. La honte.
En n’appelant pas à ce nécessaire barrage, il a malgré lui accrédité non pas que tous les partis se valent à l’exception du sien (ce que prétend MLP), mais qu’entre son parti, la FI, et le FN, il n’y a plus assez de différences pour lui permettre, à lui, d’en faire encore une entre le Front National et En marche ! La honte.
Est-ce ainsi que M. Mélenchon (dont les soutiens scandaient hier soir encore « Résistance ! Résistance ! ») résiste à l’ennemi de la république, de la démocratie et du genre humain ? Est-ce ainsi que M. Mélenchon entend être crédible ? La honte.
Espérons que ceux que M. Mélenchon a abusés, en leur faisant croire qu’il porterait haut et fort les valeurs de la République française auxquelles il se réfère plus souvent qu’à son tour, lui montreront la voie. Espérons qu’ils feront le barrage qui est indispensable pour que MLP ne passe pas, jamais, ni aujourd’hui, ni demain.
S’il leur faudra encore un effort pour faire vivre la démocratie, les Français ont toujours, à l’heure qu’il est, le choix de lui accorder un délai pour qu’elle ne s’éteigne pas avec l’avènement de MLP au pouvoir. Ils éviteraient ainsi à la France la honte qui la guette.
Article paru dans Lacan Quotidien 671
Hier soir je m’attendais, bien sûr, à la présence de Marine Le Pen au second tour, ça n’a pas été une surprise aussi grande qu’en 2002, il faut bien le dire. Apparemment, l’effet de saisissement mobilisateur n’est plus au rendez-vous : la place du capitole à Toulouse, noire de monde en 2002, n’était pas vide, mais bien clairsemée hier. Que ce ne soit pas une surprise n’empêche pas l’effroi d’une telle proportion d’électeurs FN faisant apparaître MLP au 2nd tour.
Il se trouve que j’avais été invitée (du fait du Forum SCALP (1) à Toulouse) à parler en direct sur une chaine YouTube, La Brèche TV, une chaîne « militante », citoyenne, très à gauche. L’accueil fut bon et je retrouvais, sans le savoir à l’avance, quelques personnes sur le plateau qui avaient été nos invités au Forum SCALP quelques jours avant : F. Piquemal, jeune représentant du DAL 31 (Droit au logement), et J.-F. Mignard, responsable de la ligue des Droits de l’homme, mais aussi formateur de centaines d’éducateurs sur Toulouse et ailleurs (CEMEA). Il y avait d’autres voix aussi.
Le débat eut lieu – non sans surprise pour moi. Plus grande que celle des résultats, la surprise est venue de ma gauche. Moi qui, à l’âge de six ans, avais vu à la table familiale un oncle à la corpulence impressionnante se lever et chanter l’Internationale, j’avais compris qu’on ne rigolait pas avec ces choses-là, moi qui dans ma jeunesse, en fac d’histoire, étais de tous les combats aux côtés de l’UNEFID, qui un peu plus tard avais été aux meetings de Jospin et des Verts… je me croyais de gauche. Depuis hier, j’en doute. Ou alors le signifié aurait-il soudainement changé ?
À peine le visage de MLP apparu, sur le plateau de la télé, des gens, qui par ailleurs sont des acteurs importants de la société civile, des gens courageux, se mirent à mettre sur un même plan, tout de go, MLP et Macron : Pas la xénophobie mais pas l’ultralibéralisme non plus. Je m’étais un peu préparée à ça, mais pas à ce point. J’avais imaginé la chose un brin plus dialectique, du style « c’est à cause de La Finance que le FN a pris de l’essor ». Non, on en est à « EM = MLP ». Sans autre forme de procès dialectique. La banalisation du FN, présenté et reconnu tel un parti comme les autres, battait là son plein, sur cette chaîne militante de gauche. Le « libéralisme », la « Finance », le « Système » semblent représenter des ennemis du même ordre que le FN. Aucune ligne de partage. Le programme de l’une et celui de l’autre mis sur un même plan – sans marquer la moindre surprise à l’annonce des résultats en faveur du FN. Et de multiples allusions au vote blanc, à l’abstention.
Durant l’émission, fut diffusé un happening en costumes de jeunes gens appelant à l’abstention ou à la reconnaissance du vote blanc (je ne sais plus, je commençais à prendre l’eau). Je réalisais l’étendue des dégâts, d’un coup. Un jeune chanta « vote pour il, vote pourri… » (un truc comme ça), un autre conclut en disant qu’il ne voterait pas, qu’il valait mieux rester couché…
Heureusement Jean-François Mignard, un lourd passé de travailleur social dans les pattes et ce, pas sans le politique, restait droit : bien qu’il n’aime pas Macron, il ne permit à aucun moment qu’une équivalence ne se forme ; pour lui : « MLP ≠ EM ». Ouf. Beaucoup plus âgé que moi il me semblait tenir bon, ne semblait pas très surpris alors que tout me semblait avoir glissé… J’eus soudainement envie de lui demander : « c’est comme ça depuis quand ? » (je n’en fis rien cette fois).
Sur le plateau, je notais que ce point de défiance me troublait, que le transfert, soit la confiance, est la condition nécessaire à la constitution d’un sujet, que la culture passe par là : le sujet, la confiance, le transfert. J’ai pu interroger aussi : je ne sais pas ce qu’est ce « Système » qui parait, tel un Autre jouisseur, s’empiffrer sur le dos des pauvres gens (je ne l’ai pas dit comme ça). Ces idées de complots ont pris à gauche comme à droite selon une structure assez proche ; seul varie l’Autre jouisseur, sa thématique.
Ce matin, petit message de ma meilleure amie J., fille de socialistes encartés dans leur jeunesse, ayant des idéaux de gauche forts, pas révolutionnaire, concernée, éducatrice, soucieuse de justice sociale, cultivée. Elle était à mes côtés lors des meetings de Jospin j’avais 20 ans, elle, 22.
Sûre de son appui, de notre connivence au fond, je lui fais part de ce point de surprise rencontré hier – EM = MLP –, de l’égarement des jeunes et moins jeunes prêts à ne pas voter contre le FN, préférant dormir que se lever contre MLP.
Et elle m’écrit : « je penche à voter blanc pour ma part ». Là, j’ai peur.
1 : Série de Conversations Anti-Le Pen
Article paru dans Lacan Quotidien 671
Françoise Sagan est née à la littérature à 18 ans quand elle publie, en 1954, Bonjour tristesse qui sera suivi, deux ans plus tard, d’Un certain sourire. Le succès fut immédiat puisqu’elle convainquit les lecteurs les plus difficiles, comme Mauriac, Bataille, Paulhan, ou encore Kojève et Lacan. Et durable aussi – elle ne semble pas connaître le purgatoire des auteurs morts. Autrement dit, elle reste jeune, le restera longtemps encore, et ceci pour une simple et bonne raison : elle a fait entrer la jeunesse sur la scène du monde.
Françoise Sagan, c’est un style, de l’écriture au vêtement en passant par le mode de vie, qui enseigne qu’il ne faut pas marcher droit pour aller loin. Elle ne fit guère d’études, mais sut arriver à l’excellence par d’autres moyens, les siens. Françoise Sagan, c’est la singularité conquérante, que Mauriac, écrivain alors chenu, mais séduit, dit être celle d’un adorable petit monstre ou encore du diable en voiture de sport. Entre autres mérites, elle eut celui non négligeable de dépeindre l’atmosphère des rapports entre les sexes dans notre modernité commençante de l’après-guerre, celle de la Nouvelle Vague et des golden sixties : les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient, ils ne le redeviendront pas, les femmes peuvent en être tristes, mais aussi en sourire puisque le monde leur en appartiendra d’autant plus.
Article publié dans Lacan Quotidien 671
C’est un fait empiriquement démontré qu’il n’est point besoin d’être âgé pour se révéler grand mathématicien. C’est d’ailleurs la raison officieuse pour laquelle l’âge d’un récipiendaire de la médaille Fields, récompense internationale suprême des mathématiciens, ne peut excéder quarante ans.
Le génie précoce d’Évariste Galois est de ceux qui ont éclos tôt – dès avant 16 ans ! Né en 1811, il meurt à l’âge de vingt ans des suites d’un duel, victime selon ses écrits « d’une infâme coquette » ou de son patriotisme républicain selon ses amis de la Société des Amis du Peuple.
Durant sa brève existence, ce rétif à l’autorité (d’où qu’elle vienne) aura eu le temps de passer plus de six mois en prison pour port illégal de costume militaire après avoir été acquitté de la charge d’incitation au régicide, mais aussi, et surtout, de révolutionner les mathématiques à défaut de révolutionner la Monarchie de Juillet.
La théorie qui porte désormais son nom demeure si féconde qu’on la retrouve présente ou à l’origine de nombreuses branches des mathématiques, qu’il s’agisse d’algèbre de géométrie ou même d’analyse.
Il aura, entre autres, permis de répondre à une question vieille de trois siècles : « Quelles sont les équations dont les solutions s’expriment par radicaux ? »
Évariste Galois : un radical passé maître en l’art de décrypter les radicaux.
Article paru dans Lacan Quotidien 671
Bien que Saint-Just et Sylvia Rose aient tous deux fait leurs études au lycée Louis-le- Grand rue Saint-Jacques à Paris, point de rencontre entre eux. Donc, point de lendemain puisque point d’aujourd’hui. Dommage. Louis Antoine aurait certainement apprécié le discours de Sylvia au Forum 18. Il aurait reconnu dans cette étudiante en médecine une âme-sœur.
Sylvia a aussi manqué Molière. Là aussi, dommage. Sylvia était naguère actrice dans la troupe d’amateurs de l’Ecole alsacienne. Qui sait ce qu’elle serait devenue une fois conquis le cœur du jeune Poquelin ? Je ne sais pas si je dois regretter qu’elle ait manqué Baudelaire. Inspirer le plus grand poète de langue française, c’eût été bien. Mais en matière de mariage, homo ou hétéro, j’ai des préjugés bourgeois : je suis pour le développement durable. Sylvia aussi. Et Charles, on ne voit pas ce que ça aurait donné bague au doigt, vu son épouvantable complexe maternel. Sylvia ne se serait jamais entendue avec Caroline Aupick.
Revenons à Saint-Just. Aurait-il fait un bon parti pour ma petite-fille ? Pour le savoir, interrogeons Organt, son poème en huit mille vers qu’il eut la malchance de faire paraître en 1789, année peu propice à la découverte de nouveaux talents littéraires. L’œuvre témoigne d’un beau tempérament libertin.
L’abbesse eut soin d’avertir les nonnettes Que de grands saints allaient les visiter, De se gaudir, et de se tenir prêtes,
Et qu’un mystère allait tôt éclater;
Après l’on fut dans la tour se gîter.
Il était temps. On enfonce les portes ;
Les vieilles sœurs se mettent à prier,
Et des bandits les fougueuses cohortes, Comme un torrent, inondent le moutier.
Nos jeunes sœurs à genoux les attendent,
Et du plus loin, des bras mignons leur tendent. En leur voyant l’air terrible et fâché.
Les doux agneaux croyaient avoir péché. Comme des loups sur elles ils fondirent. Et les nonnains pour des anges les prirent. Suzanne tombe aux serres de Billoi ;
Il vous l’étend et d’une main lubrique Trousse en jurant sa dévote tunique. Quand elle vit poindre je ne sais quoi,
Suzanne crut que c’était pour le prendre Et le baiser. Sur le fier instrument
Elle appliqua sa bouche saintement : Cela rendit Monsieur Billoi fort tendre, Qui désormais s’y prit plus poliment. Les flots pressés de sa bruyante haleine, De ses poumons s’exhalaient avec peine ; Il l’étouffait, voulant la caresser ;
Il la mordait, en voulant la baiser;
Sa langue affreuse, et tendre avec furie.
De la nonnain cherchait la langue pie,
Et notre sœur, qui pour Dieu le prenait,
À ses efforts saintement se prêtait.
Allant au Diable, et puis brûlant Marie. Quand la brebis, après ce doux baiser, Sentit l’oiseau quelque part se glisser,
Aller, venir, et l’ange tutélaire
De son sein blanc les deux roses sucer,
Elle comprit que c’était le mystère ;
Elle sentait une divine ardeur
De plus en plus s’échauffer dans son cœur… Amour riait, assis sur le pinacle.
Mais ce fut bien encore autre miracle. Quand tout à coup son regard s’anima, Son sein bondit, et son teint s’alluma ; Quand un rayon émané de la grâce, La pénétra, confondit ses esprits,
Et l’emporta tout droit au Paradis. Elle criait : ô puissance efficace ! Chaque félon, braqué sur sa nonnain. Menait aussi le mystère grand train : On les voyait, d’un rein fort et robuste, Observer tous une cadence juste, Aller, venir, à la file appointés,
En vrais taureaux, par leur fougue emportés ; Dans leur bouillante et féroce insolence. Jurant, frappant, au plus vite, au plus fort.
Et déchirant dans leur impatience.
C’est osé, mais est-ce original ? Non. On y retrouve l’inspiration du « Portier des Chartreux » et de tous ces petits romans licencieux qu’on achetait jadis sous le manteau, et qui se pavanent désormais en Pléiade, aux côtés du Divin Marquis.
Dans le passage cité, je reconnais plus spécialement l’influence de « Thérèse philosophe », 1748. Attribution aventurée à Diderot, plus sérieuse au marquis d’Argens. Sade loue cet ouvrage comme « l’unique qui ait agréablement lié la luxure à l’impiété ». Cependant, Casanova qui avait reçu des mains du marquis « tous ses ouvrages » ne souffle mot de « Thérèse ». Voir sur ce sujet l’introduction du roman dans l’édition Bouquins des « Romans libertins du XVIIIème siècle », spécialement page 563.
L’arrière-grand-père de Sylvia, un médecin, lui ancien élève des pères maristes au Collège Stanislas à Montparnasse, a fait connaître son avis sur la question : « La tête de Saint-Just fût-elle restée habitée des fantasmes d’Organt, il eût peut-être fait de Thermidor son triomphe. » (Jacques Lacan, Ecrits, p. 786).
Dystopie réactionnaire d’un ancien maurassien ? On peut se poser la question quand on sait la haine que la fachosphère voue à « l’ange de la Terreur ».
A suivre
Article paru dans Lacan Quotidien 671
L’histoire de France montre qu’elle dut plus d’une fois sa sauvegarde à des personnages hautement improbables, aussi jeunes qu’extrémistes, qui changèrent le cours des choses quand tout semblait perdu. Dans un joyeux désordre, pensons à Jeanne d’Arc, à Louis XIV pendant la Fronde, aux soldats de l’an II, au lieutenant Bonaparte et ses vanupieds de l’armée d’Italie, à de Gaulle le 18 juin 1940… La France aime manifestement les jeunes fous.
Les choses commencent au féminin à la Renaissance, avec une adolescente de treize ans, sujette de voix et de visions lui enjoignant de réaliser une prophétie locale disant qu’une pucelle des marches de Lorraine sauvera la France. La gamine ne reculera devant rien, abandonnant sa famille, ses amours naissants et tout le reste, pour voler au secours d’un autre enfant à problèmes, le dauphin Charles VI, dit le fol parce que sujet à des crises de folie intermittentes. Le pauvre n’en menait pas large d’être coincé entre deux guerres, l’une étrangère, celle de Cent ans avec l’Angleterre, et l’autre civile, avec les ducs de Bourgogne. Elle fit ce qu’il fallait faire, vengea Azincourt, et fit du dauphin un roi en l’amenant, par une audacieuse traversée des lignes ennemies, se faire sacrer à Reims.
Capturée finalement par les Bourguignons, alliés aux Anglais, elle finit sur le bûcher des sorcières, un évêque, le sinistre Pierre Cauchon, prenant prétexte des voix de Jeanne pour la dire possédée par le diable. Et cela continue, la chère enfant étant actuellement captive du démon de notre temps, Jean-Marie Le Pen rêvant d’en faire une égérie frontiste. Il semble du reste aimer les blondes diaphanes puisqu’il voit bien sa petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen, reprendre le flambeau et l’armure pour se faire sacrer un de ces printemps en la cathédrale de l’Élysée.
Article paru dans Lacan Quotidien 671
Alors que le parti d’extrême droite est présent au second tour des élections présidentielles françaises, certains critiquent déjà la prétendue jeunesse du candidat démocrate Emmanuel Macron. Elle serait un handicap rédhibitoire pour l’exercice de la magistrature suprême. Il est vrai que le populisme, recyclé ou non, porte les stigmates du ravage des ans. C’était déjà vrai hier avec Pétain. C’est encore vrai aujourd’hui. Difficile, en effet, avec Donald Trump, Theresa May et quelques autres, d’oublier ce mot du Général de Gaulle, repris à Chateaubriand, « La vieillesse est un naufrage ».
Comment oublier tous ceux pour qui les jeunes années ont rimé avec audace et prudence, courage et détermination ? Que l’on songe à David qui n’est encore qu’un adolescent lors qu’il tue Goliath. Alexandre Le grand, quant à lui, est âgé d’à peine vingt ans lorsqu’il devient le nouveau roi de Macédoine. Clovis a 15 ans quand il devient roi de France. C’est à trente ans que Bonaparte prend le pouvoir un 18 brumaire et à 35 ans que Napoléon est sacré empereur. Et que dire de Murat et de Masséna élus députés respectivement à 26 et 27 ans ? La IIIe République n’a pas manqué non plus de jeunes députés âgés de 26 ans ou moins : Jean Jaurès, Henri Auriol, Raymond Poincaré ou Pierre Mendès France… C’est encore la jeunesse qui incarne la Résistance et paie un lourd tribu : citons Guy Môquet fusillé à 17 ans ou encore cette quinzaine d’adolescents, jeunes résistants anciens élèves du Lycée Michel-Montaigne de Bordeaux, âgés de 17 à 22 ans et tués le 14 juillet 1944. Les femmes ne manquent ni de courage ni de détermination. En effet, quand elle s’engage dans la Résistance, Annie Becker- Kriegel a à peine 16 ans et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, tout juste 20 ans.
Bien d’autres encore ont démontré ce dont la jeunesse est capable. Hier, Marie Curie et Einstein : la première, qui aura deux prix Nobel, a 34 ans lorsqu’elle découvre le polonium et le radium ; le second a 26 ans quand il publie sa première théorie de la relativité. Aujourd’hui, Bill Gates ou Mark Zuckerberg démontrent que les bonnes idées ne sont pas l’apanage du grand âge sage. Bien sûr on n’attend pas d’Emmanuel Macron qu’il soit un Bill Gates ou un Alexandre Le Grand, mais plutôt que le talent de sa jeunesse habite son sens des responsabilités au service de notre démocratie.
Notre démocratie a aujourd’hui besoin d’un front uni républicain pour l’emporter au second tour des présidentielles. Mais gouverner, c’est aussi prévoir que la présence du parti de la haine et de l’extrême droite n’est pas seulement une contingence. Demain, elle peut devenir une nécessité qui ne cessera plus dès lors de croître et de s’imposer. C’est dire que chaque responsable de la vie politique doit se souvenir du profond malaise qui s’exprime en France aujourd’hui. C’est le moment pour la France de se réinventer avec l’Europe sans oublier la frontière qui sépare la démocratie de ses ennemis. Alors, à celui qui fera le reproche à Emmanuel Macron de la jeunesse, on répondra avec le Cid : « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ».
Article publié dans Lacan Quotidien 671
« La Ville dont le prince est un enfant » fut l’un des plus grands succès de Montherlant au théâtre. Une sombre histoire d’amitiés particulières de style pédophilique dans un collège de curés, qui se conclut par le renvoi de l’adolescent, supposé corrupteur du cadet. Authentique : l’histoire était arrivée au jeune Montherlant. De très beaux passages d’une haute élévation morale homosexuelle. Montherlant dédia l’œuvre à un curé de campagne. Il espérait, disait-il, avoir servi la « vérité catholique ». On devrait remonter cela aujourd’hui.
Je songeais à ce titre au moment de chercher celui de ce papier. Notre prince ne sera pas un enfant, mais un homme jeune. Enfin ! J’en avais assez que les Américains affichent la jeunesse de leurs présidents alors que la France était sur la voie du Vatican : avant de confier les rênes du pouvoir à un quidam, attendre que son petit pipi soit mort pour la jouissance. Un seul cri : « Tout le pouvoir, non aux Soviets, mais à l’impuissance ! » A peine Hollande fut-il photographié sur son destrier allant retrouver sa belle qu’il perdit avec sa crédibilité l’essentiel du pouvoir d’État.»
Depuis le Viagra, l’impuissance n’est plus ce qu’elle était. Heureusement ! (c’est un homme de 72 ans qui parle). Mais enfin, installer sur le trône un poulain frémissant de saillir tel que paraissait être un Obama ou un Justin Trudeau, ce n’était pas pour les Français d’aujourd’hui.
La vieillesse bénéficie en Chine d’une plus-value exceptionnelle. Le culte des ancêtres y remonte à l’antiquité. Il est enraciné dans le taoïsme. Il est présent par des rites dans toutes les familles. On croyait donc les Chinois abonnés à la gérontocratie, condamnés à être dirigés par des vieillards cacochymes. Or, en 2013 qui leur système baroque communisto-capitaliste a-t-il placé à sa tête ? Un solide sexagénaire encore vert, marié en secondes noces à une chanteuse sexy, par ailleurs major général dans l’Armée populaire de libération, où elle s’est engagée à l’âge de 18 ans. Les femmes non plus ne sont plus ce qu’elles étaient.
Là, j’exulte. Alors que les États-Unis se traînent le plus vieux président jamais élu dans l’histoire du pays, dont le gâtisme est tous les jours plus évident, le New York Times, qui est tout de même le meilleur quotidien du monde, n’est-ce pas ? se verra un jour obligé d’imprimer : « The Young President of France ».
Bien entendu, ils trouveront autre chose pour témoigner à leurs fidèles alliés français leur mépris d’hegemon.
Le 10 avril 2017 lors de l’émission Le Grand Jury RTL-LCI le Figaro, puis le 18 et 19 avril 2017 sur TF1 puis BFMTV et RMC et enfin le 19 avril 2017 à BFM TV- RMC, Marine Le Pen a donné trois leçons d’Histoire de France, pardon d’Histoire de LaFrance. La première sur la rafle du Vel d’Hiv, la deuxième sur Richelieu, la troisième sur la colonisation en Algérie. En 9 jours, quel travail d’historienne ! Elle a en effet déployé une vision vraiment nouvelle de ces trois moments historiques, pourtant fort éloignés les uns des autres, une vision révisionniste si on se réfère à la définition générale suivante : « le révisionnisme désigne l’attitude critique de ceux qui remettent en cause les fondements d’une doctrine, d’une loi, d’un jugement, d’une opinion couramment admise en histoire, ou même des faits établis ».
Quel est donc son argument ? Il repose sur la différence entre LaFrance, entité idéale, presque mystique, et les différents régimes étatiques qui se sont succédés sur un territoire variable, les Royautés, les deux Empires, les Républiques et l’État de sinistre mémoire et de courte durée. C’est un argument digne du Père Ubu d’Alfred Jarry : S’il n’y avait pas laFrance, il n’y aurait pas de Français. Relevons pour finir deux conseils pédagogiques : « On a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer, de n’en voir que les aspects historiques les plus sombres. » Pour les enfants, pas de pensée critique et évitons les aspects sombres. Donc ne parlons pas du travail des historiens fondé sur la pensée critique et la recherche des faits et des actes plutôt que des responsables, et voyons les aspects riants des périodes sombres. Tâche difficile dans le cas historique proposé.
Le « justement peut-être » a de quoi rendre perplexe, après une phrase si affirmative. Sans doute est-il difficile de faire entrer dans la tête de Richelieu l’idéologie frontiste.
Interprétation : elle se rêve en Richelieu, après s’être couverte de la gloire gaullienne. L’héroïne de cette Histoire, c’est toujours elle, LaFrance.
Le 19 avril elle ajoute :
« Je n’ai rien contre les Protestants. Il faut quand même accepter qu’on puisse faire des références historiques dans notre pays. »
Quelles références historiques ? Où est la discipline Histoire dans ces « références » ? La phrase prononcée le 18 est claire : les Protestants ont été les ennemis de la supposée Nation, qui a l’époque n’existait pas puisque c’était le Royaume. Or rappelons que pendant la Fronde de 1648 à 1653, les protestants restèrent fidèles à la couronne. La déclaration royale de 1652, signée par Louis XIV lors de sa majorité, confirma solennellement l’édit de Nantes en louant les réformés « de leur affection et fidélité » pendant les troubles.
Marine Le Pen n’a donc rien contre les juifs, les protestants et … les colonisés. Aux juifs, le Vel’ d’Hiv, aux protestants, les massacres, et aux colonisés, les bienfaits.
Les bienfaits de la colonisation n’ont cependant convaincu ni les Algériens, ni l’ensemble des peuples qui en ont « bénéficiés ». Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est venu y mettre fin. C’est le verdict du réel auquel ni la bonne ni la mauvaise foi ne peuvent rien.
La pratique de la psychanalyse apprend très vite que vouloir le bien de l’autre à sa place est sans effet, autre que dévastateur, sur lui.
Voici donc l’histoire qui se prépare pour nos enfants dans une France lepéniste. C’est l’histoire négationniste, celle qui tourne le dos au réel que la méthodologie de l’histoire permet de cerner et qui s’oriente de fantasmagories.
Un petit caprice pour finir : Marine Le Pen, députée européenne, n’a accepté de venir sur le plateau de TF1le 18 avril que si le drapeau européen en était enlevé. La France, seule au monde, c’est elle, à toutes les époques.
Déchirure
Dans le foudroiement d’un éclair qu’il a su saisir sans laisser passer l’instant, celui de voir que la présence de MLP au second tour des présidentielles n’était plus de l’ordre de l’impossible, mais de la contingence (donc du probable, et de l’ordre d’un incalculable), Jacques-Alain Miller nous indique qu’une déchirure s’est produite.([1])([2])
Le rêve du psychanalyste, isolé dans son cabinet derrière son devoir de réserve a pris fin en un réveil brutal qui pourrait bien l’y faire ressembler à un cauchemar s’il n’embrayait directement sur un temps pour comprendre que le réveil a sonné.
Le diable dévoilé
Se réveiller vraiment implique de se souvenir de quoi l’on s’est endormi. De quel opium ? En l’occurrence, c’est de l’illusion en quoi a procédé la tentative de dédiabolisation par MLP de la haine incessamment vivace qui anime et agite son parti. Si cet opium, qui s’inhale si facilement, et se répand aisément en odeur de sainteté, est si vite plaisant, c’est qu’il répartit les frontières entre « Eux » et « Nous », et tandis qu’il attribue la culpabilité à « eux » nous dédouane de toute responsabilité. Jusqu’à celles de nos aïeux et de la nation dans les fautes commises et pourtant reconnues par les précédents présidents après de longs et durs combats contre l’oubli.
Le « Je » de la haine
Il est si pénible à l’homme de se souvenir et de reconnaitre que, non seulement le mal ne lui est pas étranger, mais de plus habite en lui-même, qu’il lui devient alors parfois préférable de s’oublier et d’effacer sa propre responsabilité en dénonçant celui qui anime l’Autre (au risque de le promouvoir si ce n’est de le créer) au point de vouloir s’endormir en s’en remettant à un « Nous » qui fasse rideau sur la solitude fondamentale qui le place en face des conséquences de ses actes. « L’éthique de la psychanalyse conduit à considérer qu’il n’y a pas de nous, qu’il n’y a pas de eux, que cette frontière bouge tout le temps, tel le vol des oiseaux qui ne cessent de se rassembler et se disperser. On est fondamentalement seuls. Le eux et le nous, ça n’existe pas »([3]) rappelait de façon poignante Christiane Alberti lors du Forum contre Marine Le Pen et le parti de la haine du 18 avril à La maison de la Mutualité à Paris.
Logique du nous contre éthique du secret en politique
Par une déduction toute logique, ce que vise la politique du « nous » contre « eux » du F-haine, au-delà de nous dédouaner de nos fautes, par substitution, par le tour de prestidigitateur qui les fait apparaitre chez l’Autre, c’est de déresponsabiliser chacun de son acte politique, de sa voix, du « je » qui lui restent protégés (pour combien de temps encore?) par le secret du voile de l’isoloir.
Gageons que ce voile garde pour quelques temps encore sa fonction pour un désir en politique.
L’intime conviction exprimée derrière le voile de l’isoloir reste la seule arme pour garder ce désir vivant.
Continuons à en faire usage.
[1] J-A Miller. Le Journal extime N°13 & 14 – Lacan Quotidien n° 666
[2] L’invité des Matins : Dernières réflexions avant le vote, avec Jacques-Alain Miller : www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/dernieres-reflexions-avant-le-vote-avec-jacques-alain-miller
[3] C. Alberti. De la différence en matière politique – Lacan Quotidien n°665
ÉDITORIAL
Samedi. Une bonne nuit réparatrice m’a mis en retard. J’ai attrapé de justesse le train de 10:25 pour Bruxelles.
Forum non-stop de 14:00 à 19 :30 à la Maison des Associations Internationales. Puis dîner à quelques-uns dans un bon resto. Je ne bois pas une goutte d’alcool, car je veux travailler cette nuit à mon Extime 16, et le terminer avant de reprendre le train de Paris à 11:13.
Ma fille a regardé les textes. Il est interdit aux membres des campagnes de s’exprimer publiquement samedi et dimanche. Les citoyens sont invités à garder une attitude de réserve, de ne pas inciter à voter pour un candidat ou un autre, mais il peuvent s’exprimer.
« Mais oui, Le Journal du dimanche paraîtra demain. Moi, je ferai l’Extime du dimanche. »
HITLER-ADMIRING PAL versus OPUS DEI
Libération : je trouve honteuse la couverture du numéro de samedi. Le Pen et Fillon sont placés sur le même plan comme les deux candidats pour lesquels le lecteur de Libé ne doit voter en aucun cas.
Mettre un signe d’égalité ou d’équivalence entre l’héritière de Vichy et François Fillon est une infamie. Libé fait vraiment tout son possible pour qu’en cas de duel Le Pen-Fillon au second tour, l’électeur de gauche aille à la pêche. Les journalistes de gauche se seront évertués durant toute cette campagne à frayer la voie de Le Pen vers le pouvoir d’Etat.
J’ai dit ma compassion et ma solidarité avec l’homme François Fillon et avec sa famille, « jetés aux chiens. » Je ne suis pas suspect de complaisance pour sa politique. Anticipant un peu sur ce que je crois pouvoir démontrer par une analyse purement textuelle (non, pas de smoking gun à la Mediapart, pas de document sorti de derrière les fagots par des enquêteurs émérites), je dirai que je tiens pour parfaitement irresponsable de la part de M. Fillon de prévoir de donner des postes ministériels à des membres du groupe ultramontain « Sens commun », car ce serait exposer le gouvernement français à l’influence de l’Opus Dei.
Mais enfin l’Opus Dei n’est pas le diable, n’est pas Marine Le Pen. L’Opus est une prélature personnelle de l’Eglise catholique qui se caractérise par sa volonté d’allier la plus extrême modernité capitalistique à une orientation dite « intransigeantiste » (procédant du fameux « Syllabus » du pape Pie IX) au niveau des mœurs. C’est le mariage de la carpe et du lapin, de l’eau et du feu. Rien qui soit insurmontable pour des dialecticiens aussi affûtés que ceux de l’Opus, que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer en Italie.
Pour être totalement transparent sur le point de mes contacts avec l’Opus Dei, je dirai que j’ai eu maints témoignages de l’intérêt qui était porté par les universitaires de l’OD à l’œuvre de Lacan, et je n’ai pas fait de difficultés à leur donner des conférences, non rémunérées. Les contacts sont passés par ma chère amie Giuliana Kantza, psychiatre, psychanalyste, ancienne élève de Basaglia, membre de l’Association mondiale de psychanalyse que j’ai fondée, et, depuis le début du présent siècle, également membre de l’Opus, où elle a trouvé la paix et l’ambiance de travail qu’elle cherchait depuis longtemps.
S’il y avait la moindre équivalence entre l’Opus Dei et le mal absolu qu’incarne à mes yeux le FN, jamais je ne serais devenu un familier des universités de l’OD comme j’ai pu l’être il y a quelque dix ou quinze ans.
Pour que tout soit bien clair, et sans partager les délires complotistes qui foisonnent à plaisir autour de l’Opus, je ne souhaite pas que ses membres aient accès au gouvernement de mon pays.
Cela dit, aucun rapport avec un Fréderic Chatillon, « Hitler-admiring university pal and communication adviser » de Marine Le Pen, dont le FN dément auprès de la rédaction de Politico, hebdomadaire américain, vol. 3, n°16, 20-26 avril 2017, p. 20, qu’il soit question de lui confier le ministère de l’Intérieur.
Encore une précision : l’Opus Dei est actuellement engagé dans une sorte de guérilla contre le pape François. Je le regrette. De ce fait, je me sens bien plus proche de la Compagnie de Jésus, qui, elle, soutient loyalement son illustre rejeton devenu pape.
DERNIERE COMBINATOIRE AVANT VOTE
Je termine cet Extime 16 confortablement installé dans le Thalys.
Nous avons déjà vu comment calculer le nombre de paires pouvant être formées à partir d’un ensemble de n éléments. Pour n = 4, le nombre de paires est 6. Chacune de ces 6 paires constitue une issue possible du vote de ce soir.
Je tiens que le couple de second tour le plus probable, et accessoirement le plus stimulant, est : (LE PEN-MACRON).
Ce couple mettrait au rencart, au moins pour un temps, l’antique clivage droite/gauche., remplacé par une nouvelle dichotomie, « mondialistes versus patriotes », pour le dire avec Le Pen, ou « conservateurs contre progressistes », dans la parlure macronienne.
Les deux protagonistes ont chacun une forte cohérence interne. Si l’on se contente d’un tableau à double entrée, Valeurs morales/Valeurs mobilières, Macron est « progressiste » sur les deux plans, tandis que Marine est de même « patriote » sur les deux.
On notera avec intérêt que les vues sociétales de Marine Le Pen, si elles peuvent être qualifiées de « conservatrices », voir « pépères », ne sont pas réactionnaires comme celles de M. Fillon. Celle-ci n’est pas compromise par la Manif pour tous, avec laquelle elle n’a jamais défilé, alors que les membres de « Sens commun en proviennent en ligne directe. Et une forte représentation gay qui entoure la chef.
La paire diamétralement opposée au couple hyper-cool Marine-Macron, c’est le collage ringard (FILLON-MELENCHON), la droite contre la gauche, chacune sous anti-dépresseurs pour cause de division interne.
Fillon, c’est l’union instable entre le moderne et l’antimoderne, entre le capitalisme déchaîné et les caves du Syllabus, sous l’égide de l’Opus Dei.
Mélenchon, c’est le laisser-faire petit-bourgeois en matière de mœurs plus la défense des acquis économico-sociaux, du service public principalement, le tout fourré et nappé d’une utopie dépensière chocolatée. L’égide sous laquelle se place le nouveau Miam-miam des classes moyennes est celle de Hugo Chavez, militaire putschiste parvenu au pouvoir par les urnes après avoir purgé sa peine de prison. Une rumeur insistante veut que les héritiers de Chavez soutiennent de leurs deniers la France insoumise comme aussi bien le Podemos de Pablo Iglésias.
Les quatre paires restantes associent un élément « cool », Marine ou Macron, à un élément « ringard », Fillon ou Mélenchon.
(MARINE-FILLON), c’est la réalisation du Wunsch qu’exprime la couverture naïve de Valeurs actuelles cette semaine avec un Macron douceâtre et un Méluche gueulard : « Dégageons la gauche ! » Mais entre Marine et Fillon, nos Valeurs actuelles sauront-elles choisir sans se diviser ? Pour François d’Orcival, le patron, « de l’Institut », c’est Fillon qu’il nous faut pour rendre à la France sa liberté (?). Même son de cloche chez Yves de Kerdrel, le n°2 de l’hebdo : « un homme d’expérience. »
(MARINE-MELENCHON), c’est la fête à la grenouille des droits acquis. Les éditorialistes glosent sur les Français qui veulent avant tout la sécurité, et qui croient un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
(MACRON-FILLON) : là, le thème homosexuel sort enfin à la Une. Les uns tentent de démontrer que FF est « la cocotte de la République », selon l’expression déjà signalée depuis ses débuts sous Joël Le Theule. Les autres veulent de même outer le bi qu’ils supposent caché dans son couple non-conventionnel.
Enfin, (MACRON-MELENCHON). C’est le vote de la jeunesse. Une de mes sources, en hypokhâgne à Henri IV, me dit que les élèves se partagent entre ces deux options.
AU FORUM DE BRUXELLES rédigé le soir du Forum
Notre amie Isabelle Durant, longtemps vice-présidente du Parlement européen, est là, fidèle au rendez-vous. Elle dit l’inquiétude que lui inspire la montée des nationalismes autoritaires sur le continent.
On entend le jeune secrétaire de la Commission « Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures » du Parlement européen, Antoine Cahen, exposer les critères dit de Copenhague (2001) auxquels un pays doit satisfaire pour pouvoir adhérer à l’Union européenne. Il s’y ajoute d’autres règles adoptées en 2005 après les attentats de Londres venant eux-mêmes après ceux de Madrid. Il y a aussi l’obligation d’adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Et malgré tout cet arsenal, Cahen estime que la situation n’est pas satisfaisante.
Je lui demande son texte pour publication dans le Journal extime, il me le promet pour le courant de la semaine prochaine. Nous plaisantons sur la mauvaise image des bureaucrates de Bruxelles quand il est rejoint par une fille charmante au frais sourire et à la mise sans prétention. Christine T. travaille à la Commission « Justice » du Parlement. Je lui tourne un « piropo » : « Si vous paraissiez à la télévision pendant que Marine Le Pen fustige les gnômes de Bruxelles, c’est vous qui seriez plébiscitée ! Et la France sera sauvée. » Elle rit de plus belle. Tous les deux pensent venir à Paris pour le Forum du 28 avril. Je leur promets des invitations.
Michel Gheude, journaliste à Radio Judaïca et écrivain, se livre à une belle méditation sur le mythe de Babel. Un trait me frappe au cœur : il souligne que la langue de Babel était faite de paroles « scellées », interdisant toute discussion. La fameuse Tour avait le sens d’un défi lancé au ciel, avec un projet d’idolâtrie, alors que la langue est faite pour parler de ce qui n’existe pas, ce qui veut dire que la liberté est dans la langue.
Je commente. On voit bien pourquoi Platon qui était totalitaire exclut le poète de sa République. Par ailleurs, j’avais un jour fait une conférence réduisant le discours universel à la formule shakespearienne « Much ado about nothing », beaucoup de bruit pour rien. Mais ce que je n’avais pas vu alors que l’évidence crève les yeux, c’est que le manque radical de la référence, ou son ratage structurel, permet de fonder le concept de liberté au niveau même de la langue. Un structuraliste pense d’abord la langue en termes de contraintes. La lecture de l’opuscule de Chomsky, « Syntactic Structures », avait déjà été un saisissement pour moi, avec l’accent mis sur la productivité infinie de la langue. Et maintenant, troisième temps : la liberté dont Lacan disait, en réponse à une question posée par une journaliste belge (entretien filmé) qu’il ne savait pas ce que c’était (toujours son tropisme anti-sartrien) trouve à se fonder dans la langue.
On peut au niveau de la langue donner un sens à la liberté. Le soi-disant « arbitraire du signe » exprime et dissimule à la fois la fonction de la liberté. Le fait que le signifié soit disjoint du signifiant, contrairement à ce qui est le cas dans la langue verrouillée de Babel, ménage la faille où se glisse la liberté.
Cette liberté, c’est aussi bien ce qu’André Breton appelle « l’imagination », et dont il défend les droits dans le « Manifeste du surréalisme » contre les matérialistes, les réalistes et les logiciens.
Maintenant, c’est encore un peu plus compliqué. Car le poète n’est pas un maître. Il laisse l’initiative aux mots. Lacan évoque quelque part « la vive curiosité »que Platon éprouvait dans le « Cratyle » pour les « petites bêtes » que sont les mots, qui n’en font qu’à leur tête. Vérification faite, c’est dans « Radiophonie », page 405 des Autres écrits.
Lacan ajoute que Jakobson démontre que « le poète se produit d’être mangé aux vers, qui trouvent entre eux leur arrangement sans se soucier, c’est manifeste, de ce que le poète en sait ou pas. » Je vois ici se dessiner une co-appartenance de l’inconscient et de la liberté (au sens de la « libre » association) qui me semble être du plus haut intérêt. Il faut y réfléchir sérieusement.
Michel Gheude m’a lui aussi promis son texte pour le Journal extime.
COLOPHON
Faut-il voter ? L’incertitude est telle qu’on peut comprendre les hésitations de beaucoup. C’est comme de jouer au casino. Prenons cette question sous l’angle scientifique.
Dans le dernier chapitre de son Que sais-je ?, n°3 de la célèbre collection, « La probabilité, le hasard et la certitude », le Pr Paul Deheuvels cherche à expliquer le succès des jeux de hasard. Certes, « on y propose un jeu sensiblement en faveur de la maison de jeu, mais où le joueur conserve la liberté permanente de sa stratégie, et d’accepter ou non de miser. »
L’auteur examine ensuite divers problèmes répondant au modèle du défi entre un pourcentage de probabilités et l’intelligence du joueur, et qui ont été mathématiquement résolus. Il évoque alors l’un des plus simples, celui de « l’arrêt optimal fini ».
Il en décrit les données de base, sans pouvoir donner la construction du temps d’arrêt optimal, et l’applique à un cas particulier, celui du jeu à mises égales répétées,
où Xi = 1 (gain) avec probabilité p, et -1 (perte) avec probabilité q = 1- p.
« Quel est donc le temps d’arrêt maximisant l’espérance de gain ? » Le problème a été complétement résolu dans le cadre de la théorie de l’arrêt optimal due aux travaux de Chow, Robbins et Siegmund (cf. « Great expectations : the theory of optimal stopping », Houghton-Mifflin, 1971).
Il en ressort ceci : « conformément au bon sens, entre toutes les stratégies possibles de jeu, la meilleure possible est de ne pas jouer du tout. »
Ne pas jouer du tout ! Ce pourrait être la résolution d’une sagesse supérieure, et seule mathématiquement fondée : ne pas tenter sa chance au grand Casino de l’Histoire.
Passéisme ? Non-agir ? Tao ? Acte gratuit ? Gelassenheit ? Impossible, vu que nous sommes embarqués ? La suite au prochain numéro.
OURS
Rédacteur : Jacques-Alain Miller, ja.miller@orange.fr
Lectrices : Judith Miller, Sylvia Rose, Danielle Silvestre
Assistante de recherche : Rose-Marie Bognar, rosemarie.bognar@wanadoo.fr
Traducteur : Pierre-Gilles Guéguen
Secrétaire : Nathalie Marchaison, navarinediteur@gmail.com
Chargée de la diffusion : Midite (Cécile Favreau), cecilefavreau@gmail.com
Chargés des réseaux sociaux : Jean-François Cottes, Laurent Dupont
Conseiller électronique : Nicolas Rose
Représentant la Règle du jeu : Maria de França, mariadefranca@laregledujeu.org
Secrétaire générale : Carole Dewambrechies-La Sagna, cdls@Wanadoo.fr
Éditrice : Eve Miller-Rose, eve.navarin@gmail.com
Directrice de la publication : Christiane Alberti, alberti2@wanadoo.fr
EDITORIAL : JE VOTE MACRON
07:15. Réveil dans l’évidence : je vote Macron. Verum index sui. C’est le rebond de la combinatoire que j’ai tenté d’articuler hier matin sur France Culture, en dépit de l’obstruction d’un préposé de la police du langage, « the National Speech Police ».
Fillon, Mélenchon, je voterai pour l’un ou pour l’autre sans aucun état d’âme si l’un des deux est l’adversaire de Le Pen au second tour. Je lui trouverai des mérites. Ce ne sera pas difficile. Par exemple, Fillon est élégant, Mélenchon est éloquent. Ou encore : Fillon a le meilleur programme pour redresser la France, disent beaucoup d’économistes ; Mélenchon sait comment rétabli la croissance, disent de nombreux économistes. Vrai dans les deux cas. Je ferai même campagne pour eux si on me le demande. Tout pour battre la Le Pen.
Attention ! Dans la légalité. Bien entendu. Pas d’attentat ciblé, ça, non. Jamais. Ce serait non-démocratique. Et puis, ce serait contre-productif. Et difficile à réaliser en plus, au moins dans les circonstances présentes. Actuellement, on cherche à éliminer Le Pen par l’élection. Ça devrait marcher. C’est du trois contre un, ou une : Fillon, Macron, Mélenchon versus Le Pen. Vous ne pouvez pas faire entrer en douce un autre candidat. Le candidat Poum-Poum. Il n’est pas sortable, le camarade Poum-Poum. C’est comme M. Chatillon.
Connaissez-vous M. Chatillon ? Moi pas. C’est un monsieur qu’on me dit être baraqué, et dont un tweet s’est retrouvé en bonne place sur le site de M. Alain Soral, autodidacte allumé qui a trouvé le secret de l’existence dans les « Protocoles des Sages de Sion ». J’ai écouté une bonne vingtaine de ses clips sur le net, sans m’ennuyer une seconde. Cet homme sait captiver. C’est d’un antisémitisme somptueux, si je puis dire. Il distingue les juifs du commun, qui seraient inoffensifs, de la « communauté organisée » qui dominerait la France. Et moi ? Et moi ? J’ignore la communauté qui m’ignore, et je ne suis pas vraiment un juif du quotidien : que suis-je, M. Soral ? Que suis-je ?
Toujours est-il que M. Chatillon faisait savoir par ce canal qu’il se rendrait au Forum 18 porter la contradiction « à nos détracteurs. » Chic alors ! ai-je pensé. Je voyais M. Chatillon invité à s’exprimer de la tribune du Forum pour un quart d’heure, moi lui répondant pour une durée moitié moindre, et lui ayant encore cinq minutes de réplique.
« Ne faîtes pas ça ! me dit une éminence du CRIF qui était alors à me faire un électrocardiogramme. Cet homme est une ordure, un nazi, un vrai. » Admettons. Je ne voyais pas pourquoi ne pas débattre avec un supposé nazi voulant supposément débattre. Je dus constater que j’étais seul de mon avis : Maria, Carole, Christiane, ma fille Eve, ne voulaient pas entendre parler de mon envie d’accueillir M. Chatillon à la tribune du Forum. Isolé parmi les personnes les mieux disposées à mon égard, que pouvais-je faire ?
Le coup de grâce me fut donné par BHL, qui prit le temps de m’expliquer que l’on ne fraye pas avec l’ennemi, cet ennemi-là. Je déférai à son avis. Bien que mon cadet de quelques années, il s’affonte avec le FN depuis bien plus longtemps que moi, qui suis tout jeune dans cette affaire, un nouveau-né.
À vrai dire, je comptais sur M. Chatillon, que je croyais intrépide : il se présenterait à l’accueil ; pour ne pas faire d’esclandre, on le laisserait entrer ; et il prendrait la parole de la salle d’une voix que j’imaginais être de stentor. Alors je me lèverais et lui répondrais. Patatras ! « Adieu, veaux, vaches, cochons ». Je dus déchanter. Pas plus de Chatillon à l’entrée que de Napoléon ou de chaton dans mon corbillon.
L’analyse m’a permis d’illuminer les portants de mon imaginaire. Mon expérience du stade du miroir a été remaniée par l’intrusion d’un frère cadet. D’un côté, j’ai accueilli l’intrus comme un Miller de plein exercice, avec qui pacter. C’est le ressort de ma politique favorite, celle de « front uni », qui inspire par exemple le Forum 18. Corrélativement, le quantum résiduel d’agressivité spéculaire qui n’est pas sublimé dans le front uni trouve à s’exprimer dans l’envie du duel. Faute d’en découdre avec Chatillon, je me suis rabattu sur l’intrus originel, mon frère Gérard, auquel m’a opposé une algarade imprévue au cours du Forum.
Pour donner à ce thème sa dimension historique, lire « Le duel, une passion française, 1789-1914 », le plus beau livre de mon ancien cothurne de l’Ecole normale, Jean-Noël Jeanneney. Seul le temps qui me presse m’empêche d’entrer dans le commentaire de cette enquête si spirituelle. L’ouvrage commence par le fameux « coup de Jarnac ». Comment ne pas rester songeur quand on sait que Mitterrand, natif de Jarnac précisément, ne cessa de donner sa vie durant des « coups de Jarnac » ?
Comment expliquer que je me sois trouvé seul de mon avis sur la manière de traiter le problème Chatillon ? Je dois constater d’abord que mon imaginaire ne consonne pas avec celui que mes plus proches ont en partage. En choisissant comme héros le personnage de Robespierre (NB : le second prénom de Gérard est Pierre) — non pas Robespierre le Sanguinaire, pure invention contre-révolutionnaire, mais Robespierre l’Incorruptible — il est certain que le gamin que j’étais à treize ans affirmait déjà, avant un choix original, difficile, à contre-courant de la sensiblité moyenne de l’époque (encore que, en ce temps-là, le Parti communiste avait de la tendresse pour Maximilien, conçu comme un proto-Lénine).
Vers le même âge, nous savons quelle était la grande figure historique sur laquelle BHL faisait les identifications idéales de son adolescence. Il a confié son nom au détour d’un de ses livre. Aveu resté inoubliable pour moi, car ce nom, je l’avais déduit de son énonciation. Je concluai en effet un article que je lui avais consacré en février 2008 dans « Le Nouvel Âne » n°8 : « Eh bien, c’est tout simple : il est notre Bossuet. » Or, avec quelle joie n’ai-je pas lu quelques années plus tard, dans l’une de ses lettres à Houellebecq, que le jeune Bernard aimait à s’isoler dans sa cabine en bois pour déclamer du Bossuet.
Autrement dit, notre front uni anti-Le Pen va de Bossuet à Robespierre. Plus précisément, la Règle du jeu, son directeur et sa rédactrice en chef, ma chère Maria de França, ce sont le centre-gauche social-libéral. Carole, ma fille, c’est une gauche de gouvernement affligée par la nullité de la direction socialiste. Christiane Alberti me semble venir d’une gauche marxiste « réviso », comme on disait à la gauche prolétarienne, laissée sur le sable par la déchéance communiste. A mes yeux, ce sont tous des modérés. Je me reconnais pour être un extrêmiste-né.
Parmi les althussériens jadis, j’étais déjà l’extrémiste parmi les modérés. Balibar que j’admirais ne pouvait se défendre dun sentiment de défiance à mon endroit. Je voyais bien qu’il ne me considérait pas comme un élément sûr. Et comment lui donner tort ? La suite l’a montré. Balibar, Duroux, Macherey, Rancière, Villégier, aucun d’eux à ma connaissance n’a « fait » Mai 68. Badiou l’a fait, mais comme membre du PSU. Si Milner l’a fait, c’est comme moi, avec moi, répondant à l’appel que je lui avais lancé de me rejoindre à Besançon où j’étais assistant de philosophie.
Je laisse de côté le cas pénible du groupe pro-chinois dont Althusser était le marionnetiste caché.
En fait, quand je m’étais passionné pour Lacan, qu’Althusser m’avait demandé de lire et de décrypter, j’avais entraîné derrière moi et Milner et Regnault, et Grosrichard. Nous fûmes les quatre le Conseil de direction des fameux « cahiers pour l’analyse », Judith agissant dans la coulisse. Duroux marquait sa sympathie. Les autres se demandaient si c’était du lard ou du cochon.
Althusser avait déclenché tout ça en décidant de consacrer un séminaire d’une année à Lacan, lequel devait poursuivre rue d’Ulm, à partir de janvier 64, son séminaire de Sainte-Anne. Je voyais bien qu’il avait remarqué que ma libido s’était détachée de lui pour filer vers Lacan. Même si nous avions donné cours à l’appellation de « lacano-althussériens » le lacano l’emportait irrésitiblement sur l’halte tu sers à rien. Plus tard, au détour d’une plaquette publiée par Maspéro, Althusser évoqua le jeune « chiot du structuralisme » qui lui avait filé « entre les jambes ». Lisant ça dans une librairie, je n’eus pas de peine à me reconnaître dans cette évocation sans grâce.
Je joue donc ces jours-ci un extrêmiste chez les libéraux. Bien entendu, c’est un extrêmiste analysé, blanchi sous le harnais, lissé, poncé, policé, de bonne compagnie (la plupart du temps), un desenganyado. lacanisé jusqu’à l’os, étant entendu que Lacan, lui, était maurassien à vingt ans.
Lacan justement me parla un jour — ceci est attesté— de ma « révolte de privilégié », et de ce que je pourrais en faire si je prenais exemple sur sa révolte à lui. Lacan aussi était un extrêmiste et un contrarian, comme on dit en anglais. J’ai tout de suite été comme un poisson dans l’eau avec son discours.
Être extrêmiste, ou plutôt jusqu’auboutiste, c’est partager avec le psychotique le goût de la logique. On va où vous mène le signifiant, sans égards pour les arpions qu’on écrase. On est en quelque sorte un « anti-humaniste théorique absolu », expression forgée par Althusser. On n’aime pas Albert Camus, par exemple. On ne doute pas de l’existence des sublimations, mais on sait qu’elles s’ancrent invariablement dans un objet dit petit a, « une saloperie », traduit Lacan. Les plus purs des plaisirs de l’âme ne sont pas disjoints d’une jouissance qui est du corps, à rebours de ce que professait un Lammenais, par exemple, dans son « Essai sur l’indifférence en matière de religion. »
Je le relis actuellement, dans l’édition originale dont j’ai fait l’emplette jadis parce que Lacan en avait parlé. Édition peu coûteuse, car l’Essai fut le best-seller du temps. Madeleine, je ne vous oublie pas. Mais l’actualité commande. Le « Traité des vérités premières » du père Buffier, sj, paru en 1724,est à l’origine du concept de « sens commun » auquel Lamennais devait donner l’éclat que l’on sait (ou plutôt que l’on ne sait pas). Il est urgent de faire connaître ce livre, cette filiation, cette belle tradition intransigeantiste dont m’entretenait, naguère Mme Hervieu-Léger, mais enfin, ce n’est pas plus urgent que le vote de dimanche.
Donc, j’en reviens à Macron pour qui je voterai dimanche.
Qui l’eût dit ? Qui l’eût cru ? Je voterai Macron après avoir dit à France-Culture, dans les intervalles où on me laissait parler, qu’il était l’esprit du capitalisme incarné comme il ne l’avait encore jamais été en France. Schumpeter chez les ploucs. La destruction créatrice pour les Nuls.
Beau comme un Ange, oui. L’Ange exterminateur.
À suivre
Nombre de mes amis ont été peinés de la façon discourtoise dont j’ai été traité par France Culture. Je n’avais rien demandé. Dans le bleu du ciel, on m’a appelé pour me dire que j’étais « une Grande Voix » et me donner « carte blanche ». Mais peu importe. Le malentendu, ça existe. Je n’étais pas celui qu’ils croyaient, et vice-versa. Rions : c’est « Le bal à l’Opéra. »
Ce fut pour moi un « instant-de-voir ». De voir comment Marine Le Pen se retrouvait si près du pouvoir, à la tête de sa bande de morts-vivants échappés des égoûts où la Libération les avait confinés. Car les filiations politiques, ça existe, Marine Le Pen est une héritière, non pas seulement de son père, mais à travers lui, de la Collaboration, de la Waffen SS, de l’OAS. Mais peut-on le dire ? J’ai senti un bâillon tomber sur ma bouche quand j’ai dit que M. Chatillon m’avait été présenté comme un nazi. On m’a appris depuis qu’un documentaiRe avait été diffusé récemment, qui allait en effet dans ce sens. Mais dire « nazi » sur les ondes du service public, c’est comme si j’avais dit « pipi caca », ça ne se fait pas.
Autrement dit, la fameuse « dédiabolisation », ce n’est pas une ruse géniale de Marine Le Pen pour tromper son monde, c’est tout le monde médiatique qui dédiabolise à tour de bras parce que c’est pour eux la forme nécessaire du « vivre-ensemble ». Pas de grossièretés. Pas de mots un peu forts, vulgaires comme « nul », « débile », voire « pédés ». On est dans une conversation à la française, on butine, on est charmant, on use de circonlocutions, on proscrit les mots malsonnants comme dans le salon des Précieuses ridicules ou celui des Femmes savantes. Tout cela est si frannçais !
Le FN n’a eu qu’à se laisser porter par ce courant de douceur. Le Pen qui ne supportait pas ce climat émollient lachait de temps en temsp un pet verbal, et alors les petits marquis et marquises des médias s’étouffaient, de l’air ! de l’air ! On a descendu le patriarche à la cave, on a fait monter la fille sur scène, et elle, elle sait se tenir. Elle était d’ailleurs au meilleur de sa forme hier soir. Du grand art. Elle ne serait pas qui elle est, je serais le premier à dire qu’elle mérite de l’emporter.
Et on lui a fait apporter un petit objet chéri. Et on lui a montré une photo de jeunesse où elle est mignonne comme un cœur en jeune avocate. On la dédiabolise, certes, mais ce n’est pas son privilège : la radio, la télé dédiabolisent à tout va, tous azimuts, tout un chacun. La dédiabolisation est de structure.
Tenez ! Imaginez satan lui-même candidat. On ressortirait des cartons une photo de lui quand il était petit.
LES AMIS
INTERVENTION AU FORUM ANTI-LE PEN par Sylvia Rose
J’avais 16 ans, il en avait 96.
Il, c’était Raymond Aubrac, de son vrai nom Raymond Samuel.
Ce fut un grand résistant. Sa femme Lucie aussi fut une grande résistante.
A 96 ans, il continuait d’aller dans les collèges et lycées, de classe en classe, pour raconter aux jeunes générations ce qu’avaient été l’Occupation nazie, le régime de Vichy, et les actions de la Résistance telle qu’il les avait vécues.
Nous avions été reçus chez lui, mes camarades du lycée Louis-le-Grand et moi, dans son appartement de la rue de la Glacière, sur la recommandation de l’écrivaine Rolande Causse. Nous préparions le Concours National de la résistance et de la déportation, et nous avions voulu rencontrer un de ceux qui avaient œuvré pour la Libération de la France en prenant tous les risques.
Il nous expliqua comment il était entré en Résistance.
J’ai retrouvé mes notes de l’époque, je le cite exactement.
« Il y avait un pays battu, écrasé, une armée dominante, arrogante, et un gouvernement français qui lui cirait les bottes. Je trouvais la situation insoutenable, inadmissible. Il fallait faire quelque chose. Personne n’a donné de mot d’ordre. »
J’avais fait remarquer à M. Aubrac qu’il y avait eu l’Appel du général De Gaulle le 18 juin, et que la veille, Charles Tillon, du Parti communiste, avait lancé dans le sud-ouest un appel à la résistance « contre le fascisme hitlérien. »
Puis ce fut la manifestation étudiante à l’Arc de Triomphe, devant la tombe du Soldat inconnu. Un tract circulait, recopié à la main. Voici ce qu’il disait :
Étudiant de France !
Le 11 novembre est resté pour toi jour de Fête nationale
Malgré l’ordre des autorités opprimantes, il sera Jour de recueillement.
Tu n’assisteras à aucun cours.
Tu iras honorer le Soldat Inconnu, 17h30.
Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire.
Le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore.
Tous les étudiants sont solidaires pour que Vive la France
Recopie ces lignes et diffuse-les.
Ce tract fut trouvé dans le hall de la Faculté de médecine de Paris, là où j’étudie aujourd’hui.
Il était frappant d’entendre Raymond Aubrac, proche du Parti communiste, nous dire : « Nous autres, dans la Résistance, nous étions des aristocrates. Notre activité était de nous battre pour sauver l’honneur. On prend des décisions de base : y aller ou ne pas y aller, à cause d’une pression de l’environnement, ou de la contingence, mais ce n’est pas tout. On ne se contente pas de répondre à sa conscience : la décision que l’on prend, on la prend en fonction de ce que l’on est. »
C’était la philosophie de Raymond Aubrac : « Chacun a dans sa vie quelques décisions importantes à prendre. Même si c’est très rapide, on les prend en fonction des valeurs auxquelles on croit. La Résistance, c’est pareil. »
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Or, aujourd’hui, pour les gens de ma génération, qui incarne l’idée de la Résistance ? Qui incarne l’idée de la grandeur de la France ? Qui incarne l’idée de combattre dans l’intérêt des Français et pour la liberté du pays ? C’est Marine Le Pen.
Marine Le Pen n’est pas l’héritière de la Résistance. Elle est l’héritière des ennemis de la Résistance. Et pourtant, elle réussit à faire croire le contraire. C’est une gigantesque escroquerie, et pourtant ça marche, spécialement auprès des jeunes.
Elle leur parle de la France, de l’amour de la France, de la souveraineté de la France, elle leur parle de défendre les Français contre tous les envahisseurs, elle agite tout le temps le drapeau bleu blanc rouge. Elle leur dit que les Français sont opprimés par des gouvernements incompétents, qu’ils sont malmenés par l’arrivée des étrangers, des migrants, et qu’ils doivent se révolter. Et comment se révolter ? En votant pour elle.
L’idée qu’on veut voler la France aux Français séduit. L’idée que les Français doivent se défendre contre les voleurs de France est une idée écœurante, mais elle réussit à transformer l’électeur lepéniste en valeureux insurgé. Un lepéniste croit combattre contre les invasions ennemies. Il a la fierté du soldat qui défend la patrie, alors qu’il n’a même pas fait de service militaire.
Les noms de Hitler, Mussolini, Pétain, reviennent souvent dans la conversation des gens de ma génération. Mais la deuxième guerre mondiale, cela reste pour nous des histoires de grand-père ou d’arrière-grand-père, des pages dans des livres d’histoire, des images dans de bons films d’action. On ne fait pas le rapport avec Marine Le Pen et son parti.
La violence du monde, on ne la connaît que virtuelle, à travers l’écran qui montre les victimes des attentats. On dit : « C’est choquant ! » Ça ne va pas plus loin.
Reste une femme à la volonté de fer, qui sait parler de la France avec passion, et qui prétend se battre pour une France forte. Du sale passé du FN, on ne sait rien.
Je conclus :
Le 18 avril 2017 à Paris
MAIS OU EST LA JUSTICE ? par H. S.
Mon amie H. S. m’a fait parvenir une lettre qu’elle me demandait de transmettre à Gérard Miller. Je lui ai dit que je voulais la publier dans le Journal extime, la question étant de savoir si elle signait de son nom ou d’un pseudo. Elle a choisi de signer de ses initiales. H. est haredi (« ultra-orthodoxe »). Je ne le suis pas. A ceci près, je cosigne. Cette lettre vaudra donc pour la réponse que j’avais promise à mon frère. —JAM
Cher M. Gérard Miller,
Je lis votre indignation, et j’entends la force de votre cri de révolte contre l’injustice faite à Mélenchon en fin de campagne. Des gens respectables que vous jugez mal intentionnés ont le mauvais goût de rappeler des propos « tendancieux » que JLM a émis à l’époque troublée de « la Guerre de Palestine ».
Je n’ai pas lu cet article de François Heilbronn, mais je l’ai effectivement beaucoup vu circuler sur le net. J’ai un mal fou à cliquer sur ce genre de liens, (il y en a pléthore qui y ressemblent) car je trouve extrêmement gênant et complètement contre-productif de discréditer un candidat sur UN propos antisémite (même s’il en était). Cela a généralement pour effet contraire de placer les juifs dans la position d’utilisateurs de l’antisémitisme. C’est une position que je récuse encore davantage que l’antisémitisme lui-même, si c’est possible.
Je ne m’attarderai donc pas sur le contenu de cet article qui ne m’intéresse fondamentalement pas, mais sur votre propos que je trouve très incomplet.
JLM défend la population palestinienne en butte aux guerres israéliennes. Je la défends aussi, mais en aucun cas en soi. Je suis incapable de m’identifier à la souffrance d’une population qui sacrifie ses enfants et ses très jeunes enfants pour sa défense, quand bien même serait-ce pour exprimer une révolte face d’une armée écrasante.
Quel genre de gens faut-il être pour avoir substitué à son désir de vivre celui de la mort des autres (et ce quelque en soit le motif) ?
Comme avant-goût de ma critique, j’affirme donc : en substance, j’accuse l’État Israélien qui attaque injustement une population très démunie, sans pour autant défendre cette même population dont les valeurs me paraissent indéfendables. Dans cette population, la valeur qui est donnée à la vie (des enfants notamment) est subordonnée à celle des combats politiques, elle est également subordonnée à des valeurs religieuses qui, de nos jours, sont impensables: on tue des homosexuels en douce, ou encore une sœur célibataire qui a bafoué l’honneur de la famille parce qu’elle est tombée enceinte…
JLM (et vous-même) défendez cette population, pourquoi pas ? Il est des hommes dont l’humanité est telle qu’ils sacrifieraient leurs bougeoirs en argent pour sauver le dignité d’un Jean Valjean, parce qu’il s’agit là de défendre l’humanité irréductible qui est en lui, malgré son acte… Bien. Kant n’aura donc pas parlé pour rien. Je vous demande alors : au nom de votre pulsion si puissante à décrier ce qui vous semble injuste, comment avez-vous pu oublier qu’en ces sombres jours de « courageuses manifestations pour le défense du peuple palestinien », on criait aussi « Mort aux juifs » sur les Champs-Elysées ?
Avez-vous la mémoire courte ? N’est-ce pas Coralie Miller qui rappelait cela dans un reportage dernièrement diffusé sur France 2 ?
En quoi les juifs de France et du reste du monde sont-ils forcément impliqués par les actions de l’État d’Israël ? Notre très cher Tribun-Zorro qui veut la justice de l’autre côté de la Méditerranée a-t-il oublié qu’il fallait d’abord condamner ce qui se passe chez nous, directement sous nos yeux, sur les Champs-Élysées, avant de fustiger la politique de Bibi-la-Terreur? L’a-t-il fait avec la même ferveur que lorsqu’il a dénoncé l’injustice faite au peuple palestinien ?
Ce jour-là, sur les Champs, certains brandissaient le drapeau jaune de l’EI. J’ai encore ces terribles images en têtes, c’était il n’y a pas si longtemps en un sens, mais d’un certain point de vue, c’était à une autre époque. Car tout cela a eu lieu avant que la France ne bascule dans « le 7 Janvier et pire ».
M. Mélenchon n’a rien dit contre ces « Mort aux juifs », ni contre cette horreur qui se déroulait SOUS NOS YEUX : sur les Champs, on brandissait le drapeau de DAESH en toute sérénité. Ce qui était important alors, c’était de défendre l’oppression subite à Gaza, et surtout de condamner avec virulence les auteurs de cette injustice…
Il nous aura fallu le 7 Janvier, l’HyperCasher et le Bataclan, pour comprendre que certains de ceux qui défendent les Palestiniens sont aussi NOS ennemis à nous, la France. Mais aucun tribun pour rappeler que nous avions — peut-être à tort — encensé cette manifestation, où l’Etat Islamique (EI) était présent, et où, pour défendre des Palestiniens d’ailleurs, on criait chez nous en France, « Mort aux juifs ».
Oui, on s’est vite dépêché d’oublier ces sombres détails, ou au moins de les détacher de leur contexte ; surtout depuis que l’EI s’est muté en diable incarné. Des océans de pages et d’article ont été déversés sur le Net pour expliquer l’ampleur de la menace symbolisée par ce drapeau jaune aux inscriptions incompréhensibles. Très peu de gens ont rappelé que ce fameux drapeau, nous l’avons laissé flotter sur la plus belle avenue du monde, aveuglés par un esprit de sur-justice à l’égard de ce qui se passe au loin.
Mélenchon n’est pas revenu sur ses dires, il en faudrait plus que cela à un politicien quelque fut-il pour reconnaitre que ses propos sont « offensants » (pour reprendre l’adjectif-clé de l’émission radio de ce matin sur France-Culture), et injustement calibrés face à un événement multi-facettes. Mais vous, M. Miller qui prenez la peine d’y revenir pour le défendre contre les gens malintentionnés qui cherchent à barrer son accès au second tour, vous auriez pu le faire.
A défaut d’une certaine justice dans le discours, il ne faut pas pleurnicher si JLM est attaqué à tort sur ses intentions antisémites, intentions pourtant pas si « casher » que cela, puisqu’il vous faut plus de dix lignes pour le défendre…
Perso, je pleure sur le fait que les juifs se servent encore de cet ultime argument pour discréditer ce piètre candidat qu’il est si aisé de critiquer de bien d’autres façons ! Ils utilisent là encore une arme qui ne peut que se retourner contre eux, et c’est bien dommage.
Je déplore aussi que votre sens de la justice soit aussi peu regardant que celui du Tribun-qu’il-faut-quand-même-défendre…
H.S.
Jeudi 20 avril 2017
En 1906, la France réhabilita enfin le capitaine Dreyfus. La même année, ses académiciens élisaient Maurice Barrès au rang des Immortels et ce faisant, donnaient les palmes à un des chefs de file du camp antidreyfusard. Une jolie place dans le 1er arrondissement de Paris porte même son nom, et elle n’est pas la seule. Toute la France a des rues et des places qui rendent hommage à Barrès. Quant à Dreyfus, des rues portent également aujourd’hui son nom, mais sa statue a connu des tribulations folles : alors que Jack Lang qui en fit commande en 1985 souhaitait la voir figurer dans la cour de l’Ecole militaire où il fut dégradé, Mitterrand s’y opposa, les militaires aussi, si bien qu’elle fut posée en un endroit discret, puis changée de place plusieurs fois. L’embarras qu’elle créée est infini. En 2006, pour le centenaire de sa réhabilitation, la demande est réitérée par Jacques Chirac auprès de l’école militaire d’accueillir la statue de Dreyfus, mais un refus est encore opposé par les dignitaires de l’armée. Les lieux sont mémoire, et symptôme, les morts aussi.
Barrès, théoricien du nationalisme dont l’extrême droite se réclame encore aujourd’hui s’est « raciné » un peu partout, la toponymie s’en souvient et le célèbre. Zeev Sternhell, que Christiane Alberti évoquait dans son édito, a consacré une monographie à ce personnage, en retraçant l’itinéraire qui porta ce jeune anarchisant à devenir le chantre de la nation menacée. L’historien distingue ainsi trois périodes clés dans la genèse idéologique de Barrès : d’abord la période boulangiste de révolte contre un « monde incolore », ensuite l’affaire Dreyfus où s’incarne pour lui et d’autres la menace d’anéantissement de la France, comme l’occasion de faire bannière contre l’anti-France : les métèques, les Juifs, les étrangers. Enfin, dans un dernier temps, son analyse en vient à postuler un Idéal supérieur pour le Moi, ce moi endormi qui trouva d’abord dans le boulangisme et l’antidreyfusisme une forme d’exaltation et d’issue vitale. Ce Moi, dans ce dernier moment de théorisation doit se soumettre à l’idéal supérieur de la collectivité, de la nation. L’individu trouve alors dans l’enracinement dans la Terre et dans le culte des Morts, une voie de salut.
Ce que Maurice Barrès théorise là dans La Terre et les morts, demeure une référence majeure pour l’extrême droite française. Jean-Marie et Marine Le Pen revendiquant souvent la dimension de « lien charnel » à la France, conçue comme organisme vivant. C’est ce qui conduisit notamment Marine Le Pen à considérer en 2011 qu’Eva Joly n’avait pas sa place dans la course présidentielle : elle n’aurait pas ce « lien charnel » à la France. Née en Norvège, elle n’est sans doute pas assez « racinée », pour reprendre une expression chère à Barrès. Récemment, une universitaire, Cécile Alduy, montrait même comment les discours de Marine Le Pen sur l’environnement puisaient dans les ressources lexicales et idéologiques barrésiennes et maurrassiennes. La candidate rappelait ainsi dans sa conférence sur la France durable que « La France, ce n’est pas une idée » mais « une réalité vivante d’hommes et de lieux, de terres et de mers, d’arbres et d’oiseaux ». Et cette professeure de Stanford d’indiquer que lorsque Marine Le Pen précise que « la Nation est une réalité physique, charnelle », elle « cite presque mot à mot son père, qui disait encore en septembre 2016 : « La France n’est pas qu’une idée, c’est une réalité charnelle, un peuple qui vient des morts et va au-delà des vivants : une âme. »[1] Tout un programme.
[1] http://www.lopinion.fr/edition/politique/l-environnement-marine-pen-puise-chez-barres-maurras-119916